Internet pour les enseignes : il est interdit d'interdire !
mercredi 3 décembre 2014

Internet pour les enseignes : il est interdit d'interdire !

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Jean-Baptiste Gouache (Avocat – Associé)

Gouache Avocats
Membre du collège des experts de la Fédération Française de la Franchise

Pure, multi, omni ? Qu’importe. Internet est un terrain de jeu pour les enseignes. Un terrain de jeu de plus en plus stratégique. Pour toutes les enseignes. Aucune ne saurait l’ignorer. Le chiffre d’affaires réalisé en ligne ne cesse de croître. Mais le développement de la stratégie de vente par internet ne va pas sans soulever des problématiques juridiques auxquelles les enseignes doivent répondre.

Notamment, la question de l’étanchéité des canaux de distribution est posée. Bien souvent, la tête de réseau aimerait se réserver la diffusion des produits ou services de l’enseigne sur Internet, ou dans certains cas, la proscrire. Elle sera tenter de le justifier en tirant argument de la spécificité de ses produits / services en cause. Mais le législateur et le régulateur de la concurrence ne l’entendent pas nécessairement de cette oreille : le distributeur ne doit pas par principe se voir interdire l’accès à la vente en ligne. La jurisprudence de la Cour d’appel de Paris vient d’entériner la position de l’Autorité de la Concurrence, laquelle est conforme au droit communautaire : il est interdit à l’enseigne d’interdire à son distributeur de vendre en ligne (1).

Toutefois, l’utilisation de l’internet par la légion romaine formée par les franchisés, licenciés, affiliés ou concessionnaires, que ce soit directement pour la vente ou via des réseaux sociaux ou blogs pour y opérer la promotion des produits ou services, pose la question de la nécessaire préservation de l’homogénéité de l’image de la marque sur l’internet, un impératif nécessitant des outils contractuels adaptés. Le droit de la concurrence consacre la possibilité d’encadrer contractuellement la vente en ligne, dès lors que les restrictions imposées pour l’encadrer ne sont pas telles qu’elles auraient pour objet ou effet de restreindre en fait la possibilité de vendre en ligne (2).

Le chantier pour les enseignes est important et elles doivent adapter leurs contrats de distribution à la donne de l’internet. Celles qui n’auraient pas encore pensé leurs clauses internet dans leurs contrats de distribution vont devoir revoir rapidement leur copie. Celles qui auraient proscrit la vente en ligne pour leurs distributeurs ont intérêt à envisager la signature d’avenants la libéralisant sous contrôle, à peine de risque de nullité du contrat, la restriction de la vente par internet étant assimilée à une restriction de vente passive.

1. Il est interdit d’interdire : la vente en ligne doit être ouverte à tous les distributeurs sous enseigne

La question est de savoir si l’enseigne peut cloisonner les canaux de distribution, c'est-à-dire empêcher un distributeur de diffuser les produits ou services contractuels en utilisant le réseau Internet. Il est bien tentant de le faire. Mais le droit de la concurrence doit être pris en compte et les sujétions qu’il édicte à cet égard constituent un obstacle difficile à franchir.

Le règlement européen d’exemption n°2790/99 ne permettait pas qu’un contrat comporte une ou des clauses limitant les ventes passives, auxquelles l’exploitation d’un site internet est assimilée par le doit de la concurrence. Toutefois, les lignes directrices du 13/10/2000 (2000/C291/01) admettaient qu’une interdiction puisse être faite au distributeur d’utiliser l’internet pour diffuser les produits contractuels puisse être justifiée objectivement, même si elle devait rester l’exception. Le conseil de la concurrence adoptait une position conforme à ces dispositions (Conseil de la concurrence, 5 octobre 2006 (06-D-28), admettant que l’interdiction de principe de la vente sur internet pouvait être justifiée dans des circonstances exceptionnelles, et à condition que les restrictions posées à cette forme de vente soient proportionnelles à l’objectif visé et comparables à celles qui s’appliquent dans ce point de vente physique du distributeur agréé.

Le règlement européen d’exemption n°330-2010 du 20 avril 2010 est muet sur la question de l’exemption des clauses prohibant l’usage de l’internet au distributeur. Toutefois, comme sous l’empire de l’ancien règlement, toute restriction des ventes passives, i.e. non sollicitées, est exclue du bénéfice de l’exemption par catégorie.

Or les ventes sur internet sont assimilées à des ventes passives en droit de la concurrence. Il en est de même de la vente sollicitée après inscription volontaire de l’acheteur final sur le site internet du vendeur. De ce point de vue, il n’y a pas d’innovation majeure. L’innovation provient de l’adoption de lignes directrices clairement différentes.

Les nouvelles lignes directrices (Point 52) posent le principe selon lequel chaque distributeur doit être autorisé à vendre sur internet les produits contractuels.

L’effet pratique est que les enseignes qui souhaitent cloisonner leurs canaux de distribution ne peuvent plus se réserver la vente sur internet et bénéficier de l’exemption par catégorie. Si elles veulent cloisonner ce canal de vente, elles doivent soumettre leur contrat à une exemption individuelle, et donc prouver au cas par cas, l’efficience économique des clauses limitant la revente des produits contractuels sur l’internet par leurs distributeurs.

La jurisprudence européenne se fixe également dans le sens d’un impossible cloisonnement des canaux de distribution: l’affaire PIERRE FABRE, tranchée par la CJCE sur question préjudicielle de la Cour d’appel de Paris est éclairante à cet égard.

Rappel des faits et de l’historique de cette affaire, sur laquelle la Cour d’appel de Paris s’est prononcée fin janvier dernier.

Le laboratoire impose à ses distributeurs de « justifier de la présence physique et permanente dans le point de vente et pendant tout l’amplitude horaire de l’ouverture de celui-ci, d’au moins un personnel spécialement qualifié par sa formation pour conseiller instantanément sur le point de vente le produit de Pierre Fabre le plus adapté au problème spécifique d’hygiène et de soin qui lui est soumis ». Ainsi, la distribution par internet est interdite aux distributeurs agréés PIERRE FABRE

Par décision 08-D-25 du 29/10/2008, l’Autorité De la Concurrence (ADC) déclare la pratique de cloisonnement des canaux de distribution examinée contraire tant à l’article L. 420-1 du Code de commerce, qu’à l’article 101 TFUE.

PIERRE FABRE, ne s’en laisse pas conter et saisit, à titre principal d’un recours en annulation de la décision de l’ADC, la Cour d’appel de Paris. Par arrêt du 29 octobre 2009, celle-ci sursoit à statuer et pose à la CJCE la question préjudicielle suivante : « L’interdiction générale et absolue de vendre les produits contractuels sur internet aux utilisateurs finals imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d’un réseau de distribution sélective constitue-t-elle effectivement une restriction caractérisée de la concurrence par son objet au sens de l’article 81§1 du T CE échappant à l’exemption par catégorie prévue par le règlement n°2790/1999, mais pouvant éventuellement bénéficier d’une exemption individuelle en application de l’article 81§3 du TCE? »

L’arrêt a été rendu par la CJCE, 13 octobre 2010 (C-439/09). La cour estime « qu’à défaut de justification objective, les accords de distribution sélective constituent des restrictions par objet. Il appartient à la Cour d’appel de Paris de juger si une clause interdisant de facto toutes les formes de vente par internet peut être justifiée par un objectif légitime qui constituerait une justification objective. Bien peu d’enseignes pourront apporter la justification de la poursuite d’un objectif légitime, admise de manière très stricte en droit de la concurrence.

La Cour poursuit : « Une clause contractuelle interdisant de facto internet comme mode de commercialisation a, à tout le moins pour objet de restreindre les ventes passives aux utilisateurs finaux, sans qu’internet puisse être considéré comme « un lieu d’établissement non autorisé » au sens du règlement d’exemption. ». Une telle clause ne peut donc être exemptée par catégorie et doit faire l’objet d’une exemption individuelle au sens de l’article 101§3 TFUE.

En application de ces principes, sont visées par les lignes directrices et non exemptées, les clauses suivantes des contrats d’enseigne :

  •  les obligations visant à dissuader le franchisé d’utiliser Internet en lui imposant des conditions de vente ou de prix en ligne qui ne soient pas équivalentes à celles imposées en point de vente (LD n°56) – Cette solution est conforme à l’arrêt GALEC – TPICE 12/12/1996
  •  les clauses limitant la part des ventes réalisée par le franchisé sur Internet

Il est donc impératif, puisque le distributeur y aura accès dans l’immense majorité des cas, que les enseignes organisent contractuellement cette activité pour que l’image de la marque sur internet demeure homogène et conforme à son ADN.

La Cour d’Appel de Paris a rendu, le 31 janvier 2013, son arrêt très attendu puisque portant sur le recours formé par la société Pierre Fabre, ayant reçu l’avis de la CJCE sur question préjudicielle.

La Cour d’Appel de Paris a confirmé la décision du Conseil de la Concurrence : il est interdit d’interdire la vente par Internet.

Ainsi, la vente en ligne n’est pas assimilable à la vente sur catalogue, la vente en ligne permettant des interactions plus grandes. Des justifications avancées pour interdire la vente sur catalogue à des distributeurs ne sont donc pas nécessairement applicables aux ventes par Internet.

Au cas d’espèce, la Cour a ainsi considéré qu’Internet permettait la fourniture d’un conseil personnalisé, que ce soit par la mise en ligne d’informations sur les produits, y compris vidéos, ou la possibilité d’une mise en place d’une « hotline » permettant des conseils individualisés.

L’existence ou non de restrictions légales ou réglementaires imposant certaines modalités de vente a été prise en compte pour déterminer si une interdiction de vente par Internet peut être justifiée ou non. En l’occurrence la Cour a relevé qu’aucune restriction de ce type n’existait.

La Cour a rejeté également l’argument selon lequel l’interdiction des ventes en ligne permettrait de réduire les contrefaçons, considérant que rien ne venait démontrer cette affirmation.

La Cour rappelle par contre qu’il n’est pas imposé à Pierre Fabre d’autoriser la vente en ligne par d’autres opérateurs que ses distributeurs agréés, tels que les pure players. Elle précise également que le risque de « parasitage »1 serait limité si le distributeur en ligne est tenu aux mêmes obligations que celui qui a délivré le conseil.

Les enseignes devront donc prendre soin d’éviter d’interdire la vente en ligne de leurs produits, sauf circonstances réellement exceptionnelles, liées à une contrainte légale particulière par exemple, mais devront par contre prendre soin d’organiser contractuellement les modalités desdites ventes en ligne, afin de pouvoir maintenir la qualité et l’image souhaitées. Cette question est devenue un enjeu majeur et incontournable de la rédaction des contrats de distribution.

Cette arrêt est en droit ligné de la décision n°12-D-23 du 12 décembre 2012 de l’Autorité de la concurrence française, laquelle considère que l’interdiction faite par BANG & OLUFSEN à ses distributeurs agréés de vendre leurs produits sur internet constitue une restriction de concurrence contraire aux dispositions de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne et l’article L.420-1 du Code de commerce.

1 Conseil obtenu auprès d’un distributeur puis achat en ligne auprès d’un autre

L’Autorité de la concurrence l’avait d’ailleurs réaffirmé récemment dans un avis du 18 septembre dernier consacré au fonctionnement concurrentiel du secteur électronique rappelant qu’il est interdit d’interdire la vente sur internet dans un réseau de distribution sélective.

Dans sa décision du 12 décembre dernier, elle adopte le même positionnement que la Cour de Justice de l’Union Européenne dans sa décision Pierre Fabre du 13 octobre 2011, en considérant que l’interdiction de vente par internet faite par BANG & OLUFSEN à ses distributeurs agréés constituait une restriction de concurrence par l’objet. L’Autorité de la concurrence caractérise l’interdiction de vente à deux égards. D’une part, les contrats de distribution sélective conclus entre BANG & OLUFSEN et ses distributeurs agréés prohibaient la vente des produits par correspondance. D’autre part, les relations contractuelles de BANG & OLUFSEN étaient gouvernées par une circulaire interdisant l’usage de la marque et de tous signes distinctifs par les distributeurs agréés dans le cadre de la mise en place de leurs sites internet propres.

Ainsi, quand bien même l’interdiction de vente sur internet ne résulte pas d’une clause expresse du contrat, il est possible qu’elle soit caractérisée par un ensemble d’éléments factuels gouvernant les relations entre la tête de réseau et les distributeurs agréés.

En conséquence, BANG & OLUFSEN s’est vu imposé une sanction pécuniaire de 900.000 € (la sanction maximale théorique étant de 10% de son chiffre d’affaire mondial consolidé le plus élevé pendant la période de mise en œuvre de la pratique) mais a également dû modifier ses contrats de distribution sélective afin de faire apparaître en termes clairs que les distributeurs de son réseau ont la possibilité de recourir à la vente par internet.

Rappelons également que l’interdiction de la vente par internet peut être sanctionnée par la nullité des contrats qui comportent une telle clause.

Ces deux décisions récentes fixent l’état et droit positif et démontrent une volonté forte des instances, tant communautaires que françaises, de sanctionner l’interdiction des ventes sur internet dans les réseaux de distribution.

Cette question doit donc faire l’objet de toutes les attentions, tant au niveau de la rédaction des contrats que dans les relations entre les têtes de réseaux et leurs distributeurs.

2. Le contrôle de l’image de l’enseigne sur Internet

Avant même que de ne parler de contrôle de l’image de la marque sur le web, l’un des enjeux contractuels est d’éviter que l’enseigne ne contracte avec des distributeurs qui deviendraient des « pure Player » internet. La situation est la suivante: le contrat d’enseigne ne prévoit pas d’obligation d’exploiter un point de vente physique. Le distributeur se contente de diffuser les produits ou services contractuels sur internet.

Les Lignes directrices précisent que l’enseigne peut contraindre le distributeur à ouvrir et exploiter un point de vente physique. Il est donc de bonne pratique que le contrat prévoit expressément l’obligation d’ouvrir et d’exploiter un point de vente physique pour le distributeur.

De la même manière, il est souhaitable que le contrat d’enseigne permette d’éviter une concurrence anarchique entre membres du réseau sur l’Internet. L’organisation de cette concurrence passe par une restriction des ventes actives du distributeur sur l’internet. Très concrètement, il est par exemple possible d’organiser une prohibition contractuelle des e-mailings non sollicités de prospects situés en dehors de la zone d’exclusivité de votre distributeur. De la même manière, une prohibition des achats de mots clés liés à des localités situées en dehors de la zone territoriale exclusive dans le cadre des campagnes GOOGLE AD’WORDS peut être organisée.

Dans le vif du sujet du contrôle de l’usage de la marque sur internet, les clauses de licence de marques et/ou d’enseignes de vos contrats doivent permettre d’organiser, ainsi que le point 54 des lignes directrices du règlement du 20 avril 2010 le permet, des normes impératives de qualité pour l’utilisation d’un site internet à des fins de vente de ses produits, comme il le ferait pour un magasin, un catalogue, une annonce publicitaire ou une action de promotion en général.

Le contrat doit impérativement comprendre des prescriptions précises relatives à l’usage de la marque sur le réseau Internet. Par exemple, il peut - et doit à notre avis - comprendre des dispositions relatives :

  • à l’utilisation charte graphique internet normée 
  • au respect d’une architecture type de site internet obligatoire (programmation, ergonomie, navigation interne du site) 
  • au recours à une agence web référencée, comme un architecte référencé peut intervenir pour établir les plans d’adaptation d’un concept architectural à un local commercial 
  • à la prohibition de l’usage de la marque à titre de nom de domaine ou partie de nom de domaine 
  • à l’interdiction de dépôts de nom de domaine utilisant la marque ou toute marque contrefactrice 
  • à des normes impératives de présentation et de mise en scène des produits qui respectent l’univers de la marque et son positionnement produits ; 
  • au respect du positionnement prix de l’enseigne (et règle certaines questions comme celle de la participation à des opérations de type « prix groupés ») ; 
  • à la mise en œuvre de campagnes de promotion des ventes nationales sur Internet ;

Ainsi, s’il ne pourra pas être interdit, le recours à un site marchand par le distributeur peut-être clairement encadré, en recherchant toujours à protéger l’homogénéité de l’image de la marque.
En outre, l’accès au réseau Internet peut demeurer l’apanage de l’enseigne pour les cas suivants : 

  • lorsqu’Internet n’est utilisé pour la publication d’un site institutionnel relatif l’enseigne, sans possibilité d’y réaliser des ventes ; 
  • corrélativement pour la gestion de profils et de comptes ouverts sur des réseaux sociaux et reproduisant la marque ; 
  • lorsqu’Internet est utilisé pour le recrutement des franchisés et autres distributeurs ; 
  • lorsqu’Internet est utilisé comme outil de mise en relation: je vise ici le cas où une intermédiation est réalisée par l’enseigne entre son distributeur et un client final (ex.: hôtellerie, restauration).

Enfin, il est possible d’encadrer la diffusion des produits ou services contractuels sur les sites de distributeurs tiers au contrat de distribution, dès lors que des critères de sélectif sont définis pour la distribution en ligne.
Ajoutons pour conclure qu’au surplus il peut exister une collaboration entre l’enseigne et son distributeur pour la réalisation des ventes en ligne. Par exemple, l’enseigne vend à un client domicilié près du magasin du distributeur et livre le produit à celui-ci ou demande au distributeur d’assurer un service après-vente. Ou encore un client du distributeur passe chez le distributeur une commande honorée sur le stock de l’enseigne. Dans ces cas, il est heureux que le contrat règle ou renvoie à des conditions de vente réglant la rémunération des deux parties aux contrats pour les services qu’elles se rendent mutuellement dans l’intérêt du client et du réseau.
S’ils ne sont pas encore tous au goût du web, un seul mot d’ordre revisitez vos contrats tant qu’il en est encore temps! 

Retrouvez également notre vidéo "Le contrat de distribution sélective" sur notre site.

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