Vers une illicéité de la clause de fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative de marché ?

Les bailleurs dérogent régulièrement au statut des baux commerciaux en fixant, dans le bail initial, le loyer du bail renouvelé à une valeur de marché. Une telle clause semble néanmoins réputée non-écrite.

Renouvellement du bail commercial : quel loyer ?

Comme nous le savons, les dispositions relatives à la fixation du loyer du bail renouvelé ne sont pas d’ordre public, puisqu’elles ne sont pas visées par les articles L. 145-15 et L. 145-16 du code de commerce.

Si certaines dispositions liées au statut des baux commerciaux, non visés par les dispositions susvisées, ont été jugées d’ordre public par la Haute juridiction (forme des congés, durée du bail renouvelé, droit de préemption), tel n’est pas le cas des articles L. 145-33 et L. 145-34 du code de commerce concernant la fixation du loyer du bail renouvelé.

Bien au contraire, et jusqu’alors, la jurisprudence considère que l’on peut y déroger (Cass. 3ème civ., 2 juillet 1997, n° 95-18870 ; Cass. 3ème civ., 3 mai 2007, n° 06-13433).

Dans un arrêt de principe de la Cour de cassation du 10 mars 2004 (n° 02-14998), il avait été jugé en ce sens que :

« rien ne s’oppose à ce que les parties choisissent d’un commun accord de déterminer à l’avance par une stipulation du bail les conditions de fixation du prix du bail renouvelé« .

On sait que les bailleurs ont tendance à intégrer dans leurs baux commerciaux, notamment dans les centres commerciaux, des clauses de fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative de marché.

Différence entre valeur locative de marché et valeur locative code de commerce

La différence entre la « valeur locative code de commerce » et la « valeur locative de marché » est manifeste, surtout lorsqu’il s’agit d’emplacements « Flagship » ou « centres commerciaux » !

Si le code de commerce (articles L. 145-33 et L. 145-34) fixe le loyer du bail renouvelé selon les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité ainsi que les prix couramment pratiqués dans le voisinage, et qu’il instaure encore le plafonnement et le lissage du loyer, la valeur de marché est toute autre. Elle est bien supérieure à la valeur locative statutaire.

Dans une décision du 30 juin 2012, le juge des loyers de Paris avait défini la valeur locative de marché comme « la valeur locative d’un emplacement telle qu’elle résulte du jeu de l’offre et de la demande sur un marché ouvert à la concurrence » (TGI Paris, 30 juin 2012, RG n° 10/02225).

Pour illustrer cette différence, dans cette affaire, le juge avait rappelé que l’expert judiciaire désigné dans cette affaire a « déposé son rapport concluant à une valeur locative de 3 000 000 euros aux conditions définies à l’article L. 145-33 du code de commerce et 4 650 000 euros en valeur de marché ».

Et ces clauses de fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative de marché sont, encore à ce jour, admises par les juridictions.

Pour une récente illustration, la cour d’appel de Lyon a considéré valable la clause selon laquelle, « en cas de renouvellement du bail, le loyer du nouveau bail sera, à défaut d’accord amiable, fixé à la valeur locative marché des biens loués à la date du renouvellement, et ce, de convention expresse, par dérogation aux articles L.145-33 et L.145-34 et suivants du code de commerce » (CA Lyon, 8 Octobre 2020, n° 17-08329).

Le principe du droit au renouvellement du bail commercial a pour corollaire le droit à l’indemnité d’éviction

Sans remettre en cause l’ensemble des clauses permettant de choisir d’un commun accord, les conditions de fixation du prix du bail renouvelé, il conviendrait d’y mettre des limites, en tentant notamment de faire changer la position des juridictions sur celles permettant la fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative de marché.

En effet et pour mémoire, l’article L. 145-15 du code de commerce dispose notamment que :

« Sont réputés non écrits, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ».

Il convient de rappeler que le droit à l’indemnité d’éviction est le corollaire naturel du droit au renouvellement du bail.

Dès lors, les clauses portant renonciation du locataire à se prévaloir de l’indemnité d’éviction, tombent sous le coup de l’interdiction de l’article L. 145-15 du Code de commerce au même titre que les clauses restrictives du droit au renouvellement lui-même (Cass. 3e civ., 7 oct. 1987 : JCP G 1987, IV, 378 ; Rev. loyers 1989, p. 186. – Cass. 3e civ., 24 févr. 2004 : Administrer mai 2004, p. 26).

Le principe posé par l’article L. 145-14 du code de commerce est le suivant :

« Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ».

Au visa de ce texte, la jurisprudence bien établie considère qu’il appartient au bailleur de rapporter la preuve que le préjudice serait moindre que celui de la perte du fonds de commerce (Cass. 3ème civ., 21 mars 1968, Bull. civ. III, n° 122 ; Cass. 3ème civ., 11 juillet 2019, n° 18-16993).

Il appartient donc au bailleur d’apporter la preuve que le fonds est transférable.

Dans cette hypothèse de transfert du fonds de commerce, il s’agit d’une indemnisation fixée au préjudice subi par la perte des avantages du bail, appelé communément « valeur du droit au bail ».

De plus, même en cas de perte du fonds, la jurisprudence retient que la valeur du fonds de commerce est au moins égale à celle du droit au bail qui s’y trouve incluse, même si le fonds est déficitaire (Cass. 3ème civ., 20 mai 1980, Bull. civ. III, p. 75 ; Cass. 3ème civ., 28 mars 2019, n° 18-11739).

C’est la valeur « Plancher » : la valeur du fonds est alors réduite à celle du droit au bail.

L’indemnité d’éviction réduite à néant en cas de fixation du loyer du bail renouvelé à la valeur locative de marché

Communément, la valeur du droit au bail s’établit par le différentiel entre la valeur locative de marché et le loyer applicable si le bail avait été renouvelé.

Dès lors, si le bail prévoit que le loyer du bail renouvelé est fixé à la valeur de marché, on ne peut déterminer une quelconque valeur de droit au bail puisqu’elle résulte justement de la différence entre la valeur locative de marché et le loyer qui aurait été fixé conformément aux dispositions des articles L. 145-33 et L.145-34 du code de commerce si le bail avait été renouvelé.

Il n’y a, par conséquent aucune valeur du droit au bail, le preneur ne pouvant recevoir paiement de son indemnité d’éviction.

Il a d’ailleurs déjà été jugé que la valeur du droit au bail ne peut être exclue d’un calcul de l’indemnité même si le fonds a été transféré dans d’autres locaux (Cass. 3e civ., 28 mars 2019, n° 18-11.739).

La Haute juridiction a de plus récemment rappelé que l’indemnité d’éviction, destinée à permettre au locataire évincé de voir réparer l’entier préjudice résultant du défaut de renouvellement, doit être fixée en tenant compte de la valeur du droit au bail des locaux dont le locataire est évincé (Cass. 3ème civ., 13 oct. 2021, n° 20-19.340).

C’est dire que le montant de l’indemnité d’éviction ne peut par conséquent être égal à zéro.

Enfin, la Cour de cassation n’a-t-elle pas jugé que la condition d’augmentation du loyer mise à la réalisation de travaux est considérée comme faisant échec au droit au renouvellement du preneur ? (Cass. 3e civ., 25 févr. 2016, n° 14-25.087).

Les juridictions entendent usuellement protéger les locataires, en faisant respecter les dispositions du code de commerce.

En définitive, l’enjeu est de taille ! L’annulation d’une telle clause permettra au preneur d’obtenir, soit un renouvellement de son bail pour un loyer plus faible, soit une indemnité d’éviction plus importante !

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