
Requalification du contrat de location-gérance en sous-location
La Cour d’appel de Paris revient à une jurisprudence plus stricte en considérant que le délai d’un mois écoulé entre la prise à bail d’un local et sa mise en location-gérance n’a pas permis au preneur de constituer une « clientèle suffisante » au fonds de commerce.
Dans un arrêt du 5 juillet 2023, la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 5 juillet 2023, n°23/01384) s’est prononcée sur la qualification d’un contrat de location-gérance au regard de l’existence de la clientèle du fonds de commerce objet du contrat.
Le litige opposait une SCI (ci-après « Bailleur ») ayant donné à bail à une société (ci-après « Preneur ») un local commercial destiné exclusivement aux activités de restauration à l’exclusion de toute autre utilisation.
Le Bailleur sollicitait la résiliation judiciaire du bail notamment au motif que le Preneur – sans opérer de notification officielle – avait consenti un contrat de location-gérance.
La Cour rappelle que le bail interdisait la sous-location, mais autorisait la location-gérance sous réserve de la notifier au bailleur avec copie du contrat. Cette notification n’était pas établie en l’espèce.
En sus de ce premier élément, la Cour ajoute que le Preneur avait consenti la location-gérance à une société tierce en date du 20 novembre 2020, or, « la location-gérance ayant essentiellement pour objet l’exploitation d’un fonds de commerce dont la clientèle est l’un des éléments essentiels outre le droit au bail, [le Preneur], qui a pris à bail les locaux le 10 octobre 2020, n’a pas été en mesure de se constituer une clientèle suffisante dans un délai d’un mois de sorte que le contrat passé avec [le locataire-gérant] doit s’analyser non comme une location-gérance mais comme une sous-location déguisée ».
La Cour confirme donc la résiliation du Bail.
Le raisonnement de la Cour est qu’en l’absence de clientèle suffisante, il n’existait pas de fonds de commerce, dès lors, le contrat de location-gérance avait pour seul objet la mise à disposition du droit au bail, elle en déduit donc que le contrat doit être requalifié en sous-location.
La décision commentée rappelle ainsi que la détermination de la date d’apparition de la clientèle réelle et certaine est fondamentale pour déterminer la date de création du fonds de commerce : celle-ci permettra de distinguer entre le contrat de bail (ou de sous-location des locaux) et le contrat de location-gérance.
Pour rappel, différents critères ont pu être retenus par la jurisprudence pour déterminer la date d’existence du fonds de commerce.
L’un des critères de détermination de l’existence du fonds de commerce est celui de la maîtrise juridique des éléments d’attraction de la clientèle. La Cour de cassation a ainsi jugé dans un arrêt TREVISAN que « si une clientèle est au plan national attachée à la notoriété de la marque du franchiseur, la clientèle locale n’existe que par le fait des moyens mis en œuvre par le franchisé, parmi lesquels les éléments corporels de son fonds de commerce, matériel et stock, et l’élément incorporel que constitue le bail, que cette clientèle fait elle-même partie du fonds de commerce du franchisé puisque, même si celui-ci n’est pas le propriétaire de la marque et de l’enseigne mises à sa disposition pendant l’exécution du contrat de franchise, elle est créée par son activité, avec des moyens que, contractant à titre personnel avec ses fournisseurs ou prêteurs de deniers, il met en œuvre à ses risques et périls » (Cass. 3e civ., 27 mars 2002, n° 00-20.732). Au regard de ce critère, le fonds est considéré comme créé lorsque l’exploitant met en œuvre, à ses risques et périls, ses divers éléments (marque, enseigne, local d’exploitation, matériel, marchandises…).
Plus récemment certaines décisions ont pu admettre que le fonds de commerce était créé dès lors qu’il était ouvert au public. La Cour de cassation a par exemple jugé au sujet de la création d’une officine de pharmacie que « l’ouverture au public entraînait la création d’une clientèle réelle et certaine » (Cass. 1ère Civ., 4 décembre 2023, n°12-28.076 confirmant CA Rennes, 2 octobre 2012, n°11/03963, V. également CA Aix-en-Provence, 3 mars 2004, n°01/13482).
Enfin, certaines décisions, assez anciennes, ont pu admettre que la date d’existence de la clientèle pouvait être fixée au moment du commencement d’exploitation du fonds, et notamment au moment de la conclusion d’opérations avec les clients. Cette solution a pu être retenue, par exemple, en matière d’intégration aux acquêts : bien que l’un des époux ait obtenu l’immatriculation de son fonds de commerce avant le mariage, celui-ci n’apportait pas la preuve que l’établissement avait été fréquenté par le moindre client les trois semaines ayant précédé son mariage, la preuve de l’antériorité du fonds n’était donc pas rapportée (Cass. 1re civ., 18 avr. 1989, n° 87-19.348 : JurisData n° 1989-70146 ; Bull. civ. I, n° 153).
La décision de la Cour d’appel de Paris du 5 juillet 2023 semble s’inscrire dans un courant plus strict que ceux des jurisprudences citées. Il se déduit de cette décision l’exigence non seulement d’une clientèle, mais d’une clientèle suffisante. En outre, la Cour déduit cette absence de clientèle, de la durée insuffisante écoulée entre la prise à bail des locaux et la conclusion du contrat de location-gérance. La Cour semble exiger une condition d’exploitation préalable du fonds avant sa mise en location-gérance. Cette exigence a pourtant disparu de la loi depuis l’abrogation de l’article L.144-3 du Code de commerce, lequel imposait l’exploitation du fonds de commerce par le loueur pendant deux ans au moins avant la concession d’une location-gérance.
Un tel raisonnement présente l’inconvénient de créer une certaine marge d’incertitude. En effet, la décision ne dégage pas de critère fixe permettant de déterminer quelle durée d’exploitation serait nécessaire pour en déduire l’existence d’une clientèle.
Bien que cet arrêt, inédit, semble de portée limitée, il conviendra en pratique de prendre en compte le fait qu’il existe un risque à mettre en location-gérance un fonds de commerce n’ayant pas fait l’objet d’une exploitation préalable.
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