
Nullité de l'accord d'approvisionnement exclusif à long terme malgré la prise d'engagements
Distribution exclusive : la CJUE considère que l’adoption d’une décision d’engagements par la Commission européenne n’interdit pas aux juridictions nationales de se prononcer sur l’existence d’une pratique anticoncurrentielle et de prononcer la nullité de l’accord d’approvisionnement exclusif à long terme
Le 23 novembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la possibilité pour les juridictions nationales d’annuler un accord d’approvisionnement exclusif anticoncurrentiel alors que la Commission européenne a préalablement accepté et rendu obligatoires pour l’avenir des engagements souscrits par l’entreprise mise en cause pour cet accord.
En l’espèce, en vertu d’un contrat de location-gérance, le pétrolier espagnol Repsol a donné en location à la société Gasorba une station-service sous enseigne Repsol pour une durée de 25 ans.
Le contrat de location-gérance imposait aux locataires, pendant toute la durée du contrat, de s’approvisionner exclusivement auprès de Repsol, laquelle communiquait périodiquement les prix maximaux de vente de carburant au public et permettait aux locataires d’accorder des réductions imputées sur leur commission, sans diminuer les revenus du fournisseur.
Le 12 avril 2006 la Commission a accepté et rendu obligatoires des engagements souscrits par Repsol concernent la distribution exclusive de carburant aux stations-service. En vertu de cette décision, ce dernier s’engageait à autoriser toutes les stations-service avec lesquelles il avait passé un contrat de fourniture à long terme à résilier ce contrat en échange du versement de certaines indemnités.
Or, la société Gasorba souhait (i) non seulement résilier le contrat qui la liait à Repsol, mais également (ii) en demander la nullité sur le fondement de l’article 101, § 2, TFUE, ainsi que (iii) réparation du préjudice résultant de l’application dudit contrat, estimant qu’il était contraire à l’article 101 TFUE. Déboutée de sa demande par le Tribunal de commerce de Madrid, puis par la Cour provinciale de Madrid, la société Gasorba s’est pourvue en cassation devant la Cour suprême espagnole qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice une question préjudicielle.
En substance, la juridiction de renvoi demandait si l’article 16, § 1, du règlement n° 1/2003 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale constate la nullité d’un accord entre entreprises sur le fondement de l’article 101, § 2, TFUE, lorsque la Commission a préalablement accepté des engagements concernant ce même accord et les a rendus obligatoires dans une décision prise au titre de l’article 9, § 1, de ce règlement.
Pour rappel, l’article 16 du règlement 1/2003 relatif à l’application uniforme du droit européen de la concurrence, prévoit que lorsqu’elles statuent sur des faits ayant déjà fait l’objet d’une décision de la Commission européenne, les juridictions nationales ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de cette décision.
La Cour de justice dit pour droit que l’article 16 du règlement n°1/2003 doit être interprété en ce sens qu’une décision sur les engagements adoptée par la Commission concernant certains accords entre entreprises ne s’oppose pas à ce que les juridictions nationales examinent la conformité desdits accords aux règles de concurrence et constatent, le cas échéant, la nullité de ces derniers en application de l’article 101, § 2, TFUE.
La CJUE rappelle qu’une décision d’engagements ne certifie pas la conformité de la pratique, qui faisait l’objet de préoccupations. En effet, la Commission ne s’étant livrée qu’à une simple « évaluation préliminaire » de la situation concurrentielle, la décision d’engagements n’a pas pour objet d’établir s’il y a eu ou s’il y a toujours une infraction.
Ainsi, une juridiction nationale peut statuer sur la conformité d’un accord d’approvisionnement exclusif à long terme, et prononcer une sanction, quand bien même l’entreprise concernée aurait déjà pris des engagements rendus obligatoires par la Commission européenne visant à atténuer les risques d’effets anticoncurrentiels découlant d’une telle pratique.
La CJUE considère en effet que la décision d’engagements ne saurait créer une confiance légitime à l’égard des entreprises concernées quant au fait que leur comportement serait conforme à l’article 101 TFUE. Elle ne saurait « légaliser » le comportement de l’entreprise concernée sur le marché, et encore moins rétroactivement.
Le juge national doit néanmoins tenir compte de l’évaluation préliminaire de la Commission et de la considérer comme un indice, voire comme un commencement de preuve, du caractère anticoncurrentiel de l’accord en cause au regard de l’article 101, § 1, TFUE.
Il convient donc de mesurer les effets d’une décision d’engagements : bien qu’elle ne constate pas l’existence d’une pratique anticoncurrentielle et dispense les entreprises concernées d’une amende, elle ne les protège pas des conséquences ni d’une action en réparation du dommage concurrentiel, ni des conséquences de la nullité des accords ou décisions interdits.
Dès lors, il appartient aux enseignes de se montrer très vigilantes dans la rédaction de leurs contrats de distribution exclusive et notamment s’agissant de leurs clauses d’approvisionnement exclusif.
CJUE 23 novembre 2017, affaire C-547/16 Gasorba SL, Josefa Rico Gil, Antonio Ferrandiz Gonzales c/ Repsol Comercial de Productos Petroliferos SA
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