Une décision favorable au preneur en matière d'indexation, imprévision et trouble de jouissance

Entrée dans les baux commerciaux de la révision pour imprévision et caractérisation de l’indivisibilité de la clause d’indexation

Le cabinet Gouache a obtenu une décision remettant en cause la jurisprudence maintenant constante de la Cour de cassation sur la validité des clauses d’indexation. Bien plus, cette décision admet, dans le statut des baux commerciaux, l’application de l’imprévision.

La décision obtenue par le cabinet Gouache est particulièrement intéressante, en ce qu’elle a :

– amorcé un revirement de jurisprudence sur la clause d’indexation ;

– fait entrer dans le cadre des baux commerciaux la révision pour imprévision ;

– accordé une indemnisation au preneur pour troubles de jouissance, en dépit d’une clause de souffrance stipulée au bail commercial.

Sur la clause d’indexation :

Nous connaissons la jurisprudence maintenant bien établie de la Cour de cassation, qui rappelle qu’en présence d’une clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse, cette dernière ne peut être réputée non écrite en son entier et que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite.

La stipulation érigeant la clause d’indexation comme une condition essentielle et déterminante ne suffit pas à caractériser son indivisibilité (Cass. 3ème civ., 29 nov. 2018 : Administrer janv. 2019, p. 27 ; Cass. 3ème civ., 12 janv. 2022, n° 21-11.169 ; Cass. 3ème civ., 1er juin 2022, n° 20-17.691 ; Cass. 3ème civ., 23 nov. 2022, n° 21-18.921).

En l’espèce, dans sa décision du 15 février 2024, le tribunal a suivi les moyens soutenus par le cabinet Gouache, ce qui a permis de voir juger que la clause d’indexation était réputée non écrite en son intégralité, permettant d’opérer les restitutions nécessaires.

Après avoir analysé la clause qui stipulait notamment que :

« Le BAILLEUR déclare que les stipulations relatives à la clause d’échelle mobile du loyer constituent pour lui un motif déterminant de la conclusion du présent contrat, sans lesquelles il n’aurait pas contracté, ce qui est expressément accepté par le PRENEUR »

Le tribunal a statué ainsi :

« L’indivisibilité matérielle peut s’entendre d’un obstacle technique qui rendrait la clause inapplicable du seul fait de sa suppression et l’indivisibilité intellectuelle, de la volonté des parties qui ont donné un caractère déterminant à la clause sans laquelle elles n’auraient pas contracté.

Les parties ayant entendu donner un caractère déterminant à la clause relative à l’indexation du loyer, l’indivisibilité intellectuelle est caractérisée.

De ce fait, la clause doit être réputée non écrite en son entier ».

Il est donc possible de considérer cette décision comme un revirement de jurisprudence sur la question de la divisibilité de la clause d’indexation

Sur l’imprévision

Nous savons que jusqu’alors, la jurisprudence refusait de faire entrer les dispositions de l’article 1195 du code civil dans le statut des baux commerciaux puisque ce statut prévoit des mécanismes de révision spécifiques du loyer en cours de bail. 

La cour d’appel de Versailles avait déjà jugé, pour illustration, que :

« Dès lors que le statut des baux commerciaux prévoit de nombreuses dispositions spéciales relatives à la révision du contrat de bail (révision triennale, clause d’indexation), il n’y a pas lieu de faire application des dispositions générales de l’article 1195 précité, ces dernières devant être écartées au profit des règles spéciales du statut des baux commerciaux, de sorte que c’est à bon droit que le premier juge a débouté la société X de sa demande de révision fondée sur les dispositions générales du code civil. Le jugement sera confirmé de ce chef » (CA Versailles, 12 décembre 2019, n° 18/07183).

La cour d’appel de Paris s’était prononcée dans le même sens par un arrêt rendu le 3 novembre 2022 (CA Paris, Pôle 1, chambre 5, 3 novembre 2022, n° 22/10009).

Dans la décision rendue par le tribunal en date du 15 février 2024, les magistrats n’ont pas entendu écarter d’office l’imprévision, bien au contraire.

Il a été jugé que les dispositions de l’article 1195 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, étaient applicables à un bail régularisé le 25 janvier 2017.

La demande du preneur a toutefois été rejetée, mais au motif que le locataire n’avait pas continué d’exécuter ses obligations comme l’exige ce texte.

Cette décision obtenue par le cabinet Gouache constitue une très belle avancée !

Sur la clause de souffrance et l’indemnisation du preneur

Concernant l’indemnisation des troubles de jouissance subi par le preneur, le tribunal a rappelé la jurisprudence également bien établie relative aux clauses de souffrance (Cass. 3ème civ., 4 déc. 1991, n° 90-14600 ; Cass. 3ème civ., 1er juin 2005, n° 04-12200 ; Cass. 3ème civ., 9 juill. 2008, no 07-14631 ; Cass. 3ème civ., 27 oct. 2009, n° 08-19972 ; Cass. 3ème civ., 19 déc. 2012, n° 11-28170 ; Cass. 3ème civ., 6 nov. 2013, n° 12-25816 ; Cass. 3ème civ., 30 juin 2021, n° 17-26.348).

Il a jugé que :

« La licéité des clauses dites de souffrance n’est pas discutée, de sorte qu’il est de principe que le preneur doit supporter sans indemnité les travaux nécessaires. Aucune durée n’est de plus indiquée dans les clauses de souffrance.

Il appartient à la société X qui sollicite, nonobstant l’existence de ces clauses de souffrance, l’indemnisation du préjudice subi pendant les travaux de rénovation de l’immeuble d’établir que le bailleur lui a, par son fait, occasionné une gêne anormale excédant les prévisions des clauses de souffrance.

La durée de ces travaux de rénovation de l’immeuble caractérise l’anormalité du trouble de jouissance. Il en résulte que la clause conventionnelle de « souffrance » ne peut exonérer le bailleur de réparer le préjudice subi par le preneur du fait de la durée des travaux avec pour conséquence d’empêcher la jouissance paisible par le preneur des locaux loués pendant cette période ».

Le preneur a obtenu une réfaction de son loyer de 30 % au cours de la période de réalisation des travaux du bailleur, ce qui n’est pas négligeable.

TJ Paris, 15 février 2024, n° 21/05037

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