Le devoir de communiquer les informations déterminantes

L'article 1112-1 du Code civil impose une double condition : l'information doit non seulement avoir un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties, mais également avoir une importance déterminante pour le consentement de l'autre partie.

L’obligation précontractuelle d’information, consacrée par l’article 1112-1 du Code civil depuis la réforme du droit des contrats de 2016, continue de faire l’objet de précisions jurisprudentielles essentielles. Par un arrêt de rejet publié au Bulletin en date du 14 mai 2025, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient rappeler et clarifier les conditions cumulatives de mise en œuvre de ce devoir, tout en réaffirmant la portée de l’appréciation souveraine des juges du fond quant au caractère déterminant d’une information pour le consentement d’un cocontractant.

En l’espèce, une cession de l’intégralité des parts sociales d’une société exploitant une activité de restauration rapide a été conclue le 18 septembre 2018. Postérieurement à la cession, le cessionnaire et la société rachetée, se plaignant d’une dissimulation intentionnelle par le cédant de l’impossibilité d’exercer une activité de friture dans le local commercial, ont assigné ce dernier en indemnisation le 12 février 2020.

La cour d’appel de Reims, par un arrêt du 2 mai 2023, a rejeté leurs demandes. Le cessionnaire et la société ont alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que l’impossibilité de faire de la friture, dans le cadre d’une activité de restauration rapide, constituait une information dont l’importance était par nature déterminante et qui aurait dû être communiquée.

La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si le devoir d’information précontractuelle impose de communiquer toute information ayant un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat, ou si la partie qui s’en prévaut doit également prouver que cette information était subjectivement déterminante de son propre consentement.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, validant le raisonnement de la Cour d’appel. Elle juge que l’article 1112-1 du Code civil impose une double condition : l’information doit non seulement avoir un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties, mais également avoir une importance déterminante pour le consentement de l’autre partie.

Il convient dès lors d’exposer l’argumentation du cessionnaire, qui plaidait pour une conception extensive du devoir d’information (I), avant d’analyser la solution rigoureuse de la Cour de cassation, qui consacre une interprétation stricte des conditions cumulatives de ce devoir (II).

L’argumentation du cessionnaire : une conception extensive du devoir d’information

Au soutien de son pourvoi, le cessionnaire développait une argumentation visant à faire reconnaître un manquement du cédant à son obligation d’information, en se fondant d’une part sur le caractère prétendument essentiel de l’information non divulguée (A) et d’autre part sur un renversement de la charge de la preuve (B).

Le caractère prétendument intrinsèquement déterminant de l’information

Le demandeur au pourvoi soutenait que le caractère déterminant de l’information relative aux restrictions d’exploitation découlait de la nature même de l’activité cédée. Selon la première branche du moyen, la cour d’appel aurait dû déduire de l’objet social de la société (« restauration rapide ») et des termes du bail commercial (mentionnant « restauration rapide, plats à emporter et livraison » et la présence d’une hotte) que toute restriction, telle qu’une interdiction de friture, constituait de facto une information déterminante pour le consentement de l’acquéreur. En d’autres termes, l’information était objectivement essentielle et n’avait pas à faire l’objet d’une preuve de son importance subjective pour le cessionnaire.

Dans la deuxième branche, il était reproché aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les restrictions issues du règlement de copropriété et de l’opposition des voisins à l’installation d’un système d’extraction adéquat ne présentaient pas un « lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ». Selon cette logique, l’existence d’un tel lien suffirait à qualifier l’information de déterminante et à imposer sa divulgation, sans qu’il soit nécessaire d’aller plus loin dans l’analyse du consentement de l’acquéreur. Cette argumentation tendait à fusionner les deux conditions posées par l’article 1112-1 du Code civil.

La dissimulation alléguée et la charge de la preuve

Le pourvoi s’attaquait également à la décision sur le terrain de la dissimulation et de la charge de la preuve. La troisième branche du moyen arguait que la cour d’appel n’avait pas suffisamment recherché si le cédant n’avait pas dissimulé l’inadaptation de la hotte aspirante présente dans les locaux, ce qui constituait une information déterminante. Ce grief s’apparentait à une critique pour réticence dolosive, en vertu de l’article 1137 du Code civil.

Enfin, et de manière classique en la matière, la quatrième branche invoquait une inversion de la charge de la preuve. Le cessionnaire rappelait qu’il incombe à la partie qui connaissait l’information (le cédant) de prouver qu’elle l’a fournie, conformément à l’alinéa 4 de l’article 1112-1. En exigeant du cessionnaire qu’il démontre que l’information lui avait été dissimulée, la cour d’appel aurait violé ce texte ainsi que l’article 1353 du Code civil.

L’ensemble de ces moyens visait à obtenir une application large de l’obligation d’information, où le lien de l’information avec le contrat emporterait présomption de son caractère déterminant. C’est cette approche que la Cour de cassation a fermement rejetée.

La solution de la Cour de cassation : la consécration de conditions cumulatives et le contrôle souverain des juges du fond

En rejetant le pourvoi, la Chambre commerciale livre une lecture stricte et pédagogique de l’article 1112-1 du Code civil. Elle rappelle que les conditions posées par le texte sont bien cumulatives (A) et que l’appréciation du caractère déterminant d’une information relève du pouvoir souverain des juges du fond (B).

Le rappel de la double condition cumulative de l’article 1112-1

La Cour de cassation énonce de manière liminaire et didactique le principe directeur de sa décision : « Il résulte de l’article 1112-1 du Code civil que le devoir d’information précontractuelle ne porte que sur les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties, et dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre partie« . L’emploi de la conjonction « et » est ici fondamental. La Cour refuse de considérer que la première condition (lien direct et nécessaire) puisse englober ou présumer la seconde (caractère déterminant).

En conséquence, elle juge la première branche du moyen non fondée car elle « postule que le devoir d’information porte sur toute information ayant un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat », ce qui est une lecture incomplète du texte. Une information, même intrinsèquement liée à l’objet du contrat (comme une modalité d’exploitation d’un fonds de commerce), n’est pas obligatoirement à divulguer si elle n’est pas déterminante pour le consentement de l’acquéreur. La Cour distingue ainsi clairement le champ objectif de l’information (son lien avec le contrat) de son impact subjectif (son importance pour le cocontractant).

La confirmation du pouvoir souverain d’appréciation du caractère déterminant

Le cœur de la décision réside dans la validation de l’appréciation des juges du fond. La Cour de cassation relève que la cour d’appel a retenu « qu’il n’était pas établi que la possibilité de faire de la friture était une condition déterminante pour le consentement de M. [T] » . Cette constatation de fait, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, suffit à elle seule à justifier le rejet de la demande.

Dès lors que le caractère déterminant n’est pas prouvé par celui qui invoque le manquement, les autres conditions et griefs deviennent inopérants.

En conclusion, cet arrêt, destiné à une publication au Bulletin, constitue un rappel important à l’attention des praticiens. Il confirme que la mise en œuvre de l’obligation précontractuelle d’information est subordonnée à une double preuve cumulative. La partie qui se prétend victime d’un défaut d’information doit non seulement établir le lien de l’information avec le contrat, mais surtout démontrer, par des éléments de fait laissés à l’appréciation souveraine des juges du fond, que cette information était une condition sine qua non de son engagement. La seule nature de l’activité ou de l’objet du contrat ne suffit pas à présumer de ce caractère déterminant.

(Cour de cassation, Chambre commerciale, 14 mai 2025,23-17.948 23-18.049 23-18.082, Publié au bulletin)

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