Distribution exclusive et règlement d’exemption

En principe, repose sur la tête du réseau de distribution la responsabilité de protéger ses membres exclusifs des ventes actives sur leurs territoires exclusifs, autrement appelé l’« obligation parallèle ».

En principe, repose sur la tête du réseau de distribution la responsabilité de protéger ses membres exclusifs des ventes actives sur leurs territoires exclusifs, autrement appelé l’« obligation parallèle ».

Principe d’obligation parallèle

A ce jour, aucun texte ni aucune jurisprudence n’impose expressément à la tête de réseau de prendre des mesures à l’encontre d’un membre ou d’un acheteur réalisant des ventes actives sur des territoires exclusifs. En effet, seules les lignes directrices sur les restrictions verticales de 2022, déclarent à ce sujet que :

« [a]fin de préserver leurs [les distributeurs exclusifs] incitations à investir, le fournisseur doit protéger ses distributeurs exclusifs contre les ventes actives, y compris la publicité en ligne ciblée, réalisées par tous les autres acheteurs du fournisseur sur leur territoire exclusif ou auprès de leur groupe de clients exclusif ». (lignes directrices sur les restrictions verticales de 2022, 2022/C 248/01, paragraphe 219)

Faits d’espèce

Dans l’affaire commentée, il est question de la société Beevers Kaas, distributeur exclusif en Belgique des produits Beemster, qu’elle achète au producteur Cono, une société établie aux Pays-Bas. Depuis 1993, il existe un accord de distribution exclusive entre Cono et Beevers Kaas pour la distribution des produits Beemster en Belgique et au Luxembourg. Les sociétés Albert Heijn exercent des activités dans le secteur des supermarchés en Belgique et aux Pays-Bas. Elles achètent des marchandises Beemster produits par Cono pour des marchés situés en dehors de la Belgique et du Luxembourg.

Beevers Kaas reproche aux sociétés Albert Heijn de s’être livrées à des activités en Belgique qui ont pour effet direct ou indirect de porter atteinte aux droits d’exclusivité de Beevers Kaas tirés de l’accord de distribution exclusive, alors même qu’elles savaient que Cono est liée par cet accord.

Selon les sociétés Albert Heijn, les sociétés Beevers Kaas et Cono cherchent à leur imposer une interdiction des ventes actives prohibé. Albert Heijn considèrent que l’accord de distribution exclusive n’impose pas à Cono l’obligation de protéger Beevers Kaas contre les ventes actives d’autres distributeurs et ne remplit pas les conditions strictes du droit de la concurrence pour justifier une interdiction de revente.

Dans cette affaire, la Cour est saisie de deux questions préjudicielles, mais seule la première nous intéressera aujourd’hui.

Question préjudicielle

La première question préjudicielle soumise consiste à se demander si le règlement no 330/2010 devrait être interprété en ce sens que, dans une situation où un fournisseur a alloué un territoire à titre exclusif à un distributeur donné, la seule constatation que ses autres acheteurs (c’est-à-dire des acheteurs qui ne bénéficient pas de ce régime d’exclusivité particulier) ne se livrent pas à des ventes actives sur ce territoire suffit à établir l’existence d’un accord entre ce fournisseur et ces autres acheteurs concernant l’interdiction des ventes actives sur ce territoire.

Appréciation de la Cour de justice

Pour répondre à cette question, la Cour de justice commence par rappeler que conformément à l’article 4 du règlement no 330/2010, les restrictions de ventes actives sur le territoire exclusif qu’un fournisseur a alloué à l’un de ses acheteurs peuvent bénéficier d’une exemption, pour autant que les conditions prévues par le règlement no 330/2010 soient remplies.

A ce titre, la Cour reprend l’argument de Madame l’avocate générale, fondé sur le point 51 des lignes directrices de 2010, en considérant que « l’octroi, par un fournisseur, d’une exclusivité territoriale à l’un de ses acheteurs s’accompagne nécessairement de l’obligation parallèle, pour ce fournisseur, de protéger cet acheteur contre les ventes actives des autres acheteurs dudit fournisseur. Il s’ensuit que l’article 4, sous b), i), du règlement no 330/2010 vise à couvrir les restrictions sur les ventes actives qu’un fournisseur doit, à ce titre, imposer à ses acheteurs afin de garantir l’effectivité d’une telle exclusivité sur le territoire qu’il a alloué à l’un de ses acheteurs. » (paragraphe 39, arrêt commenté)

En effet, dans ses conclusions, Madame Laila MEDINA, avocate générale près la Cour de justice de l’Union européenne, publiées le 9 janvier 2025, rappel que le fournisseur mettant en place des restrictions aux ventes actives de son réseau : « a l’obligation correspondante d’assurer l’effet utile de cette attribution exclusive d’un territoire, y compris en protégeant cet acheteur contre les ventes actives sur ce territoire par tous les autres acheteurs du fournisseur. » (Conclusions de l’avocate générale Madame Laila MEDINA, 9 janvier 2025, C-581/23, paragraphe 40)

La Cour s’attèle dans l’appréciation de l’existence d’un accord entre le fournisseur et l’acheteur, pouvant être qualifié d’accord vertical susceptible de relever de l’article 4, sous b), i), du règlement précité. Au sens de l’article 101 Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »), pour qu’il y ait un « accord », « il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée. Un accord ne saurait donc se fonder sur l’expression d’une politique purement unilatérale d’une partie à un contrat de distribution ». (paragraphe 41, arrêt commenté)

Ainsi, dans son examen, la Cour vérifie (1) s’il peut être constaté que Cono a invité, sous quelque forme que ce soit, ses acheteurs à ne pas se livrer à des ventes actives sur le territoire exclusif alloué à Beevers Kaas, (2) si les acheteurs de Cono ont explicitement ou tacitement acquiescé à une éventuelle invitation de ce fournisseur.

La Cour constate, d’une part, que les accords de distribution conclus entre Cono et ses acheteurs ne contenaient aucune clause imposant à ces derniers une interdiction des ventes actives sur le territoire exclusif alloué à Beevers Kaas. D’autre part, il a été relevé qu’à l’exception des sociétés Albert Heijn, aucun autre acheteur de Cono n’avait procédé à de telles ventes sur ce territoire. (paragraphe 47, arrêt commenté)

Conclusion

En conséquence, la seule circonstance que, hormis les sociétés Albert Heijn, aucun autre acheteur de Cono n’ait effectué de ventes actives sur le territoire exclusif de Beevers Kaas ne suffit pas, à elle seule, à établir l’existence d’un « accord » au sens de l’article 101 du TFUE. (paragraphe 52, arrêt commenté)

En définitive, malgré les commentaires suscités par la présente affaire, la Cour a fait preuve de rigueur en se limitant strictement à la question qui lui était posée, à savoir déterminer l’existence ou non d’un accord, même tacite, entre le fournisseur et l’acheteur, relatif à l’interdiction des ventes actives sur les territoires exclusifs concédés.

Arrêt commenté : CJUE, 8 mai 2025, C-581-23

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