Droit de la concurrence et secteur agricole
mardi 22 mai 2018

Droit de la concurrence et secteur agricole

Saisie par le ministre de l’économie et des finances, l’Autorité de la concurrence s’est prononcée le 3 mai 2018 sur les conditions d’application du droit de la concurrence au secteur agricole. 

Cette saisine a eue lieu à l’issue des États généraux de l’Alimentation (EGA) qui se sont tenus durant le deuxième semestre de l’année 2017 et qui ont permis une concertation entre les différents acteurs de l’alimentation (producteurs, industriels, distributeurs, consommateurs). 

On notera que cette demande du ministre de l’économie et des finances s’inscrit dans un contexte particulier, marqué par deux évolutions européennes : 

  • la décision de la Cour de Justice de l’UE du 14 novembre 2017 rendue dans l’affaire dite « Endives », et  
  • l’adoption du règlement dit « Omnibus » le 13 décembre 2017. 

Les réponses de l’Autorité de la concurrence doivent notamment permettre à la DGCCRF d’élaborer des « lignes directrices pédagogiques visant à sécuriser les actions des filières concernées sous l’angle du droit de la concurrence ».
Les questions posées par la saisine (18) s’articulent principalement autour de quatre grands axes :

  1. les possibilités d’ententes horizontales entre producteurs au sein des organisations de producteurs (OP) et des associations d’organisations de producteurs (AOP) ;
  2. les possibilités d’accords verticaux entre acteurs du secteur au sein des organisations  interprofessionnelles (élaboration d’indicateurs, gestion collective de l’offre avec une régulation des volumes mis sur le marché et des promotions, élaboration de clauses de répartition de la valeur) ;
  3. les modalités d’application du droit de la concurrence aux démarches « tripartites » associant producteurs, industriels et distributeurs ;
  4. les modalités d’application du droit de la concurrence aux pratiques et accords relatifs aux démarches/filières de qualité.

Avant d’entrer dans le cœur des réponses de l’Autorité de la concurrence, il convient de rappeler que, le législateur européen préconise de longue date le regroupement de producteurs au sein d’OP afin de remédier : 

  • aux contraintes naturelles pesant sur les producteurs dans les secteurs où la production est périssable, comme le lait, la viande et les fruits et légumes, les volumes ne peuvent être ajustés à la demande. 

Le producteur se trouve dans l’incapacité de stocker durablement sa production, et donc de jouer sur les volumes en cas de variation des cours. L’offre à court terme ne peut être lissée par la gestion des stocks, et le risque de volatilité des prix qui pèse sur eux s’en trouve accru.

  • Aux importants déséquilibres de marchés, liés à la structure d’une offre atomisée et d’une demande concentrée, et à une asymétrie d’informations sur les prix au détriment des producteurs.   

Ainsi la régulation économique du secteur s’est-elle partiellement construite autour de dérogations aux dispositions européennes qui prohibent les pratiques d’entente. Les dérogations aux règles de concurrence sont, insiste l’Autorité,  avant tout des dérogations « incitatives » : elles ont pour finalité de susciter les regroupements de producteurs ou la structuration des filières, tous deux considérés comme des moyens pertinents pour remédier aux dysfonctionnements structurels du secteur. 

Néanmoins, le secteur ne peut fonctionner de façon optimale sans les règles de concurrence. C’est pourquoi l’Autorité de la concurrence rappelle que si le droit européen reconnait la primauté de la politique agricole commune sur les objectifs de la politique de concurrence, ainsi que le pouvoir du législateur de l’Union de décider dans quelle mesure les règles de concurrence trouvent à s’appliquer dans le secteur agricole, il n’en demeure pas moins que le secteur agricole ne peut être perçu comme un espace sans concurrence.

1. Concernant le volet « pratiques  horizontales » entre producteurs de l’avis 

L’enjeu étant que la structuration de l’offre en OP et en AOP est de nature à permettre un véritable renforcement du pouvoir de négociation des producteurs, tout en leur offrant un cadre juridique sécurisé. 

L’Autorité souligne que; l’arrêt « Endives » et de la CJUE et le règlement « Omnibus » ont respectivement précisé et étendu les possibilités de pratiques horizontales entre producteurs au sein des OP et AOP, contribuant à la sécurisation juridique du mécanisme de la concentration de l’offre. 

L’arrêt « Endives » est venu clarifier le cadre juridique applicable aux pratiques des OP et AOP : 

  • les pratiques mises en œuvre au sein d’OP ou d’AOP formellement reconnues par les Etats membres (échanges d’informations stratégiques, fixation collective de prix minima de vente, concertations sur les volumes, etc.) peuvent échapper à l’application de l’article 101, paragraphe 1 FUE si elles sont strictement nécessaires pour atteindre les objectifs assignés à l’OP ou l’AOP en conformité avec le règlement OCM
  • En revanche, les pratiques mises en œuvre entre OP et AOP ne sont pas couvertes par cette dérogation au droit de la concurrence et sont donc susceptible d’être prohibées au regard du droit des ententes. 

Le règlement « Omnibus » a introduit une nouvelle dérogation au droit des ententes pour les OP et AOP reconnues, sous réserve qu’elles respectent certaines conditions, notamment celle de concentrer l’offre et mettre sur le marché la production de leurs membres, avec sou sans transfert de propriété. La poursuite des activités couvertes par la dérogation ne doit cependant pas aboutir à exclure la concurrence ou menacer les objectifs de la PAC, ce qui conduirait l’Autorité ou la Commission à interrompre ou interdire les pratiques en cause pour l’avenir. 

Afin de bénéficier d’une réelle sécurité juridique, l’Autorité incite les producteurs à se regrouper au sein d’OP et d’AOP reconnues et, en cas de doute sur la compatibilité de certaines pratiques avec le droit de la concurrence, à saisir pour avis la Commission européenne, ainsi que le permet depuis le 1er janvier 2018 le paragraphe 2 de l’article 209 du règlement OCM.

2. Concernant le volet « accords verticaux entre acteurs au sein des organisations interprofessionnelles (OI) » de l’avis

L’enjeu sur cette question étant que dans leur mission de structuration des filières, les OI peuvent diffuser des indicateurs ou des indices, ainsi que des clauses type de répartition de la valeur telles que prévues dans le règlement « OMNIBUS », sous réserve de respecter certaines précautions.  

Les OI incluent des représentants liés à la production et d’au moins un autre partenaire de la chaîne d’approvisionnement (industriels ou distributeurs), et se constituent autour de problématiques communes et agissent dans l’intérêt de l’ensemble de leurs membres. L’Autorité observe qu’en France, pour des raisons historiques, cette forme d’organisation est très active dans la structuration du secteur agricole : environ la moitié des OI reconnues dans l’UE au 1er juin 2016 était française. 

Au terme de son analyse, l’Autorité relève que, dans le cadre de leur mission d’amélioration de la transparence du marché, les OI reconnues peuvent diffuser des indicateurs et des indices, soit émanant d’organismes publics, soit élaborés par elles, à condition que soient utilisées des données passées, agrégées, et si leur construction garantit l’anonymat des données et des entreprises.  

Les OI peuvent également se saisir du nouvel objectif qui leur a été attribué par le règlement Omnibus consistant à diffuser des clauses types de répartition de la valeur, combinant un ou plusieurs indicateurs ou indices, sous réserve de respecter les préconisations de l’Autorité émises dans le cadre du présent avis.  

Si elles souhaitent sécuriser juridiquement les indicateurs, indices et clauses types qu’elles diffusent, les OI peuvent en tout état de cause les notifier à la Commission européenne sur le fondement de l’article 210 du règlement OCM (pt. 235). 

Les dérogations aux règles de concurrence qui leur sont octroyées par le règlement OCM diffèrent en revanche de celles dont bénéficient les OP et AOP, en ce qu’elles ne peuvent mettre en place de mesures de régulation des volumes ou d’encadrement des promotions ou une quelconque forme de prix recommandés ou imposés : 

  • alors que l’article 152 du règlement OCM revêt des termes généraux et permet à des producteurs concurrents réunis au sein d’une OP ou d’AOP reconnues de déterminer en commun les conditions de commercialisation de leur production,  
  • l’article 157 du même règlement impose aux OI de s’en tenir à la possibilité de fournir des outils de négociation à ses membres.

3. Concernant les démarches tripartites associant les producteurs, intermédiaires et distributeur

Il convient de souligner que ces démarches : 

  • n’impliquent pas la conclusion d’un contrat tripartite au sens strict du terme (c’est-à-dire associant les trois parties), mais 
  • la succession de contrats bipartites prévoyant un volume de production et des prix d’achat, et adossés à un cahier des charges fixant des critères de qualité des produits, respectivement  
    • entre producteurs et transformateur, et 
    • entre transformateur et distributeur, 

L’Autorité considère que les contrats conclus dans le cadre de démarches « tripartites » ne sont pas susceptibles de soulever a priori de préoccupations de concurrence dès lors qu’ils respectent les conditions posées par le règlement n° 330/2010, c’est-à-dire :  

  • que les parties ne dépassent pas le seuil de 30 % de parts de marché,  
  • qu’ils produisent des gains d’efficience identifiables, 
  • qu’ils ne contiennent pas de restrictions caractérisées et qu’il n’y a pas d’effet cumulatif sur les marchés concernés. 

L’Autorité considère même que – sous réserve de respecter ces conditions – ces démarches tripartites sont susceptibles de produire de nombreux gains d’efficience pour les différentes parties : meilleure rémunération et garantie de débouchés pour le producteur, garantie pour l’industriel de rentabiliser une partie de ses infrastructures, garantie pour le distributeur d’un approvisionnement confirme à ses exigences, en termes notamment de qualité, transparence et meilleure qualité pour le consommateur. 

4. Concernant les pratiques visant à offrir une production haut de gamme via des filières de qualité

L’Autorité considère la pression qui pèse sur les acteurs du secteur agricole qui doivent faire face non seulement à la concurrence européenne et internationale, mais également à l’évolution de la demande des consommateurs, désormais plus attachés à la traçabilité et à la qualité des produits qu’ils consomment. 

Concernant cette tendance de montée en gamme de la production, l’Autorité recommande aux acteurs du secteur agricole de se fonder sur les dispositions d’exemption propres au secteur agricole.  

A cet égard, le règlement OCM permet aux États membres, à la demande de producteurs, de leurs associations, ou des OI, d'adopter des règles contraignantes pour la régulation de l'offre notamment pour les fromages et le jambon bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographiquement protégée, mais également pour le secteur vitivinicole (raisins, moûts et vin).  

Ces dérogations spécifiques aux règles de concurrence fondées sur des considérations en matière de qualité sont exclusivement liées à la gestion des volumes et ne peuvent porter sur les prix.  

Dans un souci de clarification des règles, l’Autorité préconise d’étendre les possibilités de régulation de l’offre existant dans ces secteurs sous AOP et IGP à d’autres produits bénéficiant de telles appellations.

 http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/18a04.pdf


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