Action en concurrence déloyale : un outil stratégique au service des enseignes (Argus de l'enseigne, Avril 2015)
mardi 28 avril 2015

Action en concurrence déloyale : un outil stratégique au service des enseignes (Argus de l'enseigne, Avril 2015)

La décision rendue, le 22 décembre 2014, par le tribunal de commerce de Paris  à l’encontre de sociétés du groupe OPTIC 2000 marque une nouvelle étape dans la stratégie judiciaire du groupe OPTICAL CENTER, qui a introduit ces dernières années plusieurs instances en concurrence déloyale à l’encontre d’enseignes concurrentes. (Vous pouvez visionner ici une vidéo définissant la concurrence déloyale).

En raison de l’application par les magasins du groupe Optic 2000de la pratique de "l’optimisation de factures", constitutives d’une fraude à l’assurance, deux sociétés du groupe ont été, aux termes de cet arrêt, condamnées solidairement à  payer la somme de 29,5 millions d’euros à titre de dommages et intérêts à la société OPTICAL CENTER.

L’exécution provisoire du jugement ayant été prononcée, , la société GADOL OPTIC 2000 s’est placée sous procédure de sauvegarde, lui permettant ainsi d’échelonner le paiement des condamnations sur une période de 10 ans maximum.

Le tribunal ayant fait application d’une règle traditionnelle selon laquelle une violation de la loi constitue un acte de concurrence déloyale, cette décision n’a pas en soi un intérêt juridique. Elle illustre en revanche que l’action en concurrence déloyale est susceptible de constituer un outil majeur de développement et de protection d’un réseau.

La condamnation sur le fondement de la concurrence déloyale du fait d’une violation de la loi

Le tribunal est venu rappeler  très clairement que la violation d’une disposition légale ou règlementaire par une société est susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale à l’égard de ses concurrents, et leur fait subir de fait un préjudice, dont ils peuvent solliciter la réparation (1). En revanche,  le tribunal ne s’est pas prononcé explicitement sur la question de la loyauté de la preuve, comme les défendeurs l’y avaient invité (2).   

1.    L’application d’une solution classique

Le groupe OPTIC 2000 se voyait reprocher par  la société OPTICAL CENTER  l’utilisation de manière habituelle de la pratique de "l’optimisation de facture", selon laquelle l’opticien gonfle artificiellement le prix des verres et minore le prix de la monture dans la facture remise au client afin d’atteindre le maximum du remboursement, les verres faisant l’objet d’un remboursement plus important par les mutuelles que les montures. Ce procédé permettait de faire supporter l’essentiel de la facture par les mutuelles, de sorte que tces opticiens indélicats offraient au consommateur des prix minimes, l’essentiel de la facture étant supporté par les mutuelles.

En comparant le devis proposé par l’opticien, qui fait apparaître le prix réel des verres et des montures, et la facture, qui fait apparaitre les prix artificiellement modifiés, la fraude pouvait être établie.

Tout d’abord,  le tribunal a  rappelé un principe constant en jurisprudence selon lequel la violation d’une obligation légale ou règlementaire par une société est susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale à l’égard de ses concurrents. Ainsi, dans un arrêt du 31 janvier 2013, la Cour d’appel de Pau a jugé qu’ "il est constant qu'un manquement à une obligation légale par une entreprise, ainsi que le non-respect d'une réglementation peuvent constituer une faute justifiant une condamnation pour concurrence déloyale, en ce que ce comportement perturbe le marché de par la situation plus favorable dans laquelle cette entreprise se trouve par rapport à celles qui respectent la réglementation" (CA Pau, 31 janvier 2013, n° 11/03787).

Grâce à de "nombreuses pièces, quand bien même certaines seraient imparfaites", le tribunal a ensuite constaté que la société OPTICAL CENTER, par le témoignage de clients et la baisse de chiffre d’affaires de certains de ses magasins, a pu se rendre compte  que ses concurrents attiraient la clientèle en adoptant cette pratique d’optimisation de facture.

Le tribunal a considéré que ces agissements constituaient d’une part une fraude aux mutuelles qui versent les prestations pour des produits qui n’y donnent pas droit, et  d’autre part un abus de confiance.  Ces pratiques sont également jugées comme des actes de concurrence déloyale, puisqu’elles "conduisent immanquablement à détourner la clientèle des magasins OPTICAL CENTER".

En conséquence,  le tribunal a ordonné la cessation des pratiques sous astreinte de 10.000 euros par jour par infraction constatée.

Bien que la société GADOL OPTIC 2000 a initié des actions d’envergures, d’information et de sanction auprès de ses franchisés pour faire cesser de telles pratiques, relevées par le tribunal,  il a néanmoins condamné les sociétés GADOL OPTIC 2000 et la société LES FRERES LISSAC au paiement d’une somme de 29,5 millions d’euros dans les termes de la demande de la société OPTICAL CENTER Cette somme correspondait au  montant de perte de chiffre d’affaire qu’auraient subi la société OPTICAL CENTER en une année du fait de ces agissement, .

La société LISSAC ENSEIGNE a été mise hors de cause, au motif d’une part qu’elle ne pouvait être tenue responsable des actes reprochés à ses franchisés, et d’autre part qu’aucun grief n’était formulé à son encontre.  La  société AUDIOPTIC TRADE SERVICES a aussi été mise hors de cause, au motif qu’elle n’exerçait aucune activité de vente de produits d’optique-lunetterie auprès des consommateurs.
Alors qu’il était expressément appelé à se prononcer sur la validité des preuves apportées par la société OPTICAL CENTER, le tribunal n’a pas répondu.  

2.    L’absence de réponse du tribunal sur la loyauté de la preuve

En application de  à l’article 9 du code de procédure civil relative au principe de licéité de la preuve, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, la jurisprudence écarte des débats toute preuve obtenue de manière déloyale, en matière civile.

Ainsi,  la Cour d’Appel  de Douai, statuant sur renvoi, dans le cadre d’une instance portant également sur le système de l’optimisation de facture chez les opticiens, introduite par la société OPTICAL CENTER à l’encontre de la société ATOL, a jugé qu’il convenait, sur le fondement de la loyauté de la preuve, de rétracter une ordonnance ayant désigné un huissier pour la réalisation d’un constat. L’huissier avait eu   pour mission de se rendre chez des opticiens de diverses enseignes, dont les enseignes OPTIC 2000 et ATOL, et de se faire à accompagner une personne devant se faire passer pour une cliente, choisir des montures de marque, et faire état, le cas échéant, du remboursement important sur les verres correcteurs par sa mutuelle.

La Cour a jugé que, au cas où le vendeur ne proposerait pas spontanément un arrangement frauduleux, la mission donnée à l’huissier avait pour objet,  de le mettre sur la voie du résultat attendu, c’est-à-dire d’obtenir l’optimisation de la facture, et constituait ainsi une mise en scène contraire au principe de loyauté de la preuve (CA Douai, 19 septembre 2012, n°11/02579).

Dans le cas d’espèce,  le tribunal s’est, notamment, appuyé sur des témoignages de clients pour fonder sa décision, dont les défendeurs ont expressément sollicité le rejet sur le fondement de la loyauté de la preuve, tel que cela ressort de la présentation des moyens des parties.

Pourtant, en retenant la faute des défendeurs, « quand bien même certaines [pièces] seraient imparfaites », et en affirmant que « les quelques critiques formelles qui sont portés à certains [témoignages] n’enlèvent pas leur caractère formel », sans préciser la nature exactes des critiques formulées, le tribunal n’a semble-t-il pas répondu à ce moyen,.

La question de la loyauté de la preuve pourrait constituer un motif de réformation du jugement en appel Bien que les termes du jugement ne nous permettent pas de définir l’étendue des pièces visées par cette demande de rejet, et la nature des autres pièces produites, . En effet, la preuve des fausses facturations reposerait uniquement sur des preuves obtenues de manière déloyale.


L’utilisation de la concurrence déloyale comme outil de protection du réseau

La société OPTICAL CENTER avait déjà assigné les sociétés KRYS, ATOL ou encore AFFLELOU en concurrence déloyale. Cette action à l’encontre du groupe OPTIC 2000 s’inscrit dans une stratégie judiciaire globale visant l’ensemble de ses concurrents.

Dès lors que la faute est caractérisée,  cette stratégie permet à un opérateur économique de faire condamner une enseigne concurrente, et, tout en obtenant la cessation des pratiques interdites, de lui porter atteinte  enlui laissant ainsi espérer une augmentation de ses propres chiffres d’affaires par l’acquisition de nouvelles parts de marché.

Par l’ampleur de la condamnation prononcée,  la décision du tribunal de commerce de Paris démontre que l’introduction d’une action en concurrence déloyale constitue un outil majeur pour désorganiser un concurrent qui ne respecterait pas la règlementation applicable.

Bien qu’il dispose de fonds propres pour faire face à la condamnation prononcée,  le groupe OPTIC 2000 a été contraint de se placer sous procédure de sauvegarde afin de pouvoir échelonner le paiement de sa condamnation.  

L’action en concurrence déloyale, lorsqu’elle est appliquée de manière systématique contre tout concurrent qui ne respecterait pas les dispositions légales et réglementaires,  permet de protéger les parts de marché d’une enseigne et constitue en cela une véritable stratégie juridique, à l’appui de la stratégie commerciale.

Une telle stratégie peut  aussi revêtir un intérêt particulier pour une enseigne naissante bénéficiant d’un savoir-faire innovant, qu’elle souhaite protéger pour conserver ses parts de marché.

Ainsi, l’introduction d’une action en concurrence déloyale ralentira considérablement, les possibilités de développement de cette enseigne en franchise, en concession ou autrement. à l’encontre de toute société adoptant un concept similaire ou ne respectant pas la législation applicable.  

La procédure pouvant durer plusieurs années, et pouvant être particulièrement coûteuse pour une enseigne naissante,   la défense devant les juridictions nécessitera d’abord des investissements humains et financiers de la part de l’enseigne assignée.

Par ailleurs,  elle sera susceptible de faire fuir les potentiels candidats désireux de rejoindre cette enseigne en qualité de distributeurs indépendants.

Plus que jamais, le droit apparaît comme un outil stratégique à la disposition des enseignes.



(Tribunal de commerce de Paris, 22 décembre 2014, RG n° 2013023774)

                              

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