Cession de fonds de commerce : validité des clauses d’agrément
samedi 12 octobre 2024

Cession de fonds de commerce : validité des clauses d’agrément

La haute juridiction reconnaît le pouvoir souverain des juges du fond d'apprécier la gravité de l'infraction à la clause du bail soumettant à l'agrément du bailleur la cession envisagée, et de prononcer la résiliation du contrat.

Un bailleur consent un bail commercial sur une parcelle en autorisant le preneur à créer un fonds de commerce de vente de voiture automobile d’occasion, neuf ou location de voiture.  

Ce preneur décide de céder son fonds de commerce, notamment le droit au bail pour le temps restant à courir. 

L’acte de cession est notifié au bailleur et ce dernier s’oppose à la cession au motif que l'activité exercée n'est pas autorisée à la clause destination du bail. 

Le bailleur saisit le tribunal judiciaire aux fins de résiliation du bail commercial, expulsion du cessionnaire et condamnation à lui payer une indemnité d'occupation. 

Ledit tribunal prononce la résiliation du bail commercial. 

Le cessionnaire interjette appel. 

Dans un premier temps, la Cour rappelle les dispositions applicables. 

- Celles de droit commun, l'article 1717 du code civil selon lequel le preneur a la liberté de céder son droit au bail si cette faculté ne lui a pas été interdite dans la convention. 

- Les dispositions spécifiques en matière de fonds de commerce, l'article L. 145-16 du code de commerce disposant que sont réputées non écrites, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail à l'acquéreur de son fonds de commerce. 

La Cour précise que l'article L. 145-16 institue un régime dérogatoire au droit commun, en prohibant les clauses d'interdiction de cession du bail à l'acquéreur du fonds de commerce, l'article 1717 restant applicable à la cession isolée du bail.  

Selon la Cour, la nullité édictée par l'article L. 145-16 du code de commerce concerne les clauses interdisant toute cession du bail conjointement à la cession du fonds de commerce. 

Les clauses qui subordonnent la cession à des contraintes particulières, mais sans empêcher la cession, sont valables. 

La validité de ces clauses est strictement limitée aux baux commerciaux. 

La Cour poursuit en indiquant qu’une jurisprudence constante et ancienne reconnaît que les clauses qui exigent l'autorisation du bailleur restent valables même dans le cas d'une cession concomitante du bail et du fonds de commerce au même acquéreur. 

Elle ajoute : 

« Les motifs de refus d'agrément sont soumis au contrôle judiciaire. 

Le refus injustifié du bailleur peut entraîner sa condamnation à des dommages-intérêts. Les tribunaux peuvent également autoriser la cession, en se fondant sur l'abus de droit. 

En l'absence de réponse à une demande d'agrément présentée en conformité avec la clause imposant l'agrément avant l'enregistrement de l'acte, le preneur est en droit de demander une autorisation judiciaire de cession. L'absence de réponse à une demande d'agrément peut également entraîner la condamnation du bailleur à des dommages-intérêts équivalents au prix de la cession envisagée. 

La clause d'agrément s'impose au cédant, et la Cour de cassation reconnaît le pouvoir souverain des juges du fond d'apprécier la gravité de l'infraction à la clause du bail soumettant à l'agrément du bailleur la cession envisagée, et de prononcer la résiliation du contrat. 

En cas de non-respect de la clause d'agrément, le bailleur est fondé à solliciter en référé la constatation de la clause résolutoire, ainsi que la condamnation du preneur au paiement des loyers et indemnités d'occupation dues, en sus de son expulsion. » 

 

Dans un deuxième temps, la Cour analyse le bail commercial considéré et observe que son article 7 prévoit l'interdiction pour le preneur de céder son droit d'occupation des lieux en partie ou en totalité, sans le consentement exprès et par écrit du bailleur. 

La cour d’appel estime que cette clause est parfaitement valable conformément aux dispositions de l'article 1717 du code civil. Pour autant, s'agissant en l'espèce d'une cession de fonds de commerce comprenant le droit au bail, elle précise qu’il convient d'appliquer l'article L. 145-16 du code de commerce. 

Elle considère que l'article 7 du bail prévoit, non pas une interdiction rendant impossible la cession du droit au bail, mais une obligation pour le preneur d'obtenir le consentement exprès et par écrit du bailleur, ce qui est parfaitement valable pour autant que le refus du bailleur soit justifié. 

La cour d’appel relève en outre une stipulation de l’acte de cession du fonds de commerce :   

« Le preneur ne pourra céder son droit au présent bail, en totalité ou en partie, qu'avec l'agrément préalable du BAILLEUR qui devra être donné par écrit, excepté son successeur dans son propre commerce »  

Or, le bailleur n'a jamais donné son accord à la cession de fonds de commerce, si ce n'est à la condition « de respecter les activités précisées dans le bail commercial ».  

Par ailleurs, la Cour constate que l'obligation pour le preneur de « Ne pas ajouter d'activité complémentaire et supplémentaire en annexe, ni transformer l'activité principale » est clairement énoncée à l'article 7 du bail et que cette obligation est rappelée dans l’acte de cession.  

Dans ces conditions, la Cour conclut que le bailleur n’a pas donné son accord exprès et par écrit à la cession envisagée et confirme la décision des premiers juges. 

Selon la Cour, le refus du bailleur d'autoriser la cession du fonds de commerce est parfaitement légitime : 

- le cédant n'a pas obtenu le consentement exprès et écrit du bailleur, 

- la société cessionnaire était informé de la difficulté tenant à l'activité de réparation, et avait déclaré vouloir faire son affaire personnelle des conséquences liées à la modification de la destination autorisée. 

Ces manquements justifient la résiliation judiciaire du bail. 

Cette décision s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence constante (CA Grenoble, 16 janv. 2020, n° 17/02139). 

Elle est l’occasion de rappeler que le refus injustifié du bailleur peut entraîner sa condamnation à des dommages et intérêts (Cass. 3e civ., 9 mai 2019, n° 18-14540) et qu’il est possible de faire appel au juge pour autoriser une cession ( Cass. 3e civ., 16 nov. 2023, n° 22-17567, F-D), en se fondant sur l’abus de droit.

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