La charge de la preuve de la proportionnalité d’une clause de quota
Le non-respect d’une clause d’achat minimum ne peut engager la responsabilité du distributeur que si le volume prévu est proportionné et réaliste. La charge de la preuve incombe au fournisseur.
Les faits : le contrat de distribution exclusive et la clause de quota d’achat
La société G.R.I.E., titulaire d’un contrat de distribution exclusif pour la France de tabac à chicha, a concédé à la société Mercier la distribution exclusive de ces produits en France. Ce contrat prévoyait notamment une obligation d’achat d’une quantité minimale annuelle de 24 tonnes. Après des retards de livraison et des commandes inférieures au minimum contractuel, G.R.I.E. a assigné Mercier en résiliation du contrat à ses torts et en paiement de dommages-intérêts pour non-respect des quotas d’achat et de l’obligation de développement du marché.
Le tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône a jugé que la résiliation était intervenue aux torts de G.R.I.E. et a débouté cette dernière de toutes ses demandes 1§4. G.R.I.E. a interjeté appel de cette décision.
Les arguments soulevés devant la Cour d’appel : obligation de moyens ou de résultat ?
Devant la Cour d’appel, chaque partie s’est efforcée de démontrer que la responsabilité de l’échec de la relation contractuelle incombait à l’autre, en s’appuyant sur une série de griefs distincts.
- Le fournisseur a invoqué la violation de l’obligation de paiement « 100 % à la commande validée », indiquée au contrat. Elle fait valoir que les paiements tardifs de Mercier, effectués après livraison, ont désorganisé le processus logistique et l’ont contrainte à faire l’avance des fonds. Mais surtout, elle reprochait à Mercier le non-respect de son « obligation d’achat d’un minimum annuel de 24 tonnes », qu’elle qualifie d’obligation de résultat. Mercier n’ayant commandé que 12 tonnes la première année et aucune commande par la suite, G.R.I.E. réclamait la réparation d’un préjudice commercial substantiel pour les trois années du contrat. Enfin, le fournisseur alléguait un manquement à « l’obligation de développement du marché » et critiquait le refus par Mercier d’accepter un projet de digitalisation et d’avoir pris contact avec des fournisseurs concurrents, y voyant une violation de son engagement de « faire de son mieux pour développer le plus grand marché possible » ;
- Le distributeur, la société Mercier, soutenait que la résiliation était imputable à G.R.I.E. et à son manquement à l’obligation de livraison, notamment compte tenu des retards de livraison. Concernant la clause de quota, elle arguait de son caractère irréaliste, soulignant que G.R.I.E. n’avait jamais justifié ce volume par une étude de marché. En conséquence, ces objectifs étaient impossibles à atteindre et elle ne pouvait pas y être tenue. Elle soutenait qu’en tout état de cause les retards de livraison de G.R.I.E. l’ont empêchée d’exécuter normalement le contrat et d’atteindre les objectifs fixés. Enfin, Mercier demandait réparation pour les préjudices subis du fait des manquements de G.R.I.E. et notamment une atteinte à son image de marque auprès de ses clients, un préjudice économique correspondant à la valeur d’un stock de produits périmés qu’elle a dû détruire, et les frais de cette destruction.
La décision de la Cour d’appel : les objectifs quantitatifs ne sauraient être arbitraires
La Cour d’appel de Dijon confirme en tous points le jugement de première instance, opérant une analyse factuelle détaillée qui neutralise les arguments du fournisseur et justifie l’imputabilité de la résiliation à ses propres torts.
La Cour écarte un à un les griefs formulés par G.R.I.E. en se fondant sur le comportement des parties et la logique économique du contrat.
Concernant l’obligation de paiement, les juges relèvent que les parties avaient, dans la pratique, convenu de modalités différentes de celles du contrat initial (paiement à la livraison via lettre de crédit) et que G.R.I.E. s’en était accommodée sans jamais adresser de mise en demeure formelle. Ce faisant, la Cour fait prévaloir l’exécution concrète sur la lettre d’un contrat que les parties ont tacitement amendé.
Concernant la clause de quota, la Cour la prive d’effet pour deux raisons principales :
- d’une part, elle la requalifie en obligation de moyens, et non de résultat, en la combinant avec la clause de « best efforts » prévue par le contrat pour le développement du marché ;
- d’autre part, et surtout, elle conditionne l’opposabilité d’une telle clause à son caractère « proportionné et réaliste ». Or, la Cour constate que G.R.I.E., sur qui pesait la charge de la preuve, n’a fourni aucun élément (par exemple une étude de marché, des chiffres antérieurs…) pour justifier le volume de 24 tonnes. Cette solution, protectrice du distributeur, rappelle que les objectifs quantitatifs ne sauraient être arbitraires ;
Enfin, la Cour balaye le manquement à l’obligation de développement en rappelant qu’il s’agit d’une obligation de moyens et que le contrat n’imposait pas à Mercier d’accepter les projets marketing de son fournisseur. De plus, le contrat n’étant pas un contrat d’approvisionnement exclusif, Mercier était libre de contacter d’autres fournisseurs.
Au-delà de rejeter les demandes de G.R.I.E., la Cour identifie la cause première de l’inexécution dans les propres défaillances du fournisseur. Elle constate que les retards de livraison répétés et les livraisons partielles sont établis et imputables à G.R.I.E.
La Cour établit un lien de causalité direct entre ces retards et l’incapacité pour Mercier « d’exécuter normalement le contrat dès la première année ». En manquant à son obligation fondamentale de « fournir au distributeur suffisamment de produits pour lui permettre de satisfaire la demande », G.R.I.E. a elle-même créé les conditions de l’inexécution par son cocontractant de ses obligations de volume et de développement. C’est donc logiquement que la résiliation est prononcée à ses torts exclusifs.
Cependant, la Cour se montre tout aussi rigoureuse dans l’appréciation des demandes reconventionnelles de Mercier. Elle les rejette, faute de preuve : l’atteinte à l’image de marque n’est pas démontrée, et pour le stock détruit, Mercier ne prouve ni que les produits étaient périmés à la livraison, ni qu’elle était dans l’incapacité de les vendre. La Cour applique ici strictement les règles de la charge de la preuve du préjudice et du lien de causalité.
Conclusion : de l’importance de justifier les quotas imposés au distributeur
En conclusion, cet arrêt illustre parfaitement l’importance de prévoir des quotas qui puissent objectivement être atteints par le distributeur et qu’ils soient donc raisonnables et adaptés au contexte. Pour le justifier, il est essentiel de s’appuyer sur des chiffres historiques ou des études de marché et de les communiquer en amont.
(Cour d’appel de Dijon, 2e chambre civile, 3 avril 2025, n°22/01150)
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