
La notion de bonne foi écartée concernant l’agrément du fournisseur d’un réseau de distribution sélective
L’exigence de bonne foi prévue par le droit commun des contrats ne permet pas d’imposer à la tête d’un réseau de distribution sélective quantitative d’encadrer l’agrément de ses distributeurs par des critères objectivement fixés, appliqués de manière uniforme et non-discriminatoire.
La Cour de cassation est venue apporter une clarification bien venue en cassant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 24 mai 2017 qui avait accepté l’immixtion au stade pré contractuelle de la notion de bonne foi pour la sélection des distributeurs en matière de distribution sélective quantitative.
L’arrêt d’espèce concernait un constructeur automobile tête de réseau ayant cédé son fonds de commerce à un cessionnaire décidant de reprendre à sa charge la distribution des produits. Le cessionnaire avait annoncé cette reprise aux distributeurs afin que ces derniers puissent candidater pour la signature de nouveaux contrats. Or, l’un des concessionnaires, précédemment agrée, s’est vu refusé sa candidature pour intégrer le réseau. Le candidat malheureux a alors contesté ce refus d’agrément sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, anciennement 1382.
Ce dernier demandait indemnisation d’un préjudice alléguant d’une part, que le refus d’agrément était fautif (point sur lequel se concentrera notre analyse), et d’autre part, d’un retard dans la notification de refus par la nouvelle tête de réseau. Ce second argument est écarté par la Cour de cassation qui retient que la Cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de la lettre d’annonce de candidature au potentiel distributeur.
Pour rappel, la distribution sélective est un mode d’organisation de la vente de ses produits par le fournisseur uniquement via des distributeurs choisis selon des critères spécifiques et définis. Des règles particulières en droit de la concurrence français et européen encadrent ce système de distribution.
La distribution sélective purement qualitative repose sur un agrément par des critères objectifs requis par la nature du produit, alors que la distribution sélective quantitative renvoie à une sélection en fonction de critères limitant plus directement le nombre de revendeur, comme par exemple l’application d’un numerus clausus.
Dès lors que ce système implique une réduction du nombre de distributeurs, il est susceptible de restreindre le jeu de la concurrence. Toutefois, un a priori favorable leur permet d’échapper à la qualification d’entente anticoncurrentielle. Cela sous réserve de (i) ne pas comporter de clauses noires ou restrictions caractérisées et de (ii) respecter les seuils de parts de marché, de 30% selon le règlement 330/2010 et de 40% à l’époque du règlement 1400/2002 propre au secteur automobile et applicable à l’arrêt d’espèce.
Alors que la Cour d’appel avait retenu en droit de la concurrence, la validité du refus d’agrément opéré par le fournisseur, elle avait sanctionné ce dernier au titre du droit des contrats en estimant qu’une « obligation générale de bonne foi » imposait à la tête de réseau, dès la période pré contractuelle, de sélectionner ses distributeurs sur le fondement de critères étant définis de manière objective et appliquer de façon non-discriminatoire. Or, ces conditions particulières de critères de sélection renvoient à ceux retenus en droit de la concurrence.
En conséquence, l’arrêt d’appel avait fait porter sur la tête de réseau une charge telle qu’il devait pour l’agrément de ses distributeurs, d’une part, notifier ses critères à tous les candidats dans les mêmes conditions, et d’autre part, motiver les refus d’agréer les distributeurs non retenus pour rapporter la preuve de l’examen de leur candidature en s’abstenant de discriminer.
L’introduction des critères propres au droit de la concurrence par le biais de la bonne foi prévue de droit commun apparaissait critiquable à plusieurs égards. Cela ne serait-ce que du simple fait qu’il permettait le retour via le juge de la prohibition des pratiques discriminatoires per se pourtant écartées par le législateur.
Ainsi, alors que la Cour d’appel avait retenu que le Fournisseur devait sélectionner ses distributeurs sur le fondement de critères définis, objectivement fixés et appliqués de manière non-discriminatoire, la Cour de cassation affirme que la tête d’un réseau de distribution n’est pas soumise à une « exigence de bonne foi » telle qu’elle impliquerait « la détermination et la mise en œuvre d’un tel process de sélection » faisant ainsi prévaloir « les principes de liberté contractuelle et de liberté du commerce et de l’industrie ».
La solution de la haute juridiction peut être salué car elle vient se mettre en droit fil avec celles européenne et françaises en droit de la concurrence concernant la distribution sélective qualitative. La jurisprudence Jaguar de la Cour de Justice avait ainsi indiqué depuis 2012 que ce type de distribution imposait à la tête de réseau d’établir « des critères dont le contenu précis peut être vérifié » sans pour autant lui imposer des critères qui seraient « objectivement justifiés et appliqués de façon uniforme et non différenciée à l’égard de tous candidats à l’agrément », comme c’est le cas pour la distribution sélective qualitative (CJUE, 14 juin 2012, aff. C-158/11, Auto 24 / Jaguar Land Rover France).
La Cour de cassation semble même aller plus loin que les seuls réseaux de distribution sélective quantitative, dès lors qu’elle vise dans son attendu « la tête d’un réseau de distribution » sans référence à un type de distribution particulière. Une solution générale est donc mise en avant pour permettre de limiter les obligations pouvant peser sur la tête de réseau du fait de la bonne foi en droit des obligations. Les développements de la Cour de cassation portent cependant de manière étendue sur la distribution sélective quantitative et une confirmation de cette interprétation sera donc bienvenue concernant la liberté de refus d’agrément laissée au fournisseur en matière de distribution sélective qualitative.
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