Gestion des enjeux du Coronavirus COVID19 par les enseignes
jeudi 7 mai 2020

Gestion des enjeux du Coronavirus COVID19 par les enseignes

Par Jean-Baptiste Gouache, Associé fondateur de Gouache Avocats

Coronavirus Covid 19 : l’annulation des loyers, première mesure exceptionnelle pour répondre à la situation

La pandémie de Cornavirus COVID 19 qui frappe nos sociétés a conduit la plupart des gouvernements des pays dans lesquels les enseignes opèrent à prendre des mesures restrictives des libertés.

La liberté de commercer a été atteinte par la fermeture administrative des lieux ouverts au public, tandis que la liberté d’aller et venir a été restreinte, de sorte que la clientèle ne peut plus se déplacer pour consommer.

Ces mesures, généralement strictes, sont en passe de s’assouplir, sans pour autant être levées. Le défi que les enseignes doivent relever est désormais celui de la sécurité et de la confiance.

L’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur, autant que la nécessité absolue de rassurer la clientèle, vont conduire à la prise de mesures exceptionnelles dans les lieux ouverts au public.

La compatibilité de ces mesures avec la restauration d’une confiance nécessaire à la fréquentation des magasins et aux actes d’achat se pose avec d’autant plus d’acuité que les libertés, tant de commercer que de se déplacer, ne sont réinstaurées qu’au compte goutte.

Dans ce contexte, l’expérience d’autres pays montre que la consommation est à ce moment, significativement plus faible que celle d’avant crise, rendant inadéquats les structures de charges des comptes d’exploitation à ces niveaux d’activité.

Pour accompagner cet arrêt total des activités de la plupart des enseignes, puis cette reprise partielle de leur activité, la plupart des gouvernements ont adopté des mesures d’accompagnement exceptionnelles.

En France, ces mesures ont globalement consisté au recours au dispositif d’activité partielle, en un report des charges sociales et fiscales, et aux prêts directement consentis par BPI ou garantis par l’Etat. La première phase de la crise, a consisté, pour les entreprises, à obtenir le bénéfice de ces mesures et à prendre toutes les dispositions utiles de très court terme : examen de la situation des loyers, des engagements fournisseurs en cours, dialogue avec les réseaux de distributeurs, gestion du télétravail et/ou de l’activité partielle des collaborateurs.

La question des loyers a alors été fondamentale pour les enseignes : la question est de savoir si elles peuvent prétendre à un effacement de ceux-ci pendant la période de fermeture ou de réduction administrative d’activité.

Covid 19 : les aides fournies n’apportent pas de solutions définitives

Sur les loyers commerciaux : l’état n’a pas tranché 

Rappelons que le Gouvernement, dans la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire, a reçu du Parlement une habilitation lui permettant d’ordonner le report ou l’étalement des loyers. Il ne l’a pas utilisée et s’est contenté :

   - d’une ordonnance interdisant aux bailleurs de mettre en œuvre les clauses résolutoires et les clauses de pénalité financières des baux commerciaux pendant la période d’état d’urgence sanitaire contre les preneurs éligibles au fond de solidarité ;

   - d’une autre sur les délais de procédure, repoussant à 30 jours après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire le délai d’acquisition des clauses résolutoires expresses.

Dans ce contexte, le Ministre, face au lobbying des fédérations de bailleurs comme celui des fédérations de preneurs, renvoie les parties dos à dos devant un médiateur qu’il a nommé pour se débarrasser de ces interlocuteurs qu’il ne peut satisfaire ni dans un sens ni dans l’autre.

Cette question reste donc largement non traitée et comme je l’ai annoncé dès le début de cette crise, elle sera d’abord résolue dans les rapports que chaque enseigne entretient avec chaque bailleur : de manière bilatérale, et dans le cadre du bail commercial.

Dans ce même premier temps, les enseignes ont été conciliantes pour la plupart avec leurs distributeurs, octroyant des suspensions totales ou partielles des redevances dues, lorsqu’elles n’étaient pas proportionnelles, de même que la plupart des fournisseurs ont octroyé des délais de paiement et ont accepté une suspension temporaire des engagements d’achats.

Cette crise n’est pourtant pas finie. Elle perdure et nous n’avons vécu que sa première phase.

Sur l’octroi des PGE : un endettement qui risque de précipiter les entreprises déjà fragiles vers la faillite

L’Etat a immédiatement réagi en apportant des liquidités à l’économie par le report des dettes fiscales et sociales, les prêts BPI et PGE, et en prenant en charge une part significative du coût de l’emploi.

Les entreprises se sont à cette occasion endettées. En souscrivant des prêts BPI ou des PGE, elles ont accepté de financer des dettes de court terme par une ressource à long terme. Cela est contraire aux règles élémentaires de gestion financière.

Cet endettement est au surplus non productif : il ne finance aucun investissement. Il n’a vocation qu’à couvrir du besoin en fond de roulement et à retarder une échéance s’il ne pouvait éviter sa survenance : celle du défaut, c’est-à-dire de la cessation des paiements, quand l’entreprise ne peut plus faire face au passif exigible avec son actif disponible.

Il s’est agi de limiter les pertes en capital. Cela était nécessaire. Mais cela est aussi dangereux si l’on n’anticipe pas le coup d’après, d’autant plus si, avant la crise du COVID 19, l’enseigne exploitait déjà un nombre significatif de points de vente ayant des EBE négatifs et/ou subissait des taux d’efforts (rapport du loyer chargé au CA) trop élevés, etc.

La résorption de cet endettement des enseignes et de leurs distributeurs ne peut s’effectuer qu’avec une reprise rapide et franche de l’activité. Nous la souhaitons, mais elle apparaît peu probable. Le dirigeant d’enseigne doit donc prévoir.

Il doit prévoir une possible inadéquation de sa structure actuelle de charges à son chiffre d’affaires des mois qui viennent et la consommation de trésorerie qui en sera induite. Il sera fixé très prochainement sur cette hypothèse.

Revenons pour illustrer ce propos, à la problématique des loyers.

COVID 19 : Le temps judiciaire est trop long pour obtenir des résultats sur l’annulation des loyers 

Les enseignes l’ont bien évidemment anticipée et les plus grandes d’entre elles ont entamé une négociation avec leurs principaux bailleurs pour tenter d’obtenir des réductions de loyers et mieux encore une fixation de celui-ci à un pourcentage du chiffre d’affaires sans loyer minimum garanti.

Bien évidemment, les foncières y sont rétives : la valeur locative (fixée de manière forfaitaire au bail) détermine la valeur de leurs actifs et toute remise conduit à la dégrader mécaniquement. Cette vision purement financière ne facilite pas l’obtention d’un résultat pour fixer les loyers à un niveau plus adéquat, à ce stade de la crise.

Les leviers juridiques (ou plus exactement judiciaires) qui ont été présentés pour parvenir à ce résultat de baisse de loyer ont un temps long et comportent un aléa. Prenons deux illustrations avec l’imprévision (art 1195 du Code civil) et la révision du loyer (articles L. 145-38 et 39 du Code de commerce).

L’imprévision n’est susceptible de concerner que les baux conclus ou renouvelés après le 1er octobre 2016, en l’état de la jurisprudence, dès lors qu’ils n’ont pas écarté cette disposition légale, qui en l’état du droit est supplétive. Cela réduit beaucoup le nombre de baux éligibles à ce fondement, les foncières ayant systématiquement écarté l’imprévision. L’exécution du bail commercial doit ensuite devenir excessivement onéreuse, notion subjective, invitant le juge, qui n’y est pas formé, à une analyse économique, et pour laquelle la jurisprudence n’a pas eu l’occasion de se fixer. Outre l’incertitude, le bail doit s’exécuter dans ses termes pendant tout le temps de la discussion amiable puis de la procédure judiciaire en imprévision : il faudra donc compter au minimum un an et plus sûrement presque deux pour être fixés (positivement ou non).

Le temps judiciaire et l’obligation de payer seront probablement bien longs au regard de la consommation de trésorerie induite par l’exécution du bail en question et celle du fonds de commerce logé dans les murs loués.

Deuxième illustration, la révision du loyer en cours de bail commercial est un droit pour l’enseigne si la modification des facteurs locaux de commercialité a entraîné une diminution de plus de 10 % de la valeur locative, ou si la variation de du loyer, lorsque le bail comprend une clause d’échelle mobile, a excédé 25%.

Les experts judiciaires, dont notre partenaire pour le testeur de valeur locative, Patrick Colomer, pensent que la crise du COVID va entraîner la libération de nombreuses cellules (liquidations, acquisition de clauses résolutoires, résiliations amiables, etc.) et que les cellules libérées seront recommercialisées à des valeurs inférieures aux valeurs actuelles.

Or, la Cour de cassation a considéré (Civ. 3ème,  26 septembre 2001) que la fermeture de boutiques accompagnée de la baisse de la valeur locative constituait une modification matérielle des locaux de commercialité. Cela rendra recevable sur le fondement des articles L. 145-38 et 39 du Code de commerce les demandes de révision.

Toutefois, la vacance et la baisse des valeurs locatives devra être constatée : cela ne sera le cas que dans plusieurs mois alors que les enseignes devront payer leurs charges sans avoir le chiffre d’affaires afférent à leur structure usuelle. Ensuite, la révision implique un temps procédural long, de l’ordre de deux ans, compte tenu du recours à l’expertise notamment. Bien entendu, le loyer fixé rétroagit à la date de révision, mais il faut avoir les moyens de supporter, en trésorerie, pendant tout ce temps la structure inadéquate de ses charges.

Cet exemple vaut également pour les engagements financiers dès lors que les cash flows risquent d’être insuffisants pour les couvrir. Il vaut encore pour les engagements de volume pris auprès des fournisseurs : quand ceux-ci pourraient les faire exécuter de manière forcée, ils tireront au minimum de l’inexécution une remise en cause de leurs engagements tarifaires qui pèseront sur les marges.

Dans le même temps, les défauts de paiement des distributeurs sous enseigne vont s’accroître, car il seront eux aussi confrontés :
   - aux méventes ;
   - à la réduction de la marge du fait de ventes réalisées souvent sous promotion pour ceux dont les stocks, inadéquats, doivent être rapidement écoulés ;
   - à des structures de charges non réadaptées.

Le pire n’est jamais certain et formons le vœu que cette situation ne prévale pas ou à tout le moins pas trop longtemps. Mais les vœux ne préservent de rien et la responsabilité du dirigeant est d’anticiper et de décider.

Préparer des arbitrages sur les emplacements commerciaux 

D’ici quelques jours, quelques semaines, nous serons fixés sur les tendances de reprise de la consommation. Si le niveau de chiffre d’affaires antérieur à la crise n’est pas très vite retrouvé, les dirigeants qui veulent que leur enseigne survive vont devoir restructurer leurs engagements.

Pour les baux, cela signifie :

   - se débarrasser de tous les magasins qui ne sont pas rentables et ne peuvent être rendus rentables : on rend les clés aux bailleurs pour limiter les cash flows négatifs consommant la trésorerie ; 

   - obtenir des loyers fixés à des taux d’effort normatifs dans votre secteur d’activité, du fait des nouveaux niveaux de chiffre d’affaires (quitte à les rendre progressifs par l’introduction d’une clause d’échelle mobile là où elle n’existe pas) : aucun loyer minimum garanti ne doit excéder ces taux.

Le temps est déterminant pour atteindre ces objectifs. Nous avons vu que le temps judiciaire de l’imprévision ou de la révision légale des loyers était long : en réalité incompatible avec les exigences d’un équilibre financier du résultat d’exploitation qui doit être atteint à bref délai. Ces procédures seront utiles : mais elle devront être cumulées à d’autres.

La cession de fonds de commerce ou de droits au bail, amiable, sera un recours pour cela, à condition que le marché de ces actifs le permettent : qu’il y ait une liquidité suffisante, c’est-à-dire des acheteurs, et que ceux-ci soit financés par les prêteurs.

Les restitutions de locaux peuvent aussi se faire par la délivrance d’un congé en fin de bail, mais cela ne peut concerner qu’une partie du parc et pas forcément celle pour laquelle on a décidé de fermer les points de ventes.

Bien entendu, le temps court peut-être celui de la négociation. Elle doit avoir lieu : dans les semaines qui suivent, si la situation à la réouverture est celle d’une inadéquation charges / produits.

Mais la négociation n’aboutit que quand les intérêts se rencontrent suffisamment ou que les rapports de force entre les parties permettent la conclusion d’un accord, par levier suffisant. Il n’est pas certain ou plutôt il est improbable que ces situations soient les plus fréquentes entre enseignes et bailleurs, beaucoup n’ayant pas une force de négociation suffisante face au bailleur ou encore entre enseignes et prêteurs.

C’est la raison pour laquelle l’enseigne doit analyser ses engagements, sa capacité à les renégocier pour les porter au niveau recherché et adéquat, et déterminer le chemin pour y parvenir.

Covid 19 : anticiper les difficultés de l’entreprise par des restructurations 

Un des moyens d’encadrer la négociation est, par exemple, de recourir à un mandat ad’hoc  : le Président du tribunal de commerce nomme un mandataire ad hoc, généralement un administrateur judiciaire, qui avec le support de l’équipe constituée par l’enseigne (dirigeants, analystes financiers, avocats) va négocier les engagements de l’enseigne dans un cadre contractuel. Confidentielle, cette procédure permet de porter un message clair aux bailleurs, prêteurs et à tous les créanciers de l’enseigne dont les engagements doivent être restructuré. Celui qu’en cas d’échec du mandat ad hoc, si aucune solution n’est trouvée consensuellement entre tous (le mandataire ad hoc n’ayant pas de pouvoir légal de mettre un terme à un engagement contractuel ou de le réaménager), l’enseigne a toute chance de mettre en œuvre un niveau de contrainte complémentaire pour le créancier.

Ce niveau de contrainte résulterait de l’engagement d’une procédure de sauvegarde : l’administrateur judiciaire alors désigné par le tribunal de commerce se trouve alors notamment investi du pouvoir de dénoncer les contrats en cours à défaut d’accord sur de nouvelles conditions contractuelles. Dans le même temps, toute les dettes de l’enseigne antérieures au jugement d’ouverture seraient gelées jusqu’à l’adoption d’un plan d’apurement du passif: la procédure peut durer au maximum 18 mois et le plan étaler les dettes antérieures sur 10 ans. Les créanciers subissent donc une éventuelle double peine : résiliation et étalement de leurs créances sur un durée qui les déclasse en créances non valorisables.

Ces procédures peuvent être ouvertes avant la survenance de la cessation des paiements. Si celle-ci survient, les procédures de conciliation ou de redressement judiciaire permettent de bénéficier des mêmes outils  pour restructurer les engagements de l’enseigne.

Bien entendu, le recours à ces procédures n’est pas neutre : il peut toutefois être salutaire. Les engagements mesurés à l’aune du niveau d’activité à la reprise détermineront le temps qu’aura l’enseigne pour réagir. Le temps sera maître des choix de chemins.

Je pense que les enseignes qui auront su se restructurer le plus tôt et le plus complètement seront celles qui seront en position de prendre le meilleur de leurs marchés à la reprise.

C’est dans cette perspective que le cabinet a renforcé son équipe en baux commerciaux et a conclu avec Serge Pelletier, avocat associé du cabinet RESCUE, un partenariat permettant à toutes les enseignes clientes de bénéficier de son expertise de près de 25 ans, reconnue du marché en matière de restructuring et de traitement des difficultés des entreprises, aux côtés de nos équipes baux et distribution.

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