Centrales d’achat et tentative de soumission

Centrale d’achat et distributeurs sont sanctionnés pour avoir tenté de soumettre leurs fournisseurs à un déséquilibre significatif après avoir sollicité des modifications de leurs contrats quelques semaines seulement après la conclusion de la convention annuelle.

Le 15 mars 2023, la Cour d’appel de Paris a rendu deux décisions statuant sur la soumission ou la tentative de soumission d’une centrale d’achat et de distributeurs dans le cadre de leurs relations avec des fournisseurs. 

La Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (ci-après « DGCCRF ») a effectué, en 2016, une enquête visant la centrale d’achat commune à deux grands distributeurs. Celle-ci visait particulièrement le secteur « hygiène-parfumerie ». 

Au terme de cette enquête, la DGCCRF a considéré que la centrale d’achat avait tenté de soumettre treize fournisseurs à un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations, caractérisé par :

des propositions de modification contractuelle alors qu’aucun élément nouveau n’était survenu depuis la conclusion des contrats cadres ; 
l’absence de contrepartie des propositions ; 
ainsi que par les pressions exercées et les mesures de rétorsion mises en œuvre pendant la phase de négociation. 

Le Tribunal de commerce de Paris a fait en partie droit aux demandes de la DGCCRF en disant que la centrale d’achat avait soumis ou tenté de soumettre huit des treize fournisseurs à un déséquilibre significatif. 

La centrale d’achat et ses mandantes ont fait appel de cette décision. 

Elles soulèvent, premièrement une exception de nullité de l’assignation et opposent l’irrecevabilité de certaines pièces. Elles se fondent sur l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) et considèrent que la DGCCRF a violé l’obligation d’impartialité qui lui incombe et le principe de présomption d’innocence. Les appelantes considèrent en effet que la DGCCRF a manqué de loyauté dans la recherche de la preuve, notamment en posant aux fournisseurs des questions orientées dans le cadre de son enquête, ou encore en ayant recours à des tableaux de synthèse à l’origine de biais leur étant défavorable. 

Ces arguments sont rejetés par la Cour d’appel. Celle-ci rappelle que l’assignation ne peut être annulée, conformément à l’article 112 du Code de procédure civile que sur le fondement d’un vice de forme ou de fond, non caractérisé en l’espèce, et qu’en tout état de cause, la nullité d’une enquête sur le fondement de l’article 6 de la CESDH n’emporte pas la nullité de l’assignation. La Cour d’appel rejette l’argument fondé sur l’irrecevabilité des pièces en jugeant que les atteintes alléguées sont insuffisantes pour la caractériser.

La Cour d’appel considère en effet qu’en l’absence de dissimulation et en totale transparence, ces pièces ont pu être discutées contradictoirement, et que les appelantes étaient libres de produire, elles-mêmes, des pièces susceptibles de contredire celles qui étaient contestées afin de remettre en question leur force probante. 

Sur le deuxième moyen des appelantes, la Cour d’appel rappelle que la soumission ou sa tentative impliquent l’absence de négociation effective ou sa possibilité. Si elle ne peut se déduire de la seule structure d’ensemble du marché, celle-ci constitue néanmoins un indice de l’existence d’un rapport de force déséquilibré. Elle rappelle également la définition de la tentative qui est « l’action par laquelle on s’efforce vainement d’obtenir un résultat ». La Cour d’appel précise, en outre, que la tentative doit s’apprécier en lien avec l’obligation de négociation annuelle existant dans le secteur de la distribution. 

En l’espèce, la Cour d’appel considère que bien que les fournisseurs visés soient pour la plupart des multinationales d’importance, aucun d’eux ne peut se permettre sur le marché français de subir des déréférencements répétés ou durables dans la grande distribution. Dès lors, la Cour considère la structure du marché déséquilibrée à la faveur de la centrale d’achat et de ses mandantes. 

Concernant l’appréciation in concreto de la négociation effective, la Cour d’appel retient que sur les huit fournisseurs objet du litige, trois ont effectivement fait l’objet d’une tentative de soumission. En l’espèce, la centrale d’achat et ses mandantes sollicitaient auprès des fournisseurs, quelques semaines après la conclusion de la convention annuelle des investissements significatifs non prévus initialement assortis de contreparties imprécises et non quantifiables. La Cour d’appel caractérise les pressions et mesures de rétorsion pour trois fournisseurs, traduites notamment par des arrêts non justifiés de commandes sur diverses références, de déréférencements, ou de menace de déréférencement. En revanche, la Cour d’appel a considéré qu’en l’absence de mesures tangibles de rétorsion, la seule agressivité dans les négociations est insuffisante pour établir une tentative de soumission. 

Sur le caractère déséquilibré entre les droits et obligations des parties, la Cour d’appel considère que celui-ci est caractérisé par le fait que les demandes d’investissement supplémentaires étaient faites sans aucune proposition de contrepartie ou restaient imprécises et non quantifiables lorsqu’étaient formulées des demandes de précision. 

Au terme de cette décision, la Cour d’appel confirme les amendes infligées in solidum aux appelantes en première instance notamment au regard de « la gravité intrinsèque des pratiques mises au jour et de la nécessité de dissuader les agents économiques de se livrer à cette dernière ».  L’une des amendes prononcées correspondait, en effet au maximum légal pouvant être infligé au moment des faits.  

CA Paris, 15 mars 2023, n° 15 mars 2023 – n° 21/13227 et CA Paris, 15 mars 2023 – n° 21/13481

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