Troubles de jouissance

Trouble de jouissance : attention aux travaux anormaux et excessifs !

Dans cette décision obtenue par le cabinet Gouache, le tribunal judiciaire de Paris rappelle les obligations du bailleur en matière de délivrance et de jouissance paisible : l'obligation de délivrance prime sur la clause de souffrance en cas de troubles anormaux et excessifs.

L’obligation de délivrance constitue l’une des obligations fondamentales du bailleur commercial. Consacrée par l’article 1719 du code civil, elle impose au bailleur de mettre à disposition du preneur des locaux conformes à leur destination contractuelle et d’en assurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Cette obligation revêt une importance particulière dans le contexte commercial où l’exploitation d’un fonds de commerce nécessite des conditions optimales d’exercice. Le bailleur doit donc veiller à ce que les locaux loués permettent au preneur d’exercer normalement son activité, sans être entravé par des troubles excessifs.

La jouissance paisible ne se limite pas à la simple mise à disposition des locaux. Elle englobe également l’obligation pour le bailleur de s’abstenir de tout acte susceptible de troubler cette jouissance et de protéger le preneur contre les troubles émanant de tiers. Cette protection s’étend aux nuisances causées par des travaux, qu’ils soient réalisés par le bailleur lui-même ou par des tiers.

Les clauses de souffrance : un équilibre délicat

Face à cette obligation, la pratique contractuelle a développé les clauses de souffrance, permettant au bailleur d’exonérer sa responsabilité en cas de travaux nécessaires. Ces clauses, validées par la jurisprudence, autorisent le bailleur à réaliser des travaux sans que le preneur puisse prétendre à une indemnisation ou une réduction de loyer.

Toutefois, la jurisprudence a progressivement encadré la portée de ces clauses. Elles ne peuvent jouer que si les inconvénients causés par les travaux demeurent normaux et proportionnés. Dès lors que les troubles deviennent anormaux et excessifs, la clause de souffrance ne peut plus être invoquée pour exonérer le bailleur de sa responsabilité.

A ce titre, rappelons que l’obligation de délivrance est une obligation « essentielle » du bailleur, en l’absence de laquelle le bail ne saurait exister et dont laquelle il ne peut se décharger sur le preneur.

D’ailleurs, l’article 1170 du code civil dispose que « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

L’obligation de délivrance est éminemment d’ordre public.

La décision du Tribunal de Paris : une application rigoureuse

Dans l’affaire jugée le 24 avril 2025, le tribunal judiciaire de Paris a eu à connaître d’un litige portant sur d’importants travaux de rénovation réalisés dans un immeuble abritant des locaux à usage de bureaux et de formation.

La société bailleresse avait entrepris des travaux de grande ampleur, comprenant le désamiantage, le curage, des travaux de gros œuvre, de clos et de couvert, de plomberie et d’électricité. Ces travaux, débutés en janvier 2020, se sont poursuivis jusqu’en avril 2022, soit une durée d’environ 18 mois.

Le contrat de bail contenait une clause de souffrance particulièrement étendue, prévoyant que le preneur devait « souffrir sans indemnité ni réduction de loyer, quelle qu’en soit la durée, même si elle excède quarante jours » tous les travaux réalisés dans l’immeuble.

La licéité des clauses de souffrance est bien établie, étant régulièrement jugé que le preneur doit supporter sans indemnité les travaux nécessaires, pour autant qu’ls ne créent pas de troubles anormaux (Cass. 3ème civ., 4 déc. 1991, n° 90-14600 ; Cass. 3ème civ., 1er juin 2005, n° 04-12200 ; Cass. 3ème civ., 9 juill. 2008, n° 07-14631 ; Cass. 3ème civ., 27 oct. 2009, n° 08-19972 ; Cass. 3ème civ., 19 déc. 2012, n° 11-28170 ; Cass. 3ème civ., 6 nov. 2013, n° 12-25816 ; Cass. 3ème civ., 30 juin 2021, n° 17-26.348).

Dans cette décision obtenue par le cabinet Gouache, le tribunal a suivi la position de la Haute juridiction, en retenant la responsabilité du bailleur.

En effet, suivant les moyens du preneur, les magistrats ont considéré que la durée non négligeable des travaux (dix-huit mois) et la forte intensité des nuisances sonores produites caractérisaient l’anormalité du trouble de jouissance.

Les éléments probants retenus par le tribunal sont particulièrement instructifs : impossibilité de tenir des conversations téléphoniques, nécessité de fermer les fenêtres sans pour autant éliminer les nuisances, bruits « assourdissants » et « extrêmement importants », perturbation manifeste de l’activité de formation dispensée par la société preneuse.

L’évaluation du préjudice : une approche pragmatique

Pour chiffrer le préjudice subi, le tribunal a retenu une période indemnisable du 17 septembre 2020 au 30 avril 2022, soit 590 jours, correspondant à la période durant laquelle les troubles ont été suffisamment démontrés.

L’indemnisation a été fixée à 30% des loyers initiaux hors taxes et hors charges dus.

Cette proportion est importante.

Cette approche pragmatique illustre la nécessité d’une évaluation concrète du préjudice, tenant compte des spécificités de l’activité exercée et de l’impact réel des troubles sur l’exploitation commerciale.

Cette décision du Tribunal de Paris rappelle utilement que l’obligation de délivrance du bailleur commercial constitue un socle intangible du contrat de bail. Les clauses de souffrance, bien que licites, ne peuvent faire échec à cette obligation fondamentale lorsque les troubles de jouissance revêtent un caractère anormal et excessif.

En effet, Il est constant que le bailleur ne peut, même par le biais d’une clause de souffrance, s’affranchir de son obligation de délivrance, notamment en matière de nuisances sonores (Cass. 3ème civ., 4 déc. 1991, n° 90-14600 ; Cass. 3ème civ., 1er juin 2005, n° 04-12200 ; CA Limoges 28 janv. 2016, n° 14/00869).

La cour d’appel de Paris a d’ailleurs rappelé cette position dans un arrêt du 13 mai 2020, relativement, comme en l’espèce, à des travaux de rénovation :

« Si la validité de ces clauses n’est pas discutée, il est constant que le bailleur ne peut, sous leur couvert, faire subir au locataire un trouble anormal de jouissance » (CA Paris, 5, 3, 13 mai 2020, n° 18/27287).

Pour les preneurs confrontés à des situations similaires, cette jurisprudence ouvre des perspectives d’indemnisation, sous réserve de rapporter la preuve du caractère excessif des troubles subis. La constitution d’un dossier probant, incluant notamment des constats de commissaire de justice détaillés, s’avère déterminante pour le succès de telles actions.

Cette décision s’inscrit dans une démarche jurisprudentielle protectrice du preneur commercial, confirmant que l’équilibre contractuel ne peut être rompu au détriment de la jouissance paisible des locaux loués.

TJ Paris, 24 avril 2025, n° 21/14569

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Vous avez déclaré à vote compagnie d’assurance ce sinistre, celle-ci vous a indemnisé ou refuse de le faire, et votre bailleur ne réalise pas les travaux nécessaires pour mettre fin aux désordres.

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