Application du déséquilibre significatif dans les baux commerciaux
mardi 28 février 2023

Application du déséquilibre significatif dans les baux commerciaux

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Application du déséquilibre significatif dans les baux commerciaux : peut-on réputer non-écrite une clause non négociable d’un bail commercial ? 

Le principe : la notion de déséquilibre significatif ne s’applique pas encore en matière de baux commerciaux 

A ce jour encore, la notion de « déséquilibre significatif » visée à l’article 1171 du code civil n’est, officiellement, pas applicable en matière de bail commercial.

Pourtant, et principalement dans les centres commerciaux, certaines pratiques, notamment par l’imposition aux preneurs de certaines clauses, peuvent mener à créer un déséquilibre significatif entre les parties.

Pour mémoire, cet article est rédigé ainsi :

« Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

« L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».

Nous avions précédemment publié un article sur ce thème : « Le « déséquilibre significatif », une arme au bénéfice des enseignes », à la suite de l’arrêt de la Troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 février 2018 (pourvoi n° 17-11.329), rendu au visa de L. 442-6 I 2° du Code de commerce.

Nous écrivions notamment que cet arrêt ne pouvait priver les locataires de la possibilité d’agir sur le fondement du droit commun, au visa de l’article 1171 du Code civil qui s’applique aux contrats conclus ou renouvelés après le 1er octobre 2016.

En effet, même si nous connaissons au moins trois décisions ayant exclu l’application du déséquilibre significatif pour les baux commerciaux, celles-ci ont pu être rendues, soit avec une formulation « trop » générale, soit au regard d’une disposition spéciale du statut des baux commerciaux

  • TGI Nantes, 4e ch., 22 décembre 2016, n° 16/04675

    « Quelle que soit l’interprétation donnée aux règles d’application transitoire de l’ordonnance numéro 2016–131 du 10 février 2016, la règle d’interprétation des contrats d’adhésion, déjà reconnue par la jurisprudence, ne peut s’appliquer, dès lors que le contrat en cause ne répond pas à la définition du contrat d’adhésion. Le simple fait qu’il soit rédigé sur la base d’un formulaire proposé par le bailleur et que ses conditions générales soient supposées identiques pour tous les différents lots de la galerie marchande, n’entraîne pas une impossibilité de négocier les conditions générales ».

  • CA Montpelier, 23 novembre 2021, n° 18/05844

    « En effet, non seulement seul le montant des travaux pour la mise en conformité aux normes incendie doit être pris en considération et pas l'ensemble des travaux financés par le bailleur, étant observé que la nature exacte des dits travaux et leur coût réel ne sont pas clairement établis ; mais surtout cette notion de déséquilibre économique ou de déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ne s'applique pas aux baux commerciaux».

TGI Bobigny, loyers com., 20 février 2019, n° 18/00023

« Toutefois, le déplafonnement du loyer du bail renouvelé ne procède pas d’une stipulation contractuelle insérée dans un contrat d’adhésion, hypothèse visée par l’article 1171 du code civil, mais de l’application de l’article L. 145-34 du code de commerce. L’article 1171 du code civil dont se prévaut la société X est donc inapplicable en l’espèce ».

Nous pouvons aisément comprendre que l’article 1171 du code civil ne soit pas applicable lorsque sont concernées des dispositions régies par le statut des baux commerciaux.

C’est d’ailleurs précisément l’objet de l’article 1105 du code civil (et notamment de son alinéa 3), qui prévoit :

« Les contrats, qu'ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l'objet du présent sous-titre.

Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d'eux.

Les règles générales s'appliquent sous réserve de ces règles particulières ».

Par exception, le déséquilibre significatif pourrait s’appliquer aux dispositions du bail commercial  qui ne sont pas régies par le statut des baux commerciaux 

En conséquence, dès lors que les dispositions d’un bail commercial ne sont pas expressément régies par le statut des baux commerciaux, elles doivent relever du droit civil, puisque, si le contrat de bail commercial dispose d’une « dénomination propre », il reste un contrat, qui est soumis aux règles générales du droit des contrats.

On pensera dès lors à la clause d’augmentation du loyer en cas de travaux ou de cession du fonds de commerce, la clause de modification de la chose louée permettant au bailleur de modifier le bien et son environnement, la clause imposant aux preneurs de supporter les nuisances de travaux sans limitation de durée, la clause imposant une renonciation au preneur à toute réclamation relative à la surface des locaux loués, etc.

Quant au champ d’application du contrat d’adhésion, les dispositions du code civil apparaissent assez larges pour y faire entrer le contrat de bail, surtout lorsque que celui-ci porte sur des locaux situés dans un centre commercial.

Le contrat d'adhésion est tout simplement, celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties (article 1110 alinéa 2 du code civil).

Dans les centres commerciaux, il n’est pas rare que des contrats de bail, particulièrement volumineux, encadrant la relation contractuelle dans les moindres détails, soient soumis au preneur qui n’a d’autre choix que de signer.

Cette pratique est d’ailleurs nécessairement liée au fait de l'existence d'un ensemble immobilier unique.

La jurisprudence la plus récente de la cour d’appel de Paris ne semble pas exclure, de facto, le bail commercial du champ d’application du contrat d’adhésion.

S’agissant de conventions d'occupation précaires portant sur un local au sein d’un centre commercial, elle a jugé que :

« Il incombe à la partie qui se prévaut de l'article 1171 du code civil pour voir déclarer non écrite une clause créant un déséquilibre significatif à son préjudice, de démontrer en premier lieu que la convention liant les parties est un contrat d'adhésion » (CA Paris, 30 novembre 2022, n° 20/02499).

Quant à la doctrine, certains seraient favorables à l’application de ce déséquilibre significatif pour les baux commerciaux, d’autres ne le sont pas.

Si les théories développées par chacun sont fondées, ne faut-il pas avoir une approche plus pragmatique et concrète de la situation ?


Une approche pragmatique permettrait, au cas par cas, de qualifier le bail commercial de contrat d’adhésion, autorisant ainsi l'application de la notion de déséquilibre significatif


Ne faut-il pas analyser chacune des espèces et déterminer, au cas par cas, si nous sommes face à un contrat d’adhésion et à un déséquilibre significatif ?

Il convient ainsi de suivre la récente position de la cour d’appel de Paris qui invite le preneur à démontrer en premier lieu que la convention est un contrat d'adhésion.

Dans un litige entre preneur et bailleur portant sur un local commercial situé dans un centre commercial, il apparaît dorénavant opportun, pour déterminer s’il s’agit en l’espèce, d’un contrat d’adhésion, d’obtenir la communication de l’ensemble des baux dudit centre, afin de déterminer s’il existe des clauses similaires dans tous les baux, ce qui démontrerait ainsi qu’elles ont été non négociées et déterminées à l’avance par le bailleur.

Il faut d’ailleurs, en ce sens, rappeler que pour fixer un loyer dans un centre commercial, les preneurs ne manquent pas de solliciter du juge des loyers commerciaux, la communication, pour l'expertise judiciaire, de l'ensemble des baux afin de connaître les loyers pratiqués dans le centre commercial.

Cela permet de définir la valeur locative avec plus de précision, puisque l’ensemble des clauses et conditions relatives aux loyers sont alors connues, étant précisé que chaque centre commercial constitue déjà, selon la jurisprudence, une unité autonome de marché.

Pour illustration, la cour d’appel de Nîmes a fait droit à une telle demande dans les termes suivants :

« La nécessité d'obtenir des éléments de comparaison le plus exhaustif possible justifie la demande de la société X et il y sera fait droit ainsi que précisé dans le dispositif » (CA Nîmes, 20 décembre 2018, n° 18/00311).

Il convient dès lors, en cas de litige, de solliciter du bailleur, puis de la juridiction saisie le cas échéant, la communication de l’ensemble des baux, pour déterminer, si pour le cas d’espèce, il existe des clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties, créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

On relèvera d’ailleurs, sur d’autres fondements, certaines décisions qui ont pu sanctionner le bailleur, lorsque certaines clauses du bail stipulaient des clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, sans même se prononcer sur la question du contrat d’adhésion.

C’est le cas notamment des clauses imposant des conditions trop restrictives afférentes à la cession du droit au bail à l'acquéreur de son fonds de commerce.

On sait pourtant qu’en ce domaine, de manière certes étonnante, la jurisprudence n’interdit que l’interdiction, comme cela est littéralement prévu à l’article L. 145-16 du code de commerce.

Elle admet toutefois la possibilité d’imposer des clauses éminemment restrictives, ce qui permet aux bailleurs d’empêcher une cession.

Pour illustration, ont été jugées licites : 

  • la clause prévoyant l'obligation contractuelle faite au preneur de reverser au bailleur un quart du prix de cession (CA Paris, 27 juin 2007: Administrer 11/2007) ou encore 5 % du prix de cession (CA Paris, 20 février 2019, n° 17/15150) ;
  • la clause accordant au bailleur la moitié du prix de cession du fonds (CA Metz, 14 nov. 2012: AJDI 2013, p. 438) ;
  • la clause prévoyant qu'en cas de vente le preneur devra verser au bailleur une « indemnité de pas-de-porte » correspondant à la moitié du fonds (CA Grenoble, 25 janv. 2018, Loyers et copr. 2018, n° 96).

Mais quand les exigences apparaissent abusives, elles ne manquent pas d’être sanctionnées.

Pour illustration, une clause prévoyant un avantage injustifié, à savoir une augmentation de 340 % du loyer ne peut être mise en œuvre, puisqu’elle a indéniablement pour effet d’aboutir à l'échec de toute cession (CA Nouméa, 19 août 2013, Loyer et copr. 2014, no 51).

On relève que la jurisprudence se prononce de manière pragmatique, et au cas par cas.

Elle se sert ainsi de l’ordre public pour annuler les clauses qui créent un déséquilibre significatif entre les parties, alors qu’elle en tolère certaines, moins contraignantes.

Il convient d’adopter une telle méthode pour appliquer l’article 1171 du code civil aux baux commerciaux, à savoir une analyse au cas par cas.

La Haute juridiction semble au demeurant poursuivre sa démarche de rééquilibrage du contrat puisqu’elle a jugé que le refus d’agrément du bailleur en cas de cession du droit au bail, doit être motivé. 

Elle a dès lors approuvé la cour d’appel de Paris qui a considéré qu’un refus discrétionnaire, qui ne revêtait pas de caractère légitime, était constitutif d'un abus, le bailleur devant alors indemniser le préjudice causé au preneur qui n’a pu céder son bail commercial (Cass. 3ème civ., 9 mai 2019, n° 18-14.540).

Pour ne pas mentionner la notion de « clauses abusives », n’est-ce pas la preuve d’un déséquilibre significatif que la Haute juridiction tente de corriger, sur un autre fondement ?

Pourquoi ne laisserions-nous pas tout simplement la notion de déséquilibre significatif entrer dans le spectre des baux commerciaux, surtout lorsqu’aucune disposition du statut des baux commerciaux ne permet une protection du preneur ?

Il n’y a en effet aucune raison d’utiliser certaines dispositions du code civil, et non celles issues des articles 1110 et 1171.


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