Rupture brutale des relations commerciales établies et régime d’indemnisation
vendredi 18 octobre 2019

Rupture brutale des relations commerciales établies et régime d’indemnisation

La lex specialis de l’article L.442-6 I 5° du Code de commerce a vocation à s’appliquer en cas de demande d’indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales, impliquant alors d’écarter les dispositions du droit commun à défaut de rapporter une faute délictuelle distincte.

Dans l’arrêt d’espèce, l’enseigne de distribution de produits à petits prix GIFI avait conclu avec une société de management, spécialisée en conseil pour affaires et gestion, un contrat de gérance-mandat pour l’exploitation d’un magasin du groupe. Conclu pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction en 2010, il a été mis fin au contrat en 2013 par la société GIFI. La tête de réseau s’est alors vue assignée en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies par la société de gestion, principalement sur le fondement du texte du Code de commerce, et subsidiairement en application de l’article 1382 du Code civil, en sus d’une demande de nullité de la clause de non-concurrence post-contractuelle du contrat.

Le gérant-mandataire, débouté de ses demandes d’indemnisation du préjudice invoqué en suite de la rupture du contrat, forme pourvoi en cassation.

Tout d’abord, la Cour de cassation affirme par un attendu aux termes clairs que l’indemnisation du préjudice issu d’une rupture brutale des relations commerciales établies doit être fondée sur les dispositions du Code de commerce, sans pour autant écarter toute possibilité de demande d’indemnisation en droit commun si un préjudice distinct peut être démontré : « les dispositions de l’article L. 442-6 I 5°, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, étant exclusives de celles de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil, c’est à bon droit que la Cour d’appel a retenu qu’en l’absence de toute faute délictuelle distincte établie, la demande fondée sur ce dernier texte devait être rejetée ». La responsabilité spécifique du régime de la rupture brutale prévue par le Code de commerce est donc ici rappelée.

Ensuite, la Cour d’appel avait rejeté les demandes du mandataire-gérant pour rupture brutale des relations commerciales établies en retenant que l’application de l’article L.442-6 I 5° du Code de commerce devait être écartée au profit d’autres dispositions spéciales, à savoir l’article L.146-4 du Code de commerce. Cette dernière disposition vient encadrer le régime des contrats de gérance-mandat et précise que ce contrat spécial « peut prendre fin à tout moment dans les conditions fixées par les parties » et qu’en cas de résiliation par le mandant, sauf faute grave du gérant-mandataire, une indemnité lui est due.

La Cour de cassation effectue une clarification bienvenue sur l’articulation devant être retenue entre les deux articles du Code de commerce. La haute juridiction affirme que, bien que l’article L.146-4 du Code de commerce prévoit « une indemnité minimale au profit des gérants-mandataires en cas de résiliation du contrat sans faute grave de leur part, il ne règle en aucune manière la durée du préavis à respecter, que le même texte laisse à la convenance des parties, ce dont il se déduit qu’ont vocation à s’appliquer les règles de responsabilité instituées par l’article L.442-6 I 5° du même code lorsque le préavis consenti est insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale établie entre les parties et des autres circonstances ».

Bien que relatives à d’autres dispositions légales que celles visées au premier attendu, la Cour de cassation n’en admet pas moins ici une autre sorte de cumul possible. La haute juridiction affirme en effet que l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce est bien applicable en l’espèce, cela en outre de l’article spécifique au gérant-mandataire, ces deux dispositions ayant un champ d’application distinct.

Une comparaison intéressante mérite d’être relevée ici relativement au mouvement jurisprudentiel écartant l’application de l’article L.442-6 I 5° du Code de commerce pour les contrats d’agence commerciale. Cela alors même que l’agence commerciale renvoie bien à un contrat de mandat, comme celui de gérance-mandat.

La différence entre ces deux contrats tient au fait que l’article L.134-11 du Code de commerce vient régir précisément la fin du contrat d’agence et fixe, lui, une durée du préavis de rupture d’un contrat d’agence commerciale, lequel préavis ne peut dépasser trois mois quelle que soit la durée des relations contractuelles. A l’inverse, l’article L.146-4 du Code de commerce relatif au gérant-mandataire ne fixe aucunement la durée du préavis à respecter. C’est ce point de divergence qui permet ainsi à la Cour de cassation d’admettre un contrôle de la fin de la relation contractuelle en application du régime de la rupture brutale des relations commerciales établies pour la gérance-mandat, là où cette application est refusée en agence-commerciale.

Enfin, concernant la clause de non-concurrence prévue au contrat, la Cour de cassation valide l’interprétation des juges du fond ayant retenu la nullité de la clause, notamment pour insuffisance de délimitation dans l’espace et dans le temps. La Cour de cassation reprend ainsi les spécifications factuelles établies en seconde instance pour indiquer que « la clause de non-concurrence prévue au contrat, qui fixe à un rayon de cinquante kilomètres à vol d’oiseau autour des magasins GIFI l’interdiction pour [le gérant-mandataire] d’exercer une activité concurrente, conduit, compte tenu de la densité du réseau de la société GIFI sur l’ensemble du territoire français et de la diversité de son activité, à une impossibilité, de fait, de toute réinstallation ; qu’il retient encore que la clause ne décrit ni n’établit l’intérêt légitime de la société GIFI, justifiant une telle interdiction pendant une durée de deux années ».

Il peut être relevé ici que la Cour de cassation ne se prononce pas sur le point de savoir si la zone géographique de cinquante kilomètres pourrait correspondre à une zone géographique raisonnable. A noter que le contrat a été résilié avant l’entrée en vigueur de l’article L.341-2 du Code de commerce, relatif au commerce en détail et issu de la loi Macron, et donc non applicable en l’espèce. Toutefois, il aurait de toute manière été considéré, en cas d’application de cette disposition, que la zone était bien disproportionnée car non limitée aux terrains et locaux à partir desquels l'exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat.

De plus, la Cour n’apporte pas non plus de développement relatif à la délimitation selon la zone d’attraction du magasin en lui-même. Au contraire, la haute juridiction renvoie à une appréciation, d’une part, par un facteur exogène de la « densité du réseau » sur l’ensemble du territoire, et d’autre part, par « la diversité de [l’] activité » de la société GIFI, sans s’attarder sur une possible définition de l’activité de bazar, laquelle prise dans son ensemble, aurait pu permettre une délimitation d’une activité pouvant valablement être protégée. Il aurait fallu que le rédacteur du contrat caractérise mieux ce que pouvait être la possible activité concurrente de ce type de société, de même que prévoir contractuellement une définition précise du savoir-faire à protéger selon l’activité et justifiant la mise en place de ladite clause de non-concurrence, définition qui semble avoir fait défaut en l’espèce.

Cour de cassation, Chambre commerciale, 2 octobre 2019, n° 18-15.676

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