
Rupture sans préavis en cas de non-réalisation d’un objectif et gravité du manquement.
Il appartient au juge de préciser en quoi la non-réalisation par une partie d’un objectif de chiffre d’affaires prévu au contrat, est de nature à caractériser un manquement suffisamment grave de cette dernière à ses obligations, justifiant la rupture sans préavis de leur relation commerciale.
Pour mémoire, l’article L 442-6-I, 5° du code de commerce dispose qu’engage sa responsabilité et s’oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale.
Cet article prévoit toutefois que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, notamment en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations contractuelles. Si ce texte ne précise ni la nature ni le degré de l’inexécution contractuelle autorisant la dispense de préavis, la jurisprudence retient toutefois que son application nécessite que l’inexécution des obligations contractuelles qu’il vise, présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture immédiate eu égard à l’ancienneté des relations des relations commerciales, dès lors qu’il instaure une dérogation à l’exigence d’un préavis prévu par cet article.
L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 avril 2018 vient rappeler cette règle en censurant une cour d’appel pour ne pas avoir précisé en quoi le non-respect d’une clause d’objectif de chiffre d’affaires était suffisamment grave pour justifier la résiliation d’une relation commerciale établie sans préavis.
En l’espèce, une société, et son gérant qui effectue des travaux d’assainissement, (ci-après le « Distributeur ») ont conclu avec une autre société fabriquant des appareils supprimant l’humidité des murs (ci-après le « Fournisseur »), le 1er octobre 2001, un contrat de distribution assorti d’une clause d’exclusivité.
Ce contrat prévoyait la réalisation d’un chiffre d’affaires annuel minimum dans le territoire concédé.
Neuf années plus tard, le Fournisseur a mis fin à la relation commerciale nouée avec le Distributeur, sans préavis, en invoquant la non-réalisation de la clause d’objectif.
Se prévalant d’une relation commerciale établie depuis 1990, soit depuis 20 ans, le Distributeur a assigné le Fournisseur en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Pour rejeter la demande du Distributeur, la Cour d’appel de Paris relevait qu’aux termes du contrat :
- le Distributeur s’engageait à réaliser un certain montant de chiffre d’affaires ;
- l’exécution du contrat pouvait être immédiatement suspendue en cas d’infraction grave et flagrante d’une clause contractuelle.
Pour la Cour d’appel, selon les termes du contrat, le défaut de respect de la clause d’objectif pouvait donc être constitutif d’une faute grave justifiant la résiliation immédiate sans préavis.
En l’espèce, pour justifier sa décision la Cour d’appel de Paris a constaté que le chiffre d’affaires réalisé par le Distributeur en 2008, 2009 et 2010 était nettement en deçà des termes contractuels, pour en déduire que le Fournisseur pouvait invoquer la faute grave du Distributeur pour rompre le contrat sans préavis.
L’arrêt d’appel est cassé par la Cour de cassation au visa de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, au motif qu’en se déterminant comme elle l’a fait « sans préciser en quoi la non-réalisation, par [le Distributeur], de l’objectif de chiffre d’affaires prévu au contrat, était de nature à caractériser un manquement suffisamment grave de cette dernière à ses obligations, justifiant la rupture sans préavis de leur relation commerciale, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Dans le cas d’espèce, il semble que la Cour d’appel se soit limitée à constater que la faute grave au sens du contrat était caractérisée, sans toutefois caractériser l’existence d’un manquement suffisamment grave au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui aurait justifié une résiliation sans préavis.
En d’autres termes, si le Fournisseur pouvait au regard des termes du contrat invoquer la clause d’objectif pour rompre le contrat, le respect des règles de résiliation contractuelle ne saurait cependant l’exonérer de sa responsabilité au regard de l’article L. 442-6, I, 5°, si cette rupture apparaît brutale.
Par ailleurs, dans cette affaire, le non-respect de la clause d’objectif n’était pas expressément sanctionné par la résiliation immédiate (le contrat prévoyait que l’exécution du contrat pouvait être immédiatement suspendue en cas d’infraction grave et flagrante d’une clause contractuelle), ce qui pouvait rendre la justification d’une rupture sans préavis moins aisée. En tout état de cause, même dans l’hypothèse où les parties au contrat seraient convenues que le non-respect de la clause d’objectif prévue contractuellement constitue un événement grave justifiant la résiliation du contrat sans préavis, les juges du fond auraient été tenus de caractériser, indépendamment des termes du contrat, le manquement suffisamment grave justifiant une rupture sans préavis d’une relation commerciale établie.
Cass. com., 5 avr. 2018, n° 16-19.923
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