Notification valant rupture en cas de changement de concept et rupture brutale partielle
lundi 26 février 2018

Notification valant rupture en cas de changement de concept et rupture brutale partielle

Le courrier adressé par un distributeur ne peut valoir notification de préavis, dans la mesure où même s'il annonce implicitement un changement de concept, il ne précise pas clairement si tous les magasins seront concernés ou pas, ni aucun délai de préavis, ni même de calendrier pour soumissionner à l'appel d'offre.

Dans un arrêt du 8 février 2018, la Cour d’appel de Paris a condamné un distributeur à indemniser son fournisseur au titre d’une rupture partielle de relations commerciales établies.  

Cet arrêt retiendra notre attention en ce qu’il apporte certaines précisions quant (i) au contenu d’un courrier pour que celui-ci soit qualifié de notification valant rupture et faisant courir le délai de préavis devant être accordé au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et (ii) à l’appréciation de la durée de préavis en cas de rupture brutale partielle de relations commerciales établies. 

En l’espèce, une relation avait été nouée en mars 2005 entre, d’une part, un fournisseur ayant une activité de conception, fabrication et installation de mobilier modulaire pour les espaces de vente, et d’autre part, un distributeur spécialisé dans la production et le commerce de détail d'articles d'arts de la table, de décoration intérieure et d'ameublement. 

Par courriel et courrier du 17 décembre 2009, le distributeur a indiqué à son fournisseur qu'il avait conçu, pour ses futurs magasins « grand concept », un mobilier spécifique réalisé dans des essences de bois noble, qu'elle envisageait de confier à différents fabricants, et qu'elle invitait donc le fournisseur à lui transmettre une proposition chiffrée de fourniture de ce mobilier, tenant compte du cahier technique des charges qu'elle tenait à sa disposition. Ce nouveau concept de mobilier est désigné par les parties sous le nom « armoire ». 

Le fournisseur a postulé pour ce nouveau concept en adressant au distributeur une offre de concept « armoire », succincte et sans prototype, qu'il a été invité à compléter. Par la suite, le distributeur a retenu la candidature d’une société tierce pour lui fournir le concept « armoire » et informait donc son fournisseur, lors d'une réunion, que sa candidature pour le nouveau concept « armoire » n’avait pas été retenue.  

Reprochant au distributeur d'avoir rompu brutalement leur relation commerciale, du fait de la baisse drastique du chiffre d'affaires fourni par elle courant 2011, le fournisseur a informé le distributeur qu’il ne fournirait que les nouveaux magasins de trois villes mais qu'il n'était plus en mesure d'assurer la fourniture de deux magasins supplémentaires, ni des futurs réassorts non stockés à ce jour. A son tour, le distributeur reprochait au fournisseur le caractère brutal de cette rupture et demandait le respect d’un préavis de 7 mois, accepté par le fournisseur. 

Après que les relations commerciales des parties se sont achevées en octobre 2012, les parties ont procédé contradictoirement à l'inventaire des stocks de mobilier du fournisseur, sans se mettre d’accord sur les conditions de rachat de certains stocks. 

Dans ce contexte, le fournisseur a assigné le distributeur en responsabilité au titre de la rupture brutale de leur relation commerciale établie. 

Débouté en première instance par le Tribunal de commerce de Lyon ayant jugé que les relations commerciales entre les parties n'ont pas été rompues brutalement par le distributeur en 2011, le distributeur a interjeté appel du jugement rendu. 

La Cour d’appel de Paris énonce d’abord que la relation commerciale nouée entre les parties est bien établie au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dès lors que le flux d'affaires fourni par le distributeur au fournisseur était stable et continu et que ce dernier était devenu de fait son fournisseur exclusif pour un des concepts mis en place par le distributeur, peu important qu'il se soit agi d'une succession de contrats, de sorte que le fournisseur pouvait escompter une certaine pérennité dans la relation avec ce distributeur. 

Sur la notification de la rupture, la Cour juge, contrairement aux juges de première instance, qu’ «il ne peut être considéré que le courrier émis par le distributeur le 17 décembre 2009 notifiant la mise en œuvre d'un appel d'offres pour le nouveau concept « armoire », marquait le point de départ du délai de préavis et que le fournisseur avait bénéficié ensuite d'un préavis de 15 mois, dont le terme correspond au début de l'installation du nouveau concept. » 

En effet, selon la Cour, ce courrier ne peut valoir notification de préavis, dans la mesure où : 

  • même s'il annonçait implicitement un changement de concept, dont le fournisseur a d'ailleurs pris expressément acte, il ne précise pas clairement si tous les magasins seront concernés ou pas ; en l’espèce le courrier visait expressément que les « futurs magasins "grand concept" » ;
  • ce courrier n’annonçait aucun délai de préavis ;
  • ce courrier n’annonçait pas même de calendrier pour soumissionner à l'appel d'offre.

A cet égard, la Cour d’appel fait référence à la « date limite de dépôt des candidatures » et à la date « de traitement des dossiers et de réponse au fournisseur retenu et aux autres participants », qui auraient pu être précisées au courrier de notification émis par le distributeur, afin que la notification de ce courrier puisse valoir notification de la rupture et faire courir le délai de préavis devant être accordé.

Dans ces conditions, le fournisseur ne pouvait pas savoir dans quelle mesure et pendant quelle durée le concept jusque-là en vigueur, serait néanmoins maintenu ou pas. 

Par suite, la Cour d’appel de Paris juge, à l’appui du récapitulatif de chiffre d'affaires du fournisseur, que ce dernier a effectivement été victime d'une rupture partielle brutale de relations commerciales établies, caractérisée par la chute drastique des commandes par le distributeur en avril 2011. 

L’argument du distributeur consistant à soutenir l’absence de brutalité dès lors que la baisse de commandes aurait été corrélée à une baisse d'ouverture de nouveaux magasins en raison d'une certaine saturation du marché, n’est pas retenu par les juges d’appels au motif que « cet élément, non imprévisible, ne l'empêchait pas et ne la dispensait pas de notifier un préavis, et dans la mesure surtout où elle reconnaît elle-même que cette période d'avril-mai 2011 correspond à l'époque où elle a généralisé l'installation du [nouveau] concept 'armoire' pour tous ses nouveaux magasins […], ce qui explique la baisse soudaine des commandes du concept [en vigueur] ». 

Toutefois, si le courrier adressé en décembre 2009 par le distributeur ne constitue pas une notification valant rupture au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, faisant courir le préavis, il n’en demeure pas moins que les juges peuvent tenir compte de cette circonstance dans l’appréciation du délai de préavis qui aurait dû être accordé. Ainsi, selon la Cour, ce courrier de décembre 2009 constituait « l'élément de précarisation de la relation », de sorte qu’entre cette date et la date de la rupture partielle brutale (avril 2011), le distributeur avait connaissance de ce que son volume d'affaires avec le distributeur serait nécessairement moindre par rapport à la période antérieure. 

Il en aurait été différemment si le fournisseur avait été retenu pour le nouveau concept, mais sur ce point la Cour d’appel juge que le fournisseur « ne pouvait valablement prétendre avoir été entretenu dans l'illusion ou la croyance erronée qu'elle pouvait encore postuler pour le nouveau concept, alors qu'elle n'avait nulle intention de la choisir, et qu'un flux d'affaires constant serait maintenu entre elles », dès lors qu’à plusieurs reprises, le fournisseur avait été invité à compléter son offre pour le nouveau concept, ce qu’il a fait tardivement.  

La Cour d’appel de Paris condamne finalement le distributeur, compte tenu de l’ancienneté de la relation commerciale (mars 2005-avril 2011, soit plus de 6 ans) et des circonstances en cause (notamment la précarisation de la relation issue du courrier de décembre 2007), à indemniser le fournisseur sur la base d’une durée de préavis de 4 mois et en considération d'un pourcentage de la marge brute escomptée correspondant à la part affectée par la rupture partielle. 

CA Paris, 8 févr. 2018, n° 15/12544

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