lundi 30 janvier 2017

Limite au principe de la libre négociabilité tarifaire : le déséquilibre significatif

Aux termes d’un arrêt rendu le 25 janvier 2017 (pourvoi du GALEC sur la décision de CA Paris 1er juillet 2015), la Cour de cassation a jugé que le prix résultant de la négociation commerciale pouvait être contrôlé par l’administration et sanctionné sous l’angle du déséquilibre significatif de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.

1. On se souvient que le 1er juillet 2015, la Cour d’appel de Paris avait condamné LE GALEC, le groupement d'achats des centres Leclerc, à restituer aux fournisseurs, par l’intermédiaire du Trésor Public, une somme de plus de 61 millions d’euros indûment versée par les fournisseurs, et à une amende civile de 2 millions d’euros. La Cour d’appel avait en effet considéré que deux clauses prévues dans les contrats-cadres conclus entre LE GALEC et les fournisseurs créaient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et avait prononcé l’annulation de ces clauses.

Pour rappel, les deux clauses concernées étaient les suivantes :

  • une clause prévoyant le versement de ristournes de fin d’année soit en contrepartie de la constatation d’un courant d’affaire non chiffré, soit en contrepartie de la constatation d’un chiffre d’affaires limité par rapport au chiffre d’affaires de l’année précédente et sans commune mesure avec le chiffre d’affaires prévisionnel, ou soit sans aucune contrepartie.

  • une clause prévoyant le versement d’acompte mensuel prévisionnel de ristournes avant le paiement de marchandises et alors même que l’engagement du distributeur ne serait effectif qu’à la fin de l’année.

Cet arrêt était critiquable dans la mesure où la Cour avait considéré que la réduction de prix devait avoir une contrepartie, une cause, alors même que cela contrevenait au principe de libre négociabilité des conditions de vente et que la loi avait entendu permettre un contrôle par l’administration du prix négocié par rapport au tarif fournisseur. 

LE GALEC avait tout de suite formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. 

L’arrêt de la Cour de cassation était très attendu sur le fait de savoir si l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris allait être cassé sur ces points.

2. La Cour de cassation rend une décision surprenante.

2.1. Concernant le premier critère permettant de caractériser le déséquilibre significatif, à savoir, la preuve de l’existence d’un déséquilibre significatif.

En l’espèce, LE GALEC reprochait dans un premier temps à l’arrêt d’avoir considéré que « la loi avait entendu permettre un contrôle par l’administration du prix négocié par comparaison avec le tarif fournisseur » alors qu’il résulte d’une décision n°2010-85 QPC du 13 janvier 2011 du Conseil constitutionnel que l’incrimination prévue à l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce n’était conforme au principe de légalité des délits et des peines que dans le mesure où la notion de « déséquilibre significatif » renvoie à la notion qui figure à l’article L. 132-1 du Code de la consommation et qu’en vertu de cet article, l’appréciation du « déséquilibre significatif » ne peut pas porter sur l’adéquation du prix au bien vendu. 

LE GALEC soutenait ainsi que le « déséquilibre significatif » au sens du Code de commerce ne pouvait résulter de l’inadéquation du prix au bien vendu.

Sur ce point, la Cour de cassation considère que la similitude entre les notions de « déséquilibre significatif » prévues dans le Code de commerce (art. L. 442-6, I, 5°) et dans le Code de la consommation (art. L. 132-1 devenu art. L.212-1) n’exclut pas qu’il puisse exister des différences de régime entre elles en raison des objectifs pousuivis par le législateur, en particulier quant à la catégorie des personnes qu’il a entendu protéger et de la nature des contrats concernés. Elle considère ainsi que l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce n’exclut pas, contrairement à l’article L. 212-1 du Code de la consommation, que « le déséquilibre significatif puisse résulter d’un inadéquation du prix au bien vendu ».

Elle ajoute que la Cour d’appel a exactement retenu que la loi du 4 août 2008, en exigeant une convention écrite indiquant le barème de prix du fournisseur et ses conditions générales de vente, avait entendu permettre une comparaison entre le prix arrêté par les parties et le tarif initialement proposé par le fournisseur. 

La Cour de cassation juge donc que l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce « autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». 

GALEC reprochait également à la Cour d’appel :

  • d’avoir considéré, pour juger que la RFA GALEC créait un déséqulibre significatif, que la loi LME n’avait pas supprimé la necessité de contrepartie, que la réduction de prix accordée par le fournisseur devait avoir pour cause l’obligation prise par le distributeur à l’égard du fournisseur et qu’en l’espèce la RFA GALEC était dépourvue de contrepartie réelle, alors que, selon LE GALEC :

    o la loi LME a instauré le principe de libre négociabilité des tarifs et supprimé l’obligation de justifier toute réduction du prix fournisseur par une contrepartie ;

    o si l’article L. 441-7 du Code de commerce prévoit que la convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur indique les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale et qu’elle fixe, notamment, les conditions de l’opération de vente, y compris les réductions de prix, il n’en résulte pas pour autant que toute réduction de prix ne puisse intervenir qu’en contrepartie d’une obligation consentie par l’acheteur ;

    o que dans l’hypothèse où l’article L. 441-7 du Code de commerce exigerait une contrepartie à toute réduction de prix, l’éventuelle méconnaissance de cette exigence ne conduit pas nécessairement à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce ;

  • de ne pas avoir évalué le juste prix du produit et recherché si le tarif obtenu à la suite de la réduction de prix s’écartait significativement de ce juste prix, alors que la caractérisation de l’infraction à l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce suppose que le juge ait mis en balance les droits et obligations des parties au contrat, en les appréciant de manière concrète, que l’obligation imposée au cocontractant ait créé un déséquilibre dans les les droits et obligations des parties et que le déséquilibre soit significatif.

Sur ce point, la Cour de cassation, rappelle que la Cour d’appel a :

  • relevé que la libre négociabilité tarifaire se traduit notamment par la possibilité pour le fournisseur de convenir avec le distributeur de conditions particulières de vente mais que les obligations auxquelles les parties s’engagent en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale doivent néanmoins être formalisées dans une convention écrite ;

  • qu’il en a déduit que la formalisation des engagements des parties dans un document unique doit permettre à l’admnistration d’exercer un contrôle a posteriori sur la négociation commerciale et sur les engagements pris par les parties.

Elle considère ainsi que la Cour d’appel a déduit à bon droit que «  le principe de la libre négociabilité n’est pas sans limite et que l’absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants, même lorsque ces obligations n’entrent pas dans la catégorie des services de coopération commerciale, peut être sanctionnée par l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dès lors qu’elle procéde d’une soumission ou tentative de soumission et conduit à un déséquilibre significatif ».

La Cour de cassation confirme donc qu’il doit exister une contrepartie, une justification, aux conditions de l’opération de vente résultant de la négociation commerciale, y compris aux réductions de prix, alors même que ces obligations ne rentrent pas dans le catégorie des services de coopération commerciale.

Il existe donc une limite au principe de la libre négociabilité du prix : l’absence de négociation, sanctionnée par le biais du déséquilibre significatif.

Elle précise également que la Cour d’appel a retenu à bon droit que les clauses litigieuses créaient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties dès lors qu’il apparaissait que :

  • les fournisseurs avaient versé des RFA alors que le distributeur n’avait pris aucune obligation ou aucune obligation réelle à leur égard : les clauses relatives à la RFA prévoyaient en effet le paiement de cette ristourne, soit en contrepartie de la constatation d’un courant d’affaire non chiffré, soit en contrepartie de la constatation d’un chiffre d’affaires inférieur de près de la moitié à celui réalisé l’année précédente et l’année durant laquelle la RFA était due, soit sans aucune contrepartie ;

  • les acomptes dus au titre de la RFA étaient calculés sur un chiffre d’affaires prévisionnel, proche de celui effectivement réalisé et très supérieur au montant du chiffre d’affaires sur lequel LE GALEC s’était engagé envers le fournisseur pour obtenir la réduction de prix :

  • le contrat permettait au distributeur d’obtenir le paiement des acomptes avant que le prix des marchandises ait été réglé, ce qui lui permettait d’obtenir une avance de trésorerie aux frais du fournisseur ;

  • LE GALEC n’alléguait pas que d’autres stipulations permettaient de rééquilibrer le contrat-cadre.

2.2. Concernant le deuxième critère permettant de caractériser le déséquilibre significatif, à savoir, la soumission d’un partenaire au déséquilibre significatif.

LE GALEC reprochait à la Cour d’appel d’avoir, pour établir l’existence d’une soumission, considéré que : 

  • la différence de taux de ristourne appliqué aux fournisseurs n’était pas la preuve d’une négociation, 

  • LE GALEC ne démontrait pas l’existence de négociations avec les fournisseurs, 

  • l’annexe 2 des contrats-cadres avait été pré-rédigée par LE GALEC puis signées par les fournisseurs sans modification, 

  • il existait une contradiction entre cette annexe et l’article V des contrats-cadres quant au délai de paiement.

alors que la preuve d’une soumission ne peut résulter que d’éléments démontrant que le distributeur a exercé des pressions sur les distributeurs auxquelles ils ne pouvaient résister et qu’en statuant ainsi, elle a renversé la charge de la preuve.

La Cour de cassation considère que la Cour d’appel a caractérisé la soumission requise par l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce en faisant ressortir que « les clauses litigieuses pré-rédigées par GALEC constituaient une composante intangible de tous les contrats examinés et n’avaient pu faire l’objet d’aucune négociation effective ».

La Cour d’appel a en effet déduit que la ristourne avait été imposée aux fournisseurs ayant signé les contrats-cadres sans pouvoir les modifier car :

  • les 118 contrats-cadres et leurs annexes ont été paraphés et signés par tous les fournisseurs alors même qu’il existait une contradiction concernant les délais de paiement de la ristourne entre l’article V des ces contrats et l’annexe 2 ;

  • la différence de taux de ristourne entre les fournisseurs n’était pas la preuve d’une négociation dans la mesure où les différents taux figuraient dans l’annexe 2 pré-rédigée par LE GALEC qui ne démontrait pas l’existence de négociations avec les fournisseurs.

Le pourvoi de LE GALEC est donc rejeté dans son intégralité.

Cass. com. 25 janvier 2017 n° 15-23.547

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