déséquilibre significatif

Action du Ministre : exigences probatoires renforcées concernant la soumission au déséquilibre significatif

  La Cour d’appel précise ses exigences probatoires concernant la preuve de la soumission en cas d’action du Ministre de l’Economie sur le fondement du déséquilibre significatif.  

La Cour d’appel précise ses exigences probatoires concernant la preuve de la soumission en cas d’action du Ministre de l’Economie sur le fondement du déséquilibre significatif 

En 2018, le ministre de l’Economie a assigné les sociétés Google sur le fondement du déséquilibre significatif estimant que les clauses et pratiques issues des deux versions du contrat de distribution « Google Play » du 5 mai 2015 et du 2 juillet 2016 liant les sociétés Google aux développeurs d’applications actifs sur le marché français : 

  • imposant aux développeurs d’applications de fixer les tarifs de leurs applications au sein d’une fourchette de prix définie par GOOGLE et leur imposant de laisser Google percevoir une commission de 30 % sur chaque vente réalisée sur le Google Play Store ; 
  • prévoyant la possibilité pour Google de modifier unilatéralement le contrat ; 
  • offrant à Google la faculté de suspendre unilatéralement la distribution d’une application ou l’accès à ses services ; 
  • offrant à Google des conditions de résiliation asymétriques à son seul bénéfice ; 
  • permettant à Google d’utiliser librement l’ensemble des informations, notamment confidentielles, communiquées par les développeurs, sans aucune réciprocité ; 
  • arrogeant à Google le droit unilatéral d’utiliser les signes distinctifs des développeurs, sans aucune réciprocité ; 
  • exonérant Google de toute garantie et responsabilité vis-à-vis des développeurs et des utilisateurs finaux ; 

contrevenaient à l’ancien article L.442-6 du Code de commerce dans la mesure où elles sont imposées par Google sans négociation effective, aux développeurs d’applications et où elles traduisent la soumission ou la tentative de soumission des développeurs d’applications à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. 

Condamnées en première instance, les sociétés Google interjettent appel devant la Cour d’appel de Paris. 

Confirmant le jugement de première instance, la Cour d’appel rejette l’exception d’incompétence soulevée par Google, affirmant que les juridictions françaises sont compétentes ainsi que les demandes de nullité des actes d’enquête de la DGCCRF.  

En revanche, elle infirme le jugement en ce qu’il condamne les société Google sur le fondement du déséquilibre significatif. 

Pour rappel, la caractérisation de cette pratique restrictive suppose la réunion de deux éléments : d’une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d’autre part l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. 

En l’espèce, pour la Cour, la caractérisation de la première condition de l’infraction, à savoir la soumission (ou sa tentative) à un déséquilibre significatif, laquelle se manifeste par l’absence de possibilité de négociation effective des clauses litigieuses, faisait défaut. 

Pour cela, la Cour a fait l’effort de rappeler la distinction avec le contrat d’adhésion au sens de l’article 1110, alinéa 2, du Code civil : « dans le contrat d’adhésion, le consentement est, par hypothèse, donné sans réflexion et l’acceptation de l’intégralité des clauses est posée comme un fait définitivement acquis. La soumission, caractérisée en situation, implique pour sa part une impossibilité de négocier effectivement éprouvée, le consentement étant alors contraint, non par la force des choses mais par celle du partenaire »(§ 106) 

Ensuite, elle a estimé que « le ministre chargé de l’économie n’est pas placé dans la même situation que les personnes privées victimes pour lesquelles la preuve de la soumission peut s’avérer plus délicate à rapporter » compte tenu des pouvoirs répressifs octroyés à celui-ci en la matière. Dès lors, si la preuve peut être allégée pour les victimes privées, « ce n’est pas le cas pour [le ministre de l’Economie] qui dispose de moyens étendus pour prouver positivement ses assertions ». 

La Cour précise que la recherche de la preuve de la soumission « n’a pas à consister dans l’audition systématique de toutes les victimes potentielles mais peut se satisfaire de l’interrogation d’un échantillon qualitativement et quantitativement représentatif pour fonder une généralisation ». 

Or, il ressort de l’arrêt que ce dernier n’a entendu aucun développeur, français ou étranger, et s’est contentée de déduire la soumission (ou sa tentative), « outre des déclarations de la SARL Google France dont il est acquis qu’elles sont dénuées de force probante, des éléments généraux suivants : 

  • les sociétés Google jouent, à raison de leur puissance économique et de leur positionnement sur le marché ainsi que de la notoriété du Google Play Store, un rôle incontournable dans la diffusion des applications par les développeurs ; 
  • le contrat Google Play est un contrat d’adhésion souscrit en ligne, modalité par nature exclusive de toute négociation en fait imposant aux sociétés Google de démontrer la possibilité concrète d’une discussion. En outre, les clauses querellées sont per se constitutives d’un déséquilibre significatif peu important leur mise en œuvre effective, constat qui prive d’intérêt l’audition des développeurs » (§ 110). 

Ces éléments étant jugées insuffisants pour prouver les assertions du Ministre : « Aussi, outre l’équivocité des éléments généraux retenus par le ministre chargé de l’économie, l’absence de leur concrétisation dans un partenariat quelconque avec un développeur impliqué et d’analyse sérieuse du processus réel de souscription en ligne font obstacle à la démonstration qui lui incombe de la soumission ou de sa tentative. » 

Enfin, la Cour a relevé que le pouvoir de Google sur les développeurs n’avait pas la même portée à l’égard de tous les développeurs, certains n’étant qu’une petite entreprise quand d’autres captent l’essentiel des parts de marché. Elle a notamment mis en avant que certains développeurs, comme Epic Games, ont pu contourner Google Play, démontrant que ce service n’était pas incontournable pour tous les développeurs malgré la puissance de Google sur le marché. 

La situation des développeurs était donc ici très hétérogène et nécessitait par conséquent de rapporter la preuve d’une soumission concrète et individualisée et non globale. 

Au contraire, lorsque la situation des opérateurs est homogène (même taille, même pouvoir de négociation), une approche globale semble permise pour démontrer la soumission à un déséquilibre significatif (v. arrêt Pizza SprintCass. com., 28 février 2024, n° 22-10.314). 

(CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 23 octobre 2024 – RG n°22/15754) 

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