jeudi 4 février 2016

Pouvoir du juge de donner leur exacte qualification aux faits et actes invoqués par les parties et de relever d’office une fin de non-recevoir fondée sur le pouvoir juridictionnel exclusif d’ordre public instauré en matière de rupture brutale

La Cour d’Appel de Versailles, après avoir rappelé le pouvoir qui lui est conféré par l’article 12 du code de procédure civile de donner aux faits et actes leur exacte qualification, considère que bien que le demandeur ait fondé ses demandes au visa des articles 1134, 1147 et 1149 du Code civil, les parties ont  développé des arguments tirés de la rupture brutale, que les lois spéciales dérogent aux lois générales et que les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits puisque les dispositions des articles L. 442-6 et D.442-3 du code de commerce relatives à la rupture brutale sont d’ordre public. 

Par suite, rappelant qu’il résulte de l’article D.442-3 du code de commerce et de son annexe 4-2-1 que seule la Cour d’appel de Paris est compétente pour connaître du litige fondé sur les dispositions précitées, elle relève d’office la fin de non-recevoir qui en résulte.

En 2007, une société rachète le fonds de commerce d’un concessionnaire automobile d’une marque de luxe, titulaire d’un contrat de concession et d’un contrat de service après-vente.

En juillet 2008, une filiale du concédant informe l’ensemble des concessionnaires de la résiliation des contrats de concession à leur terme, le 1er août 2010. Le concédant annonce parallèlement la réorganisation de son activité de ventes d’automobiles.

Les relations entre les parties se poursuivent cependant après cette date.

En septembre 2010, le concessionnaire est mis en demeure de régler les sommes dues au titre du contrat (le concessionnaire avait connu des retards de paiement en 2009 et 2010).

En octobre 2010, la filiale du concédant interdit au concessionnaire d’accéder au salon de l’automobile et lui annonce que son contrat ne sera pas renouvelé.

Le concessionnaire assigne son concédant et sa filiale sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil.

Le jugement considère que le contrat de concession a été valablement rompu en octobre 2010 et le contrat de service après-vente valablement résilié au 31/07/2010, déboute le concessionnaire de ses demandes et le condamne à 50.000 euros à titre de dommages et intérêts. Le concessionnaire fait appel du jugement.

Bien que l’appelante confirme qu’elle fonde ses demandes sur les articles 1134, 1147 et 1149 du Code civil et que l’intimée indique invoquer l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce seulement à titre de moyen de défense, la Cour d’appel constate que l’appelante évoque une rupture brutale des relations commerciales et que l’intimée évoque cet article pour sa demande principale.

La Cour rappelle que « Peu important que les appelants invoquent dans leurs écritures les dispositions générales de l’article 1134 au soutient de leurs prétentions à titre de fondement alternatif, dès lors qu’il est de principe que les lois spéciales dérogent aux lois générales et qu’il appartient au juge, par application de l’article 12 du code de procédure civile de donner ou restituer aux faits et actes litigieux leur exacte qualification, les parties n’ayant en l’espèce pas la libre disposition de leurs droits, puisque les dispositions des articles L. 442-6 et D.442-3 du code de commerce sont d’ordre public ».
La Cour d’appel de Versailles déclare donc l’appel du concessionnaire irrecevable, seule la Cour d’appel de Paris ayant pouvoir pour statuer sur les appels formés en matière de rupture brutale.

L’intérêt de cet arrêt réside principalement dans la qualification de « fin de non-recevoir » et non d’ « incompétence » retenue par la Cour d’appel de Versailles. Cette notion a incidence pratique non négligeable car la fin de non-recevoir peut être invoquée en tout état de cause au long de la procédure et non pas seulement in limine litis.

Autre point important : l’arrêt analysé rappelle que quand la fin de non-recevoir est fondée sur des dispositions d’ordre public comme c’est le cas en l’espèce, le juge peut la relever d’office.

Cet arrêt est dans l’exacte lignée de l’arrêt en date du 31 mars 2015 dans lequel la chambre commerciale de la Cour de cassation a affirmé que « les juges doivent relever d’office la fin de non-recevoir tirée de l’inobservation de la règle d’ordre public investissant exclusivement la cour d’appel  de Paris du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L.442-6 code commerce ».

Décision de la Cour d'appel de Versailles du 6 octobre 2015, RG n°12/02834.

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