Publicité pour les boissons alcoolisées : la campagne « Cuba made me » est-elle illicite ?
lundi 15 mai 2023

Publicité pour les boissons alcoolisées : la campagne « Cuba made me » est-elle illicite ?

Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris dans un litige opposant une association de lutte contre l’alcoolisme à une société de vente de produits alcoolisés sur deux publicités pour une célèbre marque de rhum permet de rappeler les critères de licité d’une publicité pour les boissons alcoolisées. 

En l’espèce, l’ANPAA avait assigné la société PERNOD RICARD France lui reprochant d’avoir fait publier deux publicités en faveur de sa marque de rhum « Havana Club » dans la revue M – le magazine du Monde et sur un affichage dans les bouches du métro parisien, qu’elle considérait comme illites. 

Pour rappel, la notion de publicité n'est pas définie dans le texte de la loi Evin.

La Jurisprudence la définit non pas quant à sa finalité qui est indifférente, mais quant à l’effet produit :

« On entend par publicité au sens des articles L. 3323-2, L. 3323-3 et L. 3351-7 du Code de la santé publique, tout acte en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article ayant pour effet, quelle qu'en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique. » (Cass. crim. 3 novembre 2004, n° 04-81123).

La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 a introduit un article L. 3323-3-1 dans le Code de la santé publique venant exclure certains messages de la notion de publicité ou propagande soumise au régime de la publicité en faveur de l'alcool. Selon cet article, “Ne sont pas considérés comme une publicité ou une propagande, au sens du présent chapitre, les contenus, images, représentations, descriptions, commentaires ou références relatifs à une région de production, à une toponymie, à une référence ou à une indication géographique, à un terroir, à un itinéraire, à une zone de production, au savoir- faire, à l'histoire ou au patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liés à une boisson alcoolique disposant d'une identification de la qualité ou de l'origine, ou protégée au titre de l'article L. 665-6 du Code rural et de la pêche maritime »

L'article L. 3323-2 du Code de la santé publique autorise “la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques dont la fabrication et la vente ne sont pas interdites”.

L'article L. 3323-4 du Code de la santé publique précise quant à lui :

« La publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.

Cette publicité peut comporter en outre des références relatives aux terroirs de production et aux distinctions obtenues (…).

Le conditionnement ne peut être reproduit que s'il est conforme aux dispositions précédentes.

Toute publicité en faveur de boissons alcooliques, à l'exception des circulaires commerciales destinées aux personnes agissant à titre professionnel ou faisant l'objet d'envois nominatifs ainsi que les affichettes, tarifs, menus ou objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, doit être assortie d'un message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé »


Les supports autorisés sont visés à l'article L. 3323-2 du Code de la santé publique qui dispose :

« La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques dont la fabrication et la vente ne sont pas interdites sont autorisées exclusivement :

1° Dans la presse écrite, à l'exclusion des publications destinées à la jeunesse, définies au premier alinéa de l'article 1er de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse ;
2° Par voie de radiodiffusion sonore pour les catégories de radios et dans les tranches horaires déterminées par décret en Conseil d'État ;
3° Sous forme d'affiches et d'enseignes sous réserve de l'article L. 3323-5-1 ; sous forme d'affichettes et d'objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État ;
4° Sous forme d'envoi par les producteurs, les fabricants, les importateurs, les négociants, les concessionnaires ou les entrepositaires, de messages, de circulaires commerciales, de catalogues et de brochures, dès lors que ces documents ne comportent que les mentions prévues à l'article L. 3323-4 et les conditions de vente des produits qu'ils proposent ;
5° Par inscription sur les véhicules utilisés pour les opérations normales de livraison des boissons, dès lors que cette inscription ne comporte que la désignation des produits ainsi que le nom et l'adresse du fabricant, des agents ou dépositaires, à l'exclusion de toute autre indication ;
6° En faveur des fêtes et foires traditionnelles consacrées à des boissons alcooliques locales et à l'intérieur de celles-ci, dans des conditions définies par décret ;
7° En faveur des musées, universités, confréries ou stages d'initiation œnologique à caractère traditionnel ainsi qu'en faveur de présentations, de dégustations, dans des conditions définies par décret ;
8° Sous forme d'offre, à titre gratuit ou onéreux, d'objets strictement réservés à la consommation de boissons contenant de l'alcool, marqués à leurs noms, par les producteurs et les fabricants de ces boissons, à l'occasion de la vente directe de leurs produits aux consommateurs et aux distributeurs ou à l'occasion de la visite touristique des lieux de fabrication ;
9° Sur les services de communications en ligne à l'exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à  la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du Code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle. »

L’article L. 3351-7 du Code de la Santé Publique dispose que : 

« Les infractions aux dispositions […], relatifs à la publicité des boissons alcooliques, sont punies de 75000 euros d'amende. Le maximum de l'amende peut être porté à 50 % du montant des dépenses consacrées à l'opération illégale.

En cas de récidive, les personnes physiques reconnues coupables de l'infraction mentionnée à l'alinéa précédent peuvent encourir la peine complémentaire d'interdiction, pendant une durée de cinq ans, de vente de la boisson alcoolique qui a fait l'objet de l'opération illégale.

Le tribunal peut, compte tenu des circonstances de fait, décider que les personnes morales sont en totalité ou en partie solidairement responsables du paiement des amendes mises à la charge de leurs dirigeants ou de leurs préposés ». 

Les infractions aux dispositions en matière de promotion des boissons alcoolisées peuvent donc entrainer la sanction de la société mais également des personnes physiques qui participent à cette même promotion, à des amendes pécuniaires et des peines d’emprisonnement, tant sur le fondement des pratiques commerciales trompeuses que sur le fondement des violations aux règles impératives en droit de la publicité portant sur les boissons alcoolisées.

En l’espèce, la première photographie litigieuse représentait un homme debout derrière un bar ou comptoir, tenant dans sa main droite une bouteille, posée sur le comptoir, de « Havana Club 7 ». L'homme ne sourit pas et garde un air sérieux. A côté de la bouteille, sur le comptoir, sont disposés des citrons verts coupés, un presse-citron, une carafe, une autre bouteille à demi-pleine sans étiquette, et un verre rempli du cocktail. Derrière l'homme sont accrochées au mur une carte de Cuba encadrée et une plaque d'immatriculation, ces deux éléments étant partiellement dissimulés par la silhouette du barman. Au fond sur une étagère se trouvent également des bouteilles d'alcool. Une grande partie du cliché est floutée.

Sur le côté gauche de l'affiche figure le logo « Havana Club » et en-dessous l'inscription en lettres capitales blanches et en très gros caractères « CUBA MADE ME * ». L'astérisque renvoie en bas à gauche à sa traduction en petits caractères « *Havana Club ' Cuba m'a fait ».

La seconde publicité reproduit un cliché représentant un homme debout derrière un bar, main droite et avant-bras droit posés sur le comptoir, avec devant lui une bouteille de « Havana Club 3 » et un verre contenant un cocktail.

En bas à droite figure l'inscription en lettres capitales mais en petits caractères « COCKTAIL DAIQUIRI REALISE PAR [P], BARMAN AU BAR SILVIA A LA HAVANE ».

L’ANAA considérait que les publicités litigieuses faisaient apparaître le lieu de consommation de la boisson alcoolique Havana Club et que les couleurs chaudes employées rappellent l'ambiance des soirées festives, l'atmosphère chaleureuse, détendue et ensoleillée de La Havane à Cuba. Elle soutenait que le barman figurant sur la publicité ne peut être rattaché au facteur humain d'une appellation d'origine.

Or la Cour d’appel relève que : « La société Pernod Ricard France démontre que les indications portées sur chacune des deux publicités sont réelles, les deux bars étant effectivement situés à La Havane et les deux hommes y figurant étant de véritables barmen exerçant en ces lieux. »

La Cour précise que : « La représentation des bars et des barmen cubains fait directement référence à l'origine géographique du produit. Or, comme l'ont exactement décidé les premiers juges, la référence à l'origine qui s'entend notamment de l'origine géographique est autorisée par l'article L. 3323-4 précité. La boisson alcoolique « rhum » n'étant pas spécifiquement cubaine mais pouvant avoir de multiples origines (îles francophones telles que Martinique, Guadeloupe, Marie-Galante et Haïti, pays hispanophones tels que Vénézuela, Cuba, République dominicaine, Nicaragua, Porto-Rico, Colombie et Guatemala, pays anglophones tels que la Barbade, les Bermudes, Anguilla, Trinidad et Tobago, région de Demerara en Guyane britannique et Jamaïque), c'est de façon licite et donc dans le respect des dispositions issues de l'article L. 3323-4 précité que les deux publicités querellées présentent au consommateur l'origine dudit rhum pour le distinguer objectivement des autres. Cette indication est donc importante pour l'information complète du consommateur sur l'origine du produit Havana Club, rhum cubain. »

Elle ajoute que « le mode de consommation est ici présenté de façon objective et informative : le rhum « Havana Club » peut servir de base à la confection d'un cocktail. C'est là un mode de consommation qui n'exclut pas d'autres façons de consommer cette boisson. La seconde publicité donne d'ailleurs une information précise sur le cocktail figurant sur le cliché, à savoir le « Daïquiri », qui est d'origine cubaine. »

Elle relève par ailleurs que « s'agissant des modalités de vente, la présentation de la boisson alcoolique dans un bar n'est qu'un exemple non exclusif, la boisson Havana Club pouvant évidemment être vendue en d'autres lieux. La publicité ne fait que présenter un lieu et un mode, à la fois de consommation et de vente de cette boisson, dans un bar et sous forme de cocktail. Cette présentation est informative et descriptive. »

La Cour juge enfin que : « l'impression générale qui se dégage de ces deux publicités n'est ni festive, aucun des deux barmen ne souriant ou n'étant en mouvement, le premier « [T] » arborant d'ailleurs un visage grave qui ne peut être qualifié d'avenant, ni particulièrement chaleureuse ou attractive. Si l'ANPAA critique avec force l'emploi de couleurs « chaudes » qui inviteraient à la consommation, c'est davantage le caractère sombre qui frappe sur le cliché avec « [T] ». Concernant l'affiche avec « [P] », la posture du barman est également très statique. La luminosité et la netteté de la photographie sont accrues par rapport au cliché du barman « [T] » dans la mesure où d'une part l'extérieur du bar est visible et où d'autre part le photographe n'a ajouté aucun effet troublant à son cliché. L'atmosphère émanant de ce second visuel n'en est pas pour autant incitative à la consommation excessive d'alcool, comme le soutient l'ANPAA. »

Elle en conclue que les deux publicités respectent les dispositions issues de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique et sont donc licites, et confirme donc le jugement qui avait débouté l'ANPAA de l'ensemble de ses demandes.

Cette décision est intéressante dans la mesure où elle identifie deux critères permettant de rendre licite une publicité pour une boisson alcoolisée, à savoir que celle-ci peut être mise en scène dans un lieu de vente ou de consommation habituel, sans que sans que l’impression générale ne soit festive. 

Un arrêt plein d’enseignement pour les publicitaires, dans un domaine où l’expression est strictement encadrée.

Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 11, 14 avril 2023, n° 21/07299

Guillaume Gouachon

Avocat associé 

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