Précisions sur la compétence en matière de pratiques restrictives de concurrence.
lundi 5 février 2018

Précisions sur la compétence en matière de pratiques restrictives de concurrence.

La compétence en matière de mesure d’instruction in futurum fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile est réservée aux seules les juridictions du premier degré spécialement désignées par les articles D. 442-3 et R. 420-3 du Code de commerce, dès lors que la mesure d’instruction est sollicitée en vue d’établir une pratique restrictive de concurrence ou une pratique anticoncurrentielle.

L’annexe 4-2-1 du Livre IV du Code de commerce (De la liberté des prix et de la concurrence), auquel renvoie l’article D. 442-3 du même code, désigne les juridictions commerciales compétentes pour l’application de l'article L. 442-6 du Code de commerce et précise que La Cour d'appel de Paris est seule compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions. 

L’annexe 4-2 du même Livre, auquel renvoie l’article R. 420-3 du Code de commerce, réserve de la même manière l’application de l’article L. 420-1 du même code à certains tribunaux et à la Cour d’appel de Paris pour connaître des décisions rendues par ces tribunaux. 

Dans un arrêt en date du 17 janvier 2018, la Cour de cassation précise sa jurisprudence concernant la compétence en matière de pratiques restrictives de concurrence et de pratiques anticoncurrentielles

En l’espèce, un contrat de franchise a été conclu le 20 novembre 2001 et dénoncé par le franchisé pour le 19 novembre 2015.  

Se prévalant de pratiques méconnaissant l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce relatif au déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, produisant également des effets anticoncurrentiels au sens des dispositions de l’article L. 420-1 du même code, le franchisé saisit, par requête, le Président du Tribunal de commerce de Grenoble, qui l’autorise à pratiquer diverses mesures d’investigation au siège d’un membre du même réseau sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, afin de recueillir des pièces en lien avec les relations nouées entre ce membre du réseau et le Franchiseur.  

L’article 145 du Code de procédure civile permet en effet de demander que soient ordonnées, sur requête ou en référé, des mesures d'instruction légalement admissibles, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige. 

Saisi d’un recours en rétractation par le franchiseur et le membre du réseau au siège duquel les mesures ont été ordonnées, le Président de ce tribunal rejette, par deux ordonnances, le recours en rétractation et fait droit à la demande du franchisé.  

Le franchiseur interjette appel de ces ordonnances devant la Cour d’appel de Grenoble. 

Pour infirmer les ordonnances rendues suite au recours en rétractation et rétracter l’ordonnance sur requête qui avait autorisé le franchisé à pratiquer des mesures d’investigation au siège d’un membre du réseau, la Cour d’appel énonce, après avoir rappelé les dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, que si « le requérant dispose du choix de saisir le président du tribunal appelé à connaître du litige ou celui du tribunal du lieu de l'exécution de la mesure d'instruction […] toutefois, ce dernier ne peut ordonner une telle mesure que dans les limites de la compétence de son tribunal ». 

Elle juge ensuite que « le tribunal de commerce de Grenoble, dans le ressort duquel la mesure d'investigation devait être exécutée, n'est pas compétent pour statuer sur un litige fondé sur l'article L 442-6 du code de commerce de sorte que son président saisi sur requête ne l'était pas pour ordonner une mesure d'investigation en application de l'article 145 du code de procédure civile ». 

La Cour d’appel de Grenoble ordonne en conséquence la restitution des originaux des documents saisis et des copies ayant pu être récupérées. 

A l’appui de son pourvoi, le franchisé soutient en substance que la Cour d’appel de Grenoble aurait violé les articles L. 442-6 III, D. 442-3 du Code de commerce, organisant la compétence juridictionnelle pour statuer sur un litige fondé sur l’article L. 442-6 du Code de commerce, aux motifs que :

  • seule la Cour d’appel de Paris pouvait, en tant que juridiction spécialisée, se prononcer, en appel, sur la compétence d’une juridiction inférieure saisie d’un litige fondé sur l’article L. 442-6 I du Code de commerce ;
  • que le juge des mesures d’instruction in futurum est compétent pour ordonner une mesure de saisie de documents destinée à être exécutée dans son ressort, même s’il peut éventuellement en résulter un litige en partie fondé sur l’article L. 442-6 I du Code de commerce ;
  • que ce juge est également compétent pour ordonner une mesure qui doit être exécutée dans son ressort, même s’il peut en résulter un litige fondé en partie sur l’article L. 442-6 I du Code commerce, dès lors que toutes les demandes ne seront manifestement pas fondées sur ce texte. 

Se posaient donc les deux questions suivantes :

 
  1. Si un tribunal non spécialisé (non désigné par l’article D. 442-3 du Code de commerce) statue sur un litige relatif à l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce, l’éventuel recours contre la décision rendue relève-t-elle de la Cour d’appel de Paris (spécialement désignée par l’article D. 442-3 du Code de commerce) ou de la cour d’appel situé dans le ressort de la juridiction ayant statué en première instance ?   

Sur cette question la Cour de cassation écarte le moyen du pourvoi et confirme sa jurisprudence du 29 mars 2017 (Cass. com., 29 mars 2017, n° 15-17.659), avec une nouvelle formulation :   

« les recours formés contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées par l’article D. 442-3 du code de commerce, quand bien même elles auraient statué dans un litige relatif à l’application de l’article L. 442-6 du même code, sont, conformément à l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, portés devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle elles sont situées, tandis que seuls les recours formés contre les décisions rendues par des juridictions spécialisées sont portés devant la cour d’appel de Paris ».  
Contrairement à ce que soutenait le pourvoi, la Cour d’appel de Grenoble était donc compétente pour statuer sur le recours formé contre les ordonnances rendues en première instance par une juridiction située sur son ressort, quand bien même cette juridiction aurait statué sur un litige portant à l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce.   

    2. Un tribunal non spécialisé peut-il connaître d'une demande de mesure d'instruction in futurum dès lors que celle-ci est sollicitée en vue d'établir une pratique restrictive de            concurrence prévue par l'article L.442-6 du Code de Commerce ? 

Cette question présente un intérêt certain puisque, comme le rappelle la Cour d’appel de Grenoble dans son arrêt, le requérant dispose du choix de saisir (i) le président du tribunal appelé à connaître du litige ou (ii) celui du tribunal du lieu de l'exécution de la mesure d'instruction. Elle est d’autant plus pertinente que l'autonomie de la mesure d’instruction in futurum prévue par l’article 145 du Code de procédure civile a été affirmée en jurisprudence, tant par rapport à la procédure de référé en général que par rapport à d’autres mesures d'instruction (Cass. ch. mixte, 7 mai 1982). La Cour de cassation a même pu caractériser cette autonomie en droit international privé en jugeant que « la mise en œuvre, sur le territoire français, de mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile est soumise à la loi française et n'impose pas au juge de caractériser le motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction au regard de la loi susceptible d'être appliquée à l'action au fond qui sera éventuellement engagée » (Cass. 2ème civ., 3 nov. 2016, n° 15-20.495). 

La Cour de cassation rejette toutefois le moyen du pourvoi et énonce : 

« que seules les juridictions du premier degré spécialement désignées par les articles D. 442-3 et R. 420-3 du code de commerce sont investies du pouvoir de statuer sur les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 ou dans lesquels les dispositions de l’article L. 420-1 du même code sont invoquées ». 

Tout en étendant la solution aux pratiques anticoncurrentielles visées à l’article L. 420-1 du Code de commerce, la Cour de cassation approuve ainsi la Cour d’appel de Grenoble d’avoir jugé que « le tribunal de commerce de Grenoble, dans le ressort duquel la mesure d’investigation devait être exécutée, n’avait pas le pouvoir juridictionnel de statuer sur un tel litige », dès lors que le franchisé se prévalait dans sa requête de pratiques méconnaissant l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce

Les juridictions du premier degré spécialement désignées pour connaître de l’application des articles L. 442-6 et L. 420-1 du Code de commerce sont donc compétentes pour connaître d’une demande de mesure d’instruction in futurum fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile dès lors que celle-ci est sollicitée en vue d’établir une pratique restrictive de concurrence ou une pratique anticoncurrentielle. 

Cass. com., 17 janv. 2018, n° 17-10.360

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