La détermination du montant de la sanction pécuniaire en cas de pratique anticoncurrentielle
mardi 18 octobre 2022

La détermination du montant de la sanction pécuniaire en cas de pratique anticoncurrentielle

Bien que la Cour d’appel de Paris confirme la solution retenue par l’Autorité de la concurrence quant au principe de l’interdiction des droits exclusifs d’importation en Martinique, elle infirme partiellement le montant de la sanction pécuniaire au titre de la proportionnalité afin de tenir compte du dommage causé à l’économie. 

L’Autorité de la concurrence avait condamné (décision 20-D-16 du 29 octobre 2020) des fournisseurs de champagne pour avoir accordé des droits exclusifs d’importation sur ses champagnes et ses distributeurs pour avoir bénéficié de ces droits en Outre-Mer sur le fondement de l’article L.420-2-1 du Code de commerce disposant que : « Sont prohibés, dans les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d'accorder des droits exclusifs d'importation à une entreprise ou à un groupe d'entreprises. »

En outre, l’Autorité de la concurrence avait également condamné les société-mères des fournisseurs de champagnes. 

Le distributeur et les société-mères ont interjeté appel aux moyens que : 

- Il n’y a pas d’exclusivité aux importations organisée depuis l’entrée en vigueur de la loi LUREL ; 

- que si l’exclusivité devait être retenue, l’exclusivité concédée remplissait les conditions de l’article L.420-4 III organisant une exemption ; 

- et qu’en tout état de cause, si l’exemption devait être écartée, le montant de la sanction devrait être recalculé quant à sa gravité et quant au dommage causé à l’économie. 

Pour retenir l’existence de droits exclusifs, la Cour d’appel retient qu’il existait une série d’accords prévoyant une clause d’exclusivité et lorsque ces accords ne prévoyaient plus de clause d’exclusivité, au vue des pièces du dossier, une pratique d’exclusivité d’importation était toujours en vigueur en Martinique. 

A ce titre, il convient de rappeler les trois enseignements offerts par la Cour d’appel qui déclare que : 

- contrairement à ceux que les appelants soutenaient, l’article L.420-2-1 concerne aussi bien les situations d’exclusivité que de quasi-exclusivité ;

- le flux d’approvisionnement passant via une centrale d’achat situé en dehors du territoire de la Martinique à des acheteurs situés, entre autres, en Martinique n’est pas de nature à remettre en cause l’exclusivité ou le statut d’importateur-grossiste exclusif ce qu’il s’agit comme l’indiquait l’Autorité de la concurrence de deux marchés distincts ; 


- l’accord organisant une exclusivité d’importation en Martinique constitue une infraction en soi au sens de l’article L. 420-2-1 du code de commerce et ce « indépendamment de son impact présumé, potentiel ou réel, sur le fonctionnement de la concurrence ».

Concernant l’imputabilité de cette pratique tant au fournisseur qu’au distributeur, la Cour d’appel de Paris écarte l’argument avancé par les appelants consistant à dire que le fondement légal n’incrimine que le fait d’accorder une exclusivité et non le fait d’en bénéficier, en rappelant à l’instar de l’Autorité de la concurrence que l’article L.420-2-1 incrimine non pas des pratiques unilatérales mais des « accords » ou des « pratiques concertées » et que dès lors cela implique « une rencontre de volontés entre plusieurs parties, il est vain de prétendre que ce texte ne serait applicable qu’à la partie accordant l’exclusivité et non à celle qui en bénéficie ».

Plus précisément, s’agissant de l’imputabilité des sociétés-mère, la Cour d’appel de Paris rappelle qu’elle a appliqué le principe de la présomption d’influence déterminante des sociétés-mères sur leurs filiales, et qu’il leur appartient de renverser la charge de la preuve, chose qu’elles n’ont pas faites. 

Afin d’écarter toute exemption de cette pratique, la Cour d’appel déclare que les appelants n’ont pas su justifier par le biais de motifs objectifs tirés de l’efficacité économique cette pratique et que dès lors, « il n’y a pas lieu, en droit, d’examiner si l’accord ou la pratique concertée « réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte ».

La Cour d’appel écarte donc chaque moyen et arguments présentés par les appelants à l’exception du montant de la sanction. 

Pour juger de la gravité de la pratique, la Cour d’appel de Paris retient que : 

- la Martinique est la « première destination d’exportation de champagne outre-mer, avec une consommation par habitant et par an plus élevée qu’en métropole » et que dès lors  « une partie significative de la population résidant à la Martinique est donc potentiellement concernée par les produits visés par les pratiques » ; 

- et que, « les consommateurs de la Martinique, comme en général outre-mer, disposent d’un pouvoir d’achat plus faible qu’en métropole, tout en étant captifs du fait de l’isolement inhérent au contexte insulaire. Ils sont particulièrement susceptibles de subir les effets de la pratique en cause, l’exclusivité faisant obstacle au renouvellement de l’offre à de meilleurs tarifs ».

Pour juger et déterminer le dommage causé à l’économie, la Cour d’appel de Paris déclare qu’ : 

- il n’est « pas possible de mesurer précisément le dommage à l’économie résultant de la pratique »  (…) « à entraver le développement d’importateurs-grossistes concurrents sur le territoire de la Martinique et à empêcher les détaillants de faire jouer la concurrence entre grossistes pour leurs approvisionnements » ; 

- « il en résulte que dans le cas des champagnes, il n’est pas possible de conclure à l’absence de pression concurrentielle, nonobstant l’absence de concurrence intra-marque à la Martinique. » ; 

Elle conclut que « le dommage à l’économie, certain dans son principe, demeure très limité, et non seulement limité comme l’a retenu l’Autorité, ce qui justifie de réformer la sanction infligée afin d’en préserver la proportionnalité ». 

Ainsi, la Cour d’appel de Paris  confirme la jurisprudence constante de l’Autorité de la concurrence et fait une application fidèle de l’esprit et de la lettre de l’article L.420-2-1 du code de commerce. 

En outre, il faut noter que la Cour d’appel de Paris revoit à la baisse le montant de la sanction au titre de la proportionnalité de la sanction au regard du dommage causé à l’économie. Ainsi, elle fait application du critère de proportionnalité de la sanction au dommage causé à l’économie et à la gravité de la sanction et ce, quand bien même la nouvelle rédaction de l’article L.464-2 I ne prévoit plus ce critère.

L’ex-Présidente de l’Autorité de la concurrence, Madame Isabelle DE SILVA avait déclaré que le critère du dommage à l’économie avait « vocation à être intégrée, comme c’est le cas au niveau européen dans celle de gravité ». 

Cour d’appel de Paris, 9 juin 2022, n°20/162887

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