Rupture brutale : quand une relation commerciale est-elle établie ?

S’il est interdit de rompre brutalement une relation commerciale, encore faut-il que celle-ci soit établie. La Cour de cassation vient d’apporter des précisions sur le caractère établi ou non d’une relation commerciale.

On ne met pas fin à une relation de la même manière selon que ladite relation ait été bien établie ou au contraire précaire. Pour ce qui est plus spécifiquement des relations commerciales un article du code de commerce encadre d’ailleurs les modalités de la rupture. 

En effet, l’article L.442-1 II du Code de commerce, qui figure au sein de la section relative aux pratiques restrictives de concurrence, nous indique : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. (…) » Cet article pose également le principe d’un préavis maximum de 18 mois et précise que cela n’empêche pas de rompre sans préavis en cas de faute de l’autre partie ou de force majeure.

Si cet article est applicable en cas de « relation commerciale établie », il ne précise pas les critères permettant de considérer qu’une relation commerciale est établie. 

Dans un arrêt récent du 22 mars 2023 (n°21-22741) la Cour de cassation apporte une illustration de la manière d’apprécier ce caractère établi ou non d’une relation. 

Le litige portait sur un contrat de concession commerciale tripartite par lequel une société se voyait conférer une exclusivité de distribution de lait en poudre pour le territoire du Cameroun. Les deux autres parties étaient le distributeur de ces produits ainsi qu’une autre société de négoce de ces produits. Un premier contrat, d’une durée de 6 mois et prévoyant un quota d’achat minimum par le distributeur, a été conclu en avril 2013 puis tacitement renouvelé pour l’année 2014, avant qu’un nouveau contrat de 6 mois soit conclu début 2015, avec des quotas revus à la hausse.

Il a finalement été mis un terme au contrat fin 2015, après que les achats du distributeur eurent baissés, en dessous des quotas définis. Le distributeur a alors assigné pour rupture brutale de relations commerciales établies.

La Cour de cassation a confirmé la position de la cour d’appel qui avait considéré qu’il n’existait pas en l’espèce de relation commerciale établie. Elle relève que les contrats comportaient des objectifs annuels d’achats et prévoyaient qu’en fonction des réalisations par rapport à ces objectifs, les parties rediscuteraient de la manière de continuer. Elle constate également que les contrats étaient conclus pour des durées déterminées, celui de 2015 étant conclu sans prévoir de tacite reconduction. Elle conclut donc que « la preuve n’est pas rapportée que les sociétés (…) aient entretenu [le distributeur] dans la croyance que le contrat serait renouvelé pour 2016 ».

La Cour de cassation apporte plus généralement une précision intéressante en relevant que la Cour d’appel « ne s’est pas fondée sur la seule présence d’une clause d’objectifs pour écarter le caractère établi de la relation commerciale, mais également sur la durée des contrats et sur la clause conditionnant la poursuite du contrat à un examen semestriel des ventes réalisées ».

Cela traduit le fait que l’appréciation de l’existence d’une relation commerciale établie ne dépend pas d’un seul critère mais doit bien être appréciée in concreto. Ce faisant la jurisprudence est conforme à la jurisprudence habituelle en la matière qui va chercher à déterminer la croyance légitime que le cocontractant pouvait avoir dans la continuité de la relation, en se basant pour cela sur la « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale » comme le soulignait un arrêt de la Cour de cassation en 2009 (Cass. com., 15 sept. 2009, n° 08-19.200 : JurisData n° 2009-049448). »

Les critères qui sont analysés sont principalement la durée, la continuité et la stabilité de la relation. A cet égard, tous éléments susceptibles de caractériser une certaine précarité de la relation seront pris en compte, ce caractère précaire de la relation excluant l’application de l’article L.442-1 II du Code de commerce. Ce qui était le cas dans cette affaire.

Cass.com., 22 mars 2023, n°21-22-741.

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