mardi 14 février 2017

Durée de préavis : prise en compte du potentiel de reconversion de la victime de la rupture brutale dans le groupe Casino

L’augmentation du flux d’affaires avec la société Franprix parallèlement à la rupture brutale des relations par la société Leader Price doit être prise en compte dans l’appréciation de la durée du préavis qui aurait dû être accordée par la société Leader Price.

La société Normandie Distribution Nordis (ci-après dénommée la société "Nordis") exerçant une activité d'édition promotionnelle dans le secteur de l'imprimerie réalisait l'essentiel de son chiffre d'affaires avec la société Franprix depuis 40 ans et avec la société Leader Price Holding depuis 20 ans, sans qu’aucun contrat n’ait été conclu.

Les relations se sont maintenues lorsque la société Casino est devenue propriétaire de ces deux enseignes en 1997.

Fin 2007, la société Franprix a réorganisé son courant d'affaires et a fait de la société Nordis son partenaire privilégié pour ses travaux d'impression. Parallèlement, la société Leader Price a cessé ses relations commerciales avec la société Nordis.

En décembre 2008, la société Franprix a proposé à la société Nordis de conclure un contrat afin de formaliser leurs relations. Selon le groupe Casino, ce contrat devait entériner un accord verbal intervenu entre les parties en 2007 prévoyant la cessation des relations commerciales entre le sociétés Nordis et Leader Price sans compensation financière pour la Société Nordis  en contrepartie de l'augmentation du volume d'affaires entre les sociétés Nordis et Franprix, ainsi qu'une clause stipulant un délai de préavis de trois mois.

La société Nordis a refusé de signer ce contrat.

Compte tenu du refus de la société Nordis de contractualiser leurs relations, la société Franprix a indiqué en mars 2011 qu’elle lançait un appel d’offres auquel la société Nordis était invitée à participer, en vue de  désigner son prestataire dans le domaine de l'impression de supports marketing à compter du 1er avril 2012.

La société Nordis a donc assigné les sociétés Franprix et Leader Price en rupture brutale des relations commerciales.

Déboutée de ses demandes et condamnée à verser aux sociétés Franprix et Leader Price la somme de 20.000 euros chacune, la société Nordis interjette appel du jugement.

L’existence de relations commerciales établies (40 ans avec Franprix et 20 ans avec Leader Price) n’est pas contestée.

1. Sur les relations commerciales avec la société Leader Price

Sur l’existence d’une rupture brutale

Il n’est pas contesté que les relations commerciales avec la société Leader Price ont été rompues en août 2017 sans préavis, le débat portant sur l’existence de l’accord verbal intervenu entre les parties selon lequel la rupture des relations commerciales avec la société Leader Price sans préavis aurait été validée en contrepartie de l'augmentation des relations d'affaires entre les sociétés Nordis et Franprix, et du basculement du flux d'affaires de la société Leader Price vers Franprix.

La Cour considère qu'en l'absence de preuve de l'existence dudit accord verbal, la possibilité de prévoir contractuellement une dérogation à l'obligation d'indemnisation de la rupture sans préavis au regard des dispositions d'ordre public de L. 442-6-I, 5° du Code de commerce est sans objet.

Elle indique cependant que la société Nordis ne conteste pas l’augmentation de son flux d’affaires avec la société Franprix, notamment avec sa holding,  et que ces faits doivent être pris en compte dans l’appréciation de la durée du préavis qui aurait dû être accordée.

Elle considère ainsi que la société Leader Price a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Nordis sans préavis, nonobstant la poursuite par la société Nordis ou de sa holding, d'un courant d'affaires avec la société Franprix, les sociétés Leader Price et Franprix étant deux entités juridiques distinctes et infirme le jugement.

Sur la durée du préavis

La Cour fixe la durée de préavis à 12 mois compte tenu :

  • De l'ancienneté de la relation commerciale (près de 20 ans) ;
  • du potentiel de reconversion de la société Nordis ou de sa holding au sein du groupe Casino ;
  • de la faible dépendance économique de la société Nordis qui réalisait seulement 30 à 40 % de son chiffre d'affaires avec la société Leader Price.

Sur le préjudice 

La  Cour rappelle dans un premier temps que le préjudice résultant d'une rupture brutale de la relation commerciale établie doit être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qu'aurait dû respecter le cocontractant.

Dans un second temps, elle relève que le taux de marge brute à retenir doit être
appliqué à la moyenne du chiffre d'affaires annuel des trois dernières années et fixe le montant de l'indemnité à la somme de 885.036,95 euros.

Enfin, elle relève qu’il n'y a pas lieu de diminuer cette somme d'un montant hypothétique qui serait lié à la crise économique, son impact sur ce secteur n'étant pas suffisamment établi, ni de l’augmenter au regard d'une prétendue dépendance économique qui n'est pas démontrée.

Sur les autres préjudices

La Cour d’appel rappelle que seules les conséquences de la brutalité de la rupture ouvrent droit à
indemnisation et que la société Nordis ne démontre en quoi la rupture de la relation par la société LEADER PRICE lui aurait causé :

  • un préjudice lié aux coûts afférents aux licenciements économiques ou au fait que ces licenciements n'aient pas été effectués dans le cadre d'une réorganisation plus globale, notamment par un transfert de charges à sa holding ;
  • un préjudice pour atteinte à l'image et un préjudice moral qu’elle ne démontre d’ailleurs pas.


2. Sur les relations commerciales avec la société Franprix

La Cour relève dans un premier temps que, par un écrit du 29 mars 2011, la société Franprix a invité la société Nordis à participer à son appel d’offres en lui accordant un préavis de 12 mois si elle n'était pas retenue.

Elle relève dans un second temps que :

  • la durée de 12 mois accordée par la société Franprix est supérieure à la durée de 9 mois prévue par les usages professionnels applicables dans le secteur de l'imprimerie, et est adaptée aux circonstances particulières et à la durée des relations ;
  • la société Nordis ne produit aucun élément justifiant de fixer le préavis à une durée supérieure ;
  • au cours de ce préavis de 12 mois, la société Nordis a réalisé avec la société Franprix un chiffre d'affaires de près de 3,5 millions d'euros, qui est supérieur au chiffre d'affaires réalisé les années précédentes ;
  • elle ne justifie d'aucun préjudice supplémentaire ouvrant droit à indemnisation.

La Cour déboute donc la société Nordis de ses demandes à l'égard de la société Franprix au titre de la rupture des relations commerciales.

CA Paris, 2 février 2017, n°15/04850

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