
Clause de non-concurrence, concurrents potentiels et libéralisation de marché
Saisie de plusieurs questions préjudicielles concernant l’analyse d’un accord de partenariat contenant une clause de non-concurrence, la CJUE précise les notions de concurrent potentiel, d’accord vertical, de restriction accessoire et de restriction par objet au sens de l’article 101 du TFUE.
En l’espèce, EDP et Modelo Continente ont conclu un accord de partenariat définissant les termes et les conditions du « Plan EDP Continente ». Cet accord visait à attirer des clients, à stimuler les ventes et à offrir des réductions aux consommateurs. A la date de la conclusion de cet accord, les deux sociétés n’étaient pas en situation de concurrence effective. Toutefois, il a été conclu dans un contexte de libéralisation du marché de l’électricité au Portugal.
Du fait de la présence d’une clause de non-concurrence, jugée anticoncurrentielle par l’autorité de concurrence portugaise, cet accord a été sanctionné sur le fondement des ententes.
Cette décision faisant l’objet d’un recours, la CJUE a été saisie par la Cour d’appel de Lisbonne de plusieurs questions préjudicielles portant sur l’interprétation de l’article 101 du TFUE relative à un partenariat commercial conclu entre Modelo Continente (qui est une entreprise de produits de grande consommation) et EDP, (le principal fournisseur d’électricité portugais) contenant une clause de non-concurrence.
En substance, il était demandé à la CJUE de préciser dans quelle mesure le partenariat conclu entre un opérateur historique de la fourniture d’électricité au Portugal et un groupe de grande distribution contenant une clause de non-concurrence, obligeant ce dernier à ne pas entrer sur le marché de la fourniture d’électricité au Portugal, au moment même de sa libéralisation, pourrait constituer un accord entre concurrents potentiels, susceptible, en l’absence de restriction accessoire, de constituer une restriction de la concurrence « par objet ».
La CJUE a donc successivement précisé les notions de concurrent potentiel, d’accord vertical et de contrat d’agence, de restriction accessoire et de restriction par objet au sens de l’article 101 du TFUE.
Voici ce qu’il faut en retenir :
S’agissant de la notion de Concurrent potentiel :
Conformément à son arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) aff. C-307/18, la CJUE rappelle que pour apprécier si une entreprise absente d’un marché se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec une entreprise déjà présente sur ce marché, il convient de déterminer s’il existe des possibilités réelles et concrètes que cette première intègre ledit marché et concurrence la seconde.
Ainsi, lorsqu’est en cause un accord ayant pour conséquence de maintenir temporairement hors du marché une entreprise, il y a lieu de déterminer s’il avait existé, en l’absence de cet accord, des possibilités réelles et concrètes que cette entreprise accède audit marché et concurrence les entreprises qui y sont établies.
Cette démonstration doit être étayée par un ensemble d’éléments factuels concordants tenant compte de la structure du marché ainsi que du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement.
La CJUE indique les indices pertinents à prendre en compte pour démontrer l’existence d’une situation de concurrence potentielle :
- Un accord contenant une clause de non-concurrence est une indication de l’existence d’une concurrence potentielle ;
- Les activités économiques des parties antérieures à l’accord sont pertinentes pour l’évaluation de la concurrence potentielle ;
- L’infrastructure existante d’une partie peut permettre une expansion sur de nouveaux marchés de produits, notamment par le biais d’une collaboration ;
- Les mesures préparatoires prises pour entrer sur un marché, tout comme la volonté d’une partie d’entrer sur un marché, sont indicatives, mais ne sont pas concluantes (ni nécessaires) pour conclure à l’existence d’une concurrence potentielle.
En tout état de cause, l’existence de possibilité réelles et concrètes d’entrer sur le marché concerné doit s’apprécier à la date de conclusion de l’accord en cause.
En conclusion, une entreprise doit être considérée comme un concurrent potentiel du fournisseur d’électricité dès lors que, même si elle n’exerce aucune activité sur le marché de l’électricité au moment de la conclusion du contrat, il ressort d’un faisceau d’indices qu’il existe des possibilités réelles et concrètes qu’elle intègre ce marché.
S’agissant de la qualification de l’accord en cause :
La CJUE précise qu’un accord conclu entre deux entreprises actives sur des marchés de produits différents, ne se situant pas en amont ou en aval l’une de l’autre, et qui favorise le développement des ventes des entreprises par un mécanisme de promotion et de réductions croisées, ne relève pas des catégories des « accords verticaux ». Elle indique, en outre, qu’il ne s’agit pas d’un « contrat d’agence », dès lors que chaque entreprise assume une part des coûts et des risques liées à la mise en œuvre du partenariat.
S’agissant de la notion de restriction accessoire :
La CJUE précise que la clause de non-concurrence contenue dans l’accord de partenariat n’est pas une restriction accessoire sauf si la restriction qu’elle engendre est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de l’accord et proportionnée aux objectifs de celui-ci.
S’agissant de la notion de restriction de concurrence par objet :
La CJUE rappelle que la notion de « restriction de concurrence par objet » doit par conséquent être interprétée strictement, dès lors que lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord est établi, il n’y a pas lieu de rechercher ses effets sur la concurrence.
Ainsi, seuls sont susceptibles de caractériser des restrictions « par objet », les comportements révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire.
La CJUE précise ici que la clause de non-concurrence interdisant à l’une des parties d’entrer sur le marché national de la fourniture d’électricité, sur lequel l’autre partie est un acteur majeur, et ce dans un contexte de libéralisation de ce marché, a pour objet d’empêcher, de restreindre, ou de fausser le jeu de la concurrence.
En l’espèce, la qualification de restriction par objet ne peut être écartée par le fait que les consommateurs tirent certains avantages de l’accord de partenariat et que la clause est limitée dans le temps, dès lors qu’il ressort d’une analyse de la teneur de la clause et de son contexte économique et juridique qu’elle présente un degré suffisant de nocivité pour qu’il puisse être considéré que l’examen de ses effets n’est pas nécessaire.
Il appartient désormais à la juridiction de renvoi de se positionner sur le caractère anticoncurrentiel ou non de cet accord au regard des précisions apportées par la CJUE.
(CJUE, 26 octobre 2023, aff. C-331/21)
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