Loi Macron, conséquences pour le commerce en réseau  (Argus de l'Enseigne, Avril 2015)
mardi 5 mai 2015

Loi Macron, conséquences pour le commerce en réseau (Argus de l'Enseigne, Avril 2015)

L'amendement 1681, qui a été inséré dans le projet de loi Macron, est ici commenté par Jean-Baptiste Gouache dans un article paru en avril 2015 dans l'Argus de l'Enseigne. Depuis, cet amendement devenu l'article 10 A du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a été supprimé par le Sénat, confirmant ainsi la position de la Commission spéciale du Sénat qui avait préalablement expurgé de ce projet cette disposition. Il est cependant probable qu'il soit réintroduit lors du second passage du projet de loi devant l'Assemblée Nationale. 

Des menaces sérieuses de restrictions de la licéité des clauses post contractuelles, et plus largement de clauses considérées comme restrictives de concurrence, pèsent indistinctement sur tous les contrats de distribution comportant la mise à disposition d’une enseigne (franchise, concession, licence, etc.) depuis l’avis de l’autorité de la concurrence du 7 décembre 2010 relatif à la distribution alimentaire et le projet de loi Lefebvre qui en avait repris les principales préconisations.

Certains orateurs faisant croire aux représentants de la Nation que la plupart des contrats de distribution comportaient des durées excessives allant jusqu’à 25 ans,  les députés n’ont pas tous fait preuve, dans le fort court débat parlementaire qui a précédé le vote d’adoption de l’amendement, d’une grande connaissance du secteur du commerce. Si dans certaines enseignes de distribution alimentaire, les contrats peuvent être relativement longs,  ils le sont plus rarement dans la distribution spécialisée. Cette situation concerne surtout des enseignes du secteur coopératif, et elle est quasi inexistante dans d’autres secteurs d’activité. Pourtant, l’amendement voté frappe indistinctement tous les réseaux de commerce.

 

1/ En premier lieu,  l’amendement n°1681 impose une durée maximum de 9 ans aux contrats relevant du champ de l’article L. 330-3 du Code de commerce (mise à disposition de signes distinctifs, assortie d’une exclusivité ou quasi exclusivité pour l’exercice de l’activité, en ce compris l’approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif).

Le texte initial de l’amendement prévoyait de limiter cette durée à six ans. Cela revenait  clairement  à nier les difficultés qu’allaient rencontrer les franchisés dans leur recherche de financement de leurs projets. L’augmenter à neuf ans ne se révèle pas plus satisfaisant. En effet, cela reste inférieur à la durée de 10 ans, durée maximale imposée par l’article L.330-1 du Code de commerce, actuellement en vigueur, en présence d’un contrat de franchise contenant une clause d’approvisionnement exclusif (ou 5 ans si le réseau est soumis à l’application du droit communautaire de la concurrence, ce qui est le cas de la plupart des enseignes GSA). En outre, cette durée est inférieure à celle des amortissements de certaines immobilisations dans le secteur des GSA, notamment des investissements logistiques, mais aussi dans certains secteurs où la franchise est très répandue, comme la restauration à thème. A ce double égard, cette limitation de durée est critiquable.

Par ailleurs, les contrats concernés ne pourront plus désormais faire l’objet d’une tacite reconduction. Le législateur, a utilisé le terme reconduction, et non le terme renouvellement, mais c’est probablement le fait de son habituelle précipitation. L’on peut dès lors se demander s’il est prévu d’ interdire le seul fait de reconduire le contrat initial, dont la durée est alors prorogée, ou s’il sera aussi interdit de le  renouveler  tacitement, c’est-à-dire de donner naissance à un nouveau contrat à défaut de manifestation de volonté contraire des parties.

On ne comprend pas bien, en tout état de cause, l’intérêt de cette disposition dès lors que le distributeur dont le contrat se reconduit ou se renouvelle tacitement dispose toujours de la faculté de s’opposer à la poursuite du contrat par une simple notification à l’enseigne de sa volonté de ne pas poursuivre les relations au terme du contrat. On est certain, en revanche, que cette disposition va conduire les distributeurs à ne pas conclure de nouveau contrat au terme du premier, tout en continuant à exploiter l’enseigne. Dans de nombreux réseaux, cette situation se retrouve et pose des difficultés  pour l’enseigne :  en exigeant  le départ du distributeur qui ne signe pas, elle entame sa part de marché, sa puissance d’achat et ses revenus ; en poursuivant la relation sans contrat, elle ne bénéficie d’aucun encadrement contractuel de l’usage de sa marque, de son savoir-faire, d’aucun encadrement du périmètre de son réseau.

 

2/ La seconde innovation adoptée en première lecture par l’assemblée nationale est l’interdiction pour l’enseigne d’imposer à ses distributeurs une clause de non-concurrence post-contractuelle aux termes du contrat conclu.

Dès lors qu’elles ont pour objet de protéger un savoir-faire, le droit Européen  de la concurrence, comme le droit français de la concurrence, admet la validité de ces clauses qui sont présumées préserver un avantage concurrentiel qui est utile au consommateur à qui il bénéficie in fine. Pour cela, il faut que ces clauses soient objectivement limitées, dans le temps et dans l’espace, et qu’elles soient subjectivement limitées (à la nécessité de protéger le savoir-faire et la réputation de l’enseigne, et proportionnées à cet objectif). Sur ce fondement,  les tribunaux français n’hésitent  pas, à déclarer de telles clauses inapplicables lorsqu’elles n’ont pas pour but de protéger le savoir-faire du franchiseur ou son disproportionnées par rapport à cet objectif. En pratique, le juge sanctionne donc déjà le comportement anticoncurrentiel.

Si le législateur veut permettre aux enseignes, déjà en situation de forte concurrence dans la plupart des secteurs, de se développer plus librement, ne seraient-ils pas préférable de leur permettre d’ouvrir plus facilement des surfaces de vente en libéralisant la réglementation de l’urbanisme commercial ? Cette législation  protège les parts de marché des uns et des autres pour les surfaces de vente de plus de 1000m² désormais, et depuis plus de quarante ans. L’abolition des clauses de non concurrence risque de provoquer un véritable mercato, dont les conséquences ne sont pas évaluées. Le législateur ignore aussi probablement qu’il est nécessaire de maintenir la massification des achats pour peser dans la négociation commerciale avec les fournisseurs de la distribution. Cela profite largement au consommateur, et pour cela, un minimum de stabilité des parts de marché des enseignes est indispensable.

Les enseignes dont le savoir-faire est largement intellectuel  seront fragilisées par cette  disposition. Elle leur interdira d’éviter la dispersion et donc la banalisation de leur savoir-faire qui pourra être exploité par l’ancien distributeur. Ce dernier pourra aisément créer un réseau concurrent, dès lors qu’il gèrera correctement avec l’assistance de son conseil le risque de commettre des actes de concurrence parasitaire. Cette réforme risque de fragiliser les réseaux en phase de démarrage, les plus petits réseaux de franchise, puisque les barrières juridiques à l’exploitation après le terme du contrat d’un savoir-faire qui a été entièrement mis à leur disposition n’existent plus du tout.

A cet égard, un sous amendement a été adopté en séance de l’Assemblée Nationale du 30 janvier limitant le champ d’application de ce texte « à un type d’organisation de coopérative […] au-delà d’un certain seuil de chiffre d’affaires […] - sans doute aux environs de 50 millions d’euros, selon les débats parlementaires. » Les plus petits réseaux pourraient donc être épargnés. En l’état, le seuil qui exonérerait les réseaux du respect de cette prohibition, serait fixé par décret, après avis de l’autorité de la concurrence. Les débats parlementaires ne permettent pas de savoir réellement si le seuil de chiffre d’affaires à considérer est celui de la société concédant le droit d’usage de l’enseigne, celui de toutes les sociétés de la « tête de réseau » ou encore le chiffre des points de vente du réseau.

 

3/ Les dispositions de cet amendement s’appliquent aux ensembles contractuels (ex. : licence de marque, contrat cadre d’approvisionnement, contrat d’adhésion de la personne physique, etc.), lesquels seront réputés indivisibles, toute clause contraire étant dès lors réputée non écrite.

Le texte n’a pas encore été débattu au Sénat. Espérons que le lobbying annoncé de la Fédération Française de la Franchise, de la Fédération du Commerce Associé et des enseignes ait un impact tel que cet amendement ne soit finalement pas adopté, ses conséquences étant à mon sens mal appréhendées. Cet amendement est en outre probablement globalement inutile. Les dispositifs législatifs en matière  de pratiques restrictives de concurrence, et la notion de déséquilibre significatif notamment, sont aujourd’hui suffisants pour que juges commerciaux et arbitres sanctionnent les pratiques contractuelles réellement restrictives de concurrence, sans que les équilibres de marché soient bouleversés.