mardi 18 octobre 2016

Condamnation du groupe Carrefour à cesser l’utilisation de clauses constitutives de déséquilibre significatif dans les contrats conclus avec ses fournisseurs.

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel ayant condamné le groupe Carrefour à cesser d’utiliser certaines clauses constitutives de déséquilibre significatif dans les contrats conclus avec ses fournisseurs et à payer une amende de 500.000 euros.

La Cour d’appel, jugeant que certaines clauses des contrats des sociétés du groupe Carrefour (article 3 et annexe 16 de la convention de partenariat 2009, articles 8-2 et 8-5 et annexe 1-4 des conditions générales d’approvisionnement) créaient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, a enjoint à ces dernières de cesser pour l’avenir la pratique consistant à mentionner ces clauses dans leurs contrats et les a condamné à payer une amende civile de 500.000 euros.
Les sociétés du groupe Carrefour reprochent notamment à la Cour d’appel d’avoir purement et simplement prohibé, quelle que soit la personne du fournisseur, l’insertion de certaines clauses dans les conditions générales d’approvisionnement et la convention de partenariat :

-    sans analyse concrète et globale des contrats en cause et sans examen concret des rapports de force en présence ;

-    sans avoir examiné les clauses du contrat finalisé et conclu mais uniquement le contrat type ;

-    alors même qu’elle a constaté que les fournisseurs de la grande distribution se caractérisaient par leur hétérogénéité et que peu d’entre eux pouvaient se permettre d’être déréférencés ou d’engager une action en justice contre un distributeur comme Carrefour, ce dont il résultait que certains fournisseurs n’étaient donc pas en position de faiblesse vis-à-vis du distributeur et qu’ils disposaient effectivement de la possibilité de négocier ;

-    sans rechercher si certains fournisseurs ne pouvaient, par leur puissance économique, le nombre important de références produits qu’ils proposent et, pour certaines d’entre elles, leur caractère incontournable, rendre impossible au distributeur d’envisager leur déréférencement, de sorte que le rapport de force avec ce dernier s’en trouvait, sinon inversé, à tout le moins équilibré.

La Cour de cassation estime que l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce relatif au déséquilibre significatif peut s’appliquer à un contrat-type proposé à des fournisseurs et que les sociétés du groupe Carrefour n’avaient pas soutenu que certains fournisseurs, à raison de leur puissance économique, du nombre important de références qu’ils proposaient ou de leur caractère incontournable, étaient parvenus à obtenir la suppression des clauses litigieuses dans le cadre de négociation.

Concernant plus particulièrement l’article 3 de la convention de partenariat et les articles 8-2 et 8-5 des conditions générales d’approvisionnement, les sociétés du groupe Carrefour reprochaient à la Cour d’appel de s’être bornée à examiner l’existence d’un déséquilibre significatif au regard de la prérogative dont disposait le distributeur, en cas de non-respect de la contrainte de date et d’heure de livraison, de refuser la livraison et d’en acquitter le prix, sans examiner si ce risque n’était pas par avance pris en compte par le fournisseur dans l’élaboration de son prix.

La Cour de cassation considère que la Cour d’appel a correctement fait ressortir une absence de réciprocité et une disproportion entre les obligations des parties dès lors que les clauses litigieuses accordaient au distributeur « une prérogative qui leur permettait d'annuler la commande, de refuser la livraison en totalité ou en partie, en laissant tous les frais à la charge du fournisseur, et de demander réparation du préjudice subi, en cas de retard d'une heure, voire d'une demi-heure pour les produits frais et en "flux tendus", ce dispositif se cumulant avec des pénalités financières » alors qu’aux termes de l'article 8-5 des mêmes conditions générales, les sociétés Carrefour ne s'engageaient « qu'à tout mettre en œuvre afin de respecter les horaires définis dans la prise de rendez-vous, dans une fourchette d'une heure maximum au-delà de l'heure fixée, le principe de dédommagement des surcoûts engendrés par le retard dû à leur propre fait s'établissant sur la base d'une négociation préalable avec le fournisseur »  et que « la prérogative du distributeur lui était reconnue quelles que soient les circonstances et alors même qu'il serait informé du retard moins de 24 heures avant l'horaire de livraison prévu, sans à avoir à justifier de l'impossibilité de réceptionner la commande, ni devoir fournir aucune autre justification ».  En outre, les conditions générales d'approvisionnement prévoyaient le montant et le mode de calcul de la pénalité applicable au fournisseur, lui conférant un caractère automatique, tandis qu'elles se contentaient de renvoyer à une négociation préalable pour fixer la pénalité qui serait due par les sociétés Carrefour, ce qui donnait à cette sanction non chiffrée un caractère éventuel.

Concernant plus particulièrement l’annexe 1-4 des conditions générales d’approvisionnement, elles reprochaient à la Cour d’appel d’avoir considéré comme constitutif d’un déséquilibre significatif la clause permettant au distributeur de refuser une marchandise dont la date de limite de consommation (DLC) ou la date limite d’utilisation optimale (DLUO) était identique à celle figurant sur les produits précédemment livrés par le fournisseur, sans préciser quelle contrainte le contrat faisait peser le fournisseur.

La Cour de cassation relève que la Cour d’appel a correctement constaté « une disproportion dans les droits des parties que les impératifs de sécurité et de fraîcheur des produits, comme le risque de désorganisation des entrepôts ou des magasins ne justifiaient pas » après avoir relevé que :

-    les stipulations du "contrat-date" fixaient d'un commun accord le délai nécessaire pour que les marchandises soient vendues dans de bonnes conditions de fraîcheur et que l'article 1-4 des conditions générales d'approvisionnement exigeait par ailleurs que les produits livrés par le fournisseur ne comportent pas une DLC ou une DLUO qui soit antérieure ou identique à celle figurant sur des produits déjà livrés, cette stipulation autorisant ainsi le distributeur à refuser une marchandise conforme au contrat-date au seul motif que cette dernière stipulation ne serait pas respectée ;

-    si le refus d'une livraison de produits comportant une DLC ou DLUO antérieure à celle figurant sur les produits déjà livrés se justifiait par les nécessités de gestion des stocks et des magasins du distributeur, tel n'était pas le cas de la faculté de refuser une livraison de produits présentant des dates limites identiques à une livraison antérieure, puisque cette situation n'occasionnait aucune désorganisation des stocks du distributeur ;

-    de telles livraisons permettaient par ailleurs de respecter les obligations du distributeur à l'égard des consommateurs dès lors que les dates figurant sur les produits étaient conformes au délai du contrat-date.

Concernant enfin l'annexe 16 de la convention de partenariat 2009, elles reprochaient à la Cour d’appel d’avoir déduit un déséquilibre significatif de la comparaison entre les délais de paiement impartis au distributeur dans le cadre des contrats de vente le liant à ses fournisseurs et les délais de paiement impartis aux fournisseurs pour s'acquitter du paiement des prestations de coopération commerciale fournies par le distributeur :

-    alors que « les droits et obligations issus de chacun de ces contrats, qui avaient des contreparties et des objets différents, étaient indépendants les uns des autres, de telle sorte que l'existence d'un déséquilibre devait être examinée à l'aune de chacun de ces contrats pris individuellement et non en extrayant artificiellement une clause de chacun d'eux pour les confronter » et que « le déséquilibre significatif  dans les droits et obligations des parties ne peut être déduit de la confrontation de clauses extraites de contrats indépendants les uns des autres, sauf à en constater le caractère indivisible et que le contrat de coopération commerciale liant le distributeur à un fournisseur met à la charge des parties des obligations différentes et indépendantes de celles issues du contrat de vente, peu important que la facturation des prestations de coopération soit établie en fonction du volume des ventes » ;

-    sans aucunement examiner si « la différence n'était pas justifiée par des considérations liées aux prestations et aux modalités de fixation et de paiement du prix propres à chacun de ces contrats, alors que le prix dont le fournisseur devait s'acquitter au titre de la coopération commerciale, à la différence du prix de vente des marchandises établi sur la base de produits commandés et livrés, était établi sur la base d'une estimation fondée sur le volume des ventes réalisés par ce dernier auprès du distributeur lors du précédent exercice et lissé par le paiement d'acomptes mensuels périodiquement réajustés en fonction des volumes effectivement vendus, de telle sorte que les modalités de paiement, échelonné mensuellement et prévisible, justifiaient des délais de paiement à 30 jours que le distributeur lui-même devait au demeurant réciproquement respecter s'il devait restituer un trop-perçu au titre de ce même contrat ».

La Cour de cassation relève que la Cour d’appel a correctement déduit que cette situation créait un solde commercial à la charge du fournisseur, source d'un déséquilibre significatif, peu important que les délais de paiement concernent des obligations différentes après avoir relevé que l'annexe 16 de la convention de partenariat prévoyait que les prestations de coopération commerciale fournies par le distributeur sont calculées à partir d'un pourcentage estimé du chiffre d'affaires, qu'elles sont payées par les fournisseurs, non lors de leur réalisation, mais suivant un calendrier d'acomptes mensuels, et que les factures d'acompte liées à ces prestations sont payables à 30 jours, tandis que les fournisseurs sont réglés dans un délai de 45 jours pour les produits non alimentaires.

Le pourvoi des sociétés du groupe Carrefour est donc rejeté.

Cass.com., 4 octobre 2016, n°14-28.013