Remboursement des frais de réinstallation du locataire évincé
jeudi 6 mars 2025

Remboursement des frais de réinstallation du locataire évincé

 Il existe un courant jurisprudentiel, certes peu développé, aux termes duquel les frais de réinstallation du locataire, dans le cadre d’une éviction, ne devraient pas nécessairement être remboursés au preneur évincé. Un tel courant apparaît contra legem !  

Indemnité d’éviction dans le bail commercial : faut-il inclure les frais de réinstallation  ?


Les règles applicables pour déterminer une indemnité d’éviction peuvent apparaître particulièrement difficiles à appréhender. 

Les juridictions elles-mêmes n’appliquent pas les mêmes solutions lorsqu’elles statuent sur des cas qui semblent pourtant similaires. 

Et pour cause, un seul texte dans le code de commerce nous donne les lignes directives, la jurisprudence édictant pas à pas les règles applicables. 

Ainsi l’article L. 145-14 du code de commerce dispose que : 

« Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. 

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ». 

Nous nous attarderons ici sur les seuls frais de réinstallation

Frais de réinstallation : principe de réparation intégrale du préjudice  

Le droit français pose le principe de la réparation intégrale du préjudice : « tout le préjudice, rien que le préjudice ».  

Dans un arrêt en date du 27 novembre 2012, la Cour de cassation a précisé que : 

« Attendu qu'ayant constaté qu'il était techniquement impossible de récupérer les anciennes installations et relevé que, même si les courts de squash de l'ancien établissement étaient largement amortis, aucun élément ne permettait de retenir qu'ils auraient dû être refaits à bref délai ou même à moyen terme, la cour d'appel, sans violer le principe de la réparation intégrale, en a exactement déduit que le coût d'installation de six nouveaux courts devait être pris en compte pour évaluer le préjudice consécutif à l'éviction de la société Prairie Squash Racket's Club » (Cass. 3ème civ., 27 novembre 2012, n° 11-15.373). 

Il a également été jugé en ce sens que le déménagement, puis l'aménagement du locataire est un préjudice que le juge se doit d'évaluer même en l'absence de pièces justificatives (Cass. 3ème civ., 17 septembre 2013, n° 12-20.584). 

En conséquence de ce principe, la jurisprudence commande de rembourser au preneur contraint d’abandonner ses aménagements, l’intégralité des frais qu’il devra supporter pour s’installer dans un local équivalent, peu important que la réinstallation ne soit pas encore intervenue pour le moment, puisqu’il arrive que le juge statue alors que le preneur évincé se trouve encore dans les locaux loués. 

Certaines décisions n’accordent pas l’indemnisation des frais de réinstallation .

Cela étant, il apparaît que certaines juridictions privent les preneurs du poste de l’indemnité de réinstallation

Les motivations de ces décisions sont particulièrement surprenantes. 

Pour illustration, la cour d’appel de Paris a jugé dans un arrêt du 21 décembre 2023 (RG n° 22/06147), que dans la mesure où le local ne présentait pas de caractéristiques d'une identité ou d'un concept propre à la locataire devant se retrouver dans les nouveaux locaux, il n’y avait pas lieu à attribuer une indemnisation au titre des frais de réinstallation

Une telle décision peut apparaître surprenante puisqu’un boulanger ou un restaurateur devront forcément procéder à des aménagements spécifiques pour leur activité. 

Une telle décision est de surcroît contraire à la jurisprudence de la Haute juridiction. 

Des décisions contraires à la position de la Cour de Cassation sur des frais de réinstallation de Monoprix  

En effet, dans son fameux arrêt MONOPRIX en date du 21 mars 2007, elle a jugé que : 

« Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a exactement retenu que le locataire n'avait pas à supporter les frais d'une réinstallation coûteuse à proportion du degré d'amortissement des investissements qu'il abandonnait par la contrainte et qu'il convenait de tenir compte de ces frais de réinstallation pour évaluer le préjudice subi par le locataire évincé tant dans l'hypothèse du remplacement du fonds de commerce que dans celle de son déplacement ; 

Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que les nouveaux locaux acquis par la société Monoprix pour transférer son fonds de commerce lui avaient été livrés sans aucun aménagement et qu'il était indispensable pour elle de les adapter à son activité, la cour d'appel en a déduit que la société Sophia devait supporter une partie de ces travaux d'aménagement qu'elle a souverainement fixée » (Cass. 3ème civ., 21 mars 2007, n° 06-10780). 


La Cour de cassation a rappelé cette position à de nombreuses reprises (Pour illustration : Cass. 3ème civ., 22 juin 2022, n° 21-13.153). 

Le principe posé par l’arrêt MONOPRIX est le droit à l’indemnisation au titre des frais de réinstallation, quels qu’ils soient, les juges du fond disposant néanmoins d’un pouvoir souverain pour procéder à un abattement au regard de la vétusté des installations. 

Notion « d’identité » ou de « concept propre » 

La notion « d’identité » ou de « concept propre » n’est nullement évoqué. 

Une telle notion apparaît ainsi hors de propos, tant au regard de la loi que de la jurisprudence. 

Tous les locataires sont donc fondés à solliciter une indemnisation au titre des frais de réinstallation, qu’il s’agisse, ou non, d’identité ou d'un concept propre. 

La même cour d’appel de Paris, à l’inverse de ce qu’elle a jugé dans la décision susvisée du 21 décembre 2023, a retenu une indemnisation au titre des frais de réinstallation dans tous les cas : 

« Dans la mesure où les aménagements garnissant le commerce sont inclus dans l'évaluation du fonds de commerce, il est d'usage qu'un abattement soit appliqué aux frais justifiés ou estimés par le locataire évincé pour sa réinstallation afin de tenir compte de la vétusté des mobiliers abandonnés, peu important qu'il s'agisse d'un mobilier spécifique ou relevant d'un concept spécifique » (CA Paris, 9 novembre 2023, n° 21/20061). 

Une telle solution doit être approuvée en ce qu’elle est conforme aux principes de droit français. 

Nicolas PCHIBICH

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