COVID 19 et loyers des restaurateurs : où en sont les négociations avec les bailleurs ?

Réponses de Stéphane Ingold, l’associé de Gouache en charge des Baux commerciaux / Fonds de commerce à une interview de Paul Fedele, rédacteur en chef de SNACKING.

En cas de fermeture totale ou partielle de l’établissement, comment me prémunir face aux bailleurs si la discussion à l’amiable échoue ?

En vue de préserver ses droits, le locataire doit tout d’abord notifier à son bailleur une argumentation circonstanciée et technique (c’est un courrier qui expose les moyens juridiques justifiant de la suspension de l’obligation de payer)

Nous recommandons parallèlement la mise en place d’une réunion dans un esprit de médiation. Il s’agit alors de quitter la posture juridique et rechercher une solution pragmatique en proposant des contreparties susceptibles d’être acceptées par le bailleur en échange d’un abandon de loyers.

Si la discussion à l’amiable échoue, la meilleure défense est certainement la saisine du juge avant que le bailleur ne le fasse en vue d’obtenir l’autorisation de suspendre le paiement de ses loyers et/ou de les payer selon un échéancier.

 

Ai-je un moyen de geler le paiement des loyers si je suis soumis à l’obligation administrative de fermer ?

Le locataire, dont l’établissement fait l’objet d’une mesure de fermeture administrative, dispose de plusieurs moyens tirés du droit commun, notamment la force majeure, l’exception d’inexécution, et la perte de la chose louée.

Il est incontestable que sont constitutifs d’un cas de force majeure tant l’évènement du COVID 19 que les mesures de police administratives (le confinement, le couvre-feu, les jauges limitées et bien sûr les fermetures administratives).

Or, cette force majeure affecte l’obligation du bailleur de délivrer un local ouvert au public. Elle le dispense même de l’exécution de cette obligation pourtant essentielle.

Dès lors que le bailleur n’a plus la possibilité de fournir au locataire un local apte à l’exercice de son activité telle que celle-ci est prévue à la clause destination du bail, il ne peut plus exiger du locataire qu’il exécute son obligation réciproque de payer le loyer.

Le droit contemporain admet la suspension temporaire des contrats pendant les périodes aux cours desquelles il n’est pas possible d’exécuter les obligations. Le mécanisme de la perte de la chose louée va dans le même sens.

Les choses changent-elles si j’opère une activité de vente à emporter ?

Le bailleur doit délivrer un local susceptible d’être ouvert au public. Or, temporairement, il ne l’est pas. Il importe peu qu’il reste une possibilité d’utilisation résiduelle du local (à savoir l’activité de vente à emporter ou celle de livraison), dès lors que cette activité n’est pas celle pour laquelle le locataire a contracté. La condition déterminante du consentement du locataire lors de la signataire du bail était la possibilité de recevoir dans le local de la clientèle et non pas de disposer d’un laboratoire de cuisson.

Il est néanmoins préférable, parce que l’exception d’inexécution doit être proportionnée et à titre de bonne foi, que le locataire paye une quote-part de son loyer, proportionnellement soit au CA généré par l’activité de vente à emporter (par rapport au CA normalement attendu) soit à la surface utilisée au titre de cette activité (par rapport à la surface totale des locaux loués).

 

Les grands centres commerciaux sont fermés depuis quelques jours par mesure administrative. Peuvent-ils exiger le paiement du loyer et quelle est la jurisprudence sur ce cas-là, notamment suite au premier confinement ?

Le raisonnement exposé ci-dessus est applicable en centre-ville ainsi que dans les centres commerciaux.

Pour l’instant, la jurisprudence n’est pas établie. Plusieurs décisions ont cependant été rendues dans l’intérêt des locataires. Par exemple :

• «en application de la théorie de l’exception d’inexécution, le locataire, peut toujours soutenir qu’en l’absence de fourniture d’un local exploitable conformément au bail, et même si cette situation ne relève pas d’un manquement du bailleur à ses obligations mais de la force majeure, il doit pouvoir lui-même cesser d’exécuter son obligation corrélative de régler son loyer » (Référés Paris 21 janvier 2020, n°20/58571),

L’enseignement principal à retenir de la dernière jurisprudence est la nécessité pour le locataire de se comporter loyalement, c’est-à-dire de ne pas se faire justice à soi-même. Il est donc essentiel d’expliquer à son bailleur les motifs de droit et de fait le conduisant à suspendre le paiement des loyers et de proposer des solutions consistant à ajuster les clauses et conditions du bail.

En effet, il a été jugé que « les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives » (Référés Paris 21 janvier 2020, n°58571 et n°55750).

Vous aviez engagé une action auprès des grandes foncières pour le compte de plusieurs réseaux, en invoquant plusieurs aspects. Il semble qu’ils n’aient pas été retenus par les tribunaux, pourquoi ?

Notre Cabinet n’a pas engagé d’action judiciaire auprès des grandes foncières.

Après avoir notifié à celles-ci les moyens de droit présentés plus haut, nous avons au contraire privilégié la voie amiable en organisant des réunions en visioconférence et dans un esprit de médiation.

Cette approche, au cas pas cas, ou sous le sceau de la confidentialité, a permis de dénouer un certain nombre de différends et d’obtenir des abandons de loyers. 

Responsable du pôle immobilier, je suis formé aux techniques de négociation raisonnées, et je continue à la mettre en place. La jurisprudence récente, qui rappelle l’importance de la loyauté, nous a donné raison.

Cette approche tarifée compte tenu de la crise (pour une négociation de loyer, forfait limité à 490 € HT + éventuel résultat) est adaptée aux besoins des locataires.

Les décisions citées dans nos réponses précédentes valident les stratégies juridiques et judiciaires que nous avons conçues dès mi-mars 2020.

Quelles actions le bailleur peut-il intenter en cas de non-paiement des loyers ? Dans ces cas-là quels recours ? Peut-il enclencher une expulsion et comment s’en prémunir ?

En principe, le locataire est protégé.

En effet, l’article 14 de la Loi 2020-1379 du 14 novembre 2020 prolongeant l’état d’urgence sanitaire prévoit un dispositif qui protège les locataires dont l’établissement fait l’objet d’une décision de mesure de police administrative.

Ce dispositif s’applique :
–          rétroactivement à compter du 17 octobre 2020 et jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l’établissement cesse d’être affecté,
–          aux locataires répondant à certains critères :

1° effectif salarié inférieur à 250 salariés ;
2° montant du CA constaté lors du dernier exercice clos inférieur à 50 millions d’euros ou, pour les activités n’ayant pas d’exercice clos, le montant du CA mensuel moyen inférieur à 4,17 millions d’euros ;
3° perte de CA d’au moins 50 %.

Ce dispositif interdit au bailleur.
–          d’appliquer des intérêts, des pénalités ou toute mesure financière,
–          de mettre en place toute action, sanction ou voie d’exécution forcée pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives,
–          d’actionner les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives,
–          de pratiquer des mesures conservatoires,
–          de prévoir des stipulations, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, (celles-ci seraient réputées non écrites).

Cependant, le bailleur, qui ne se comporterait pas loyalement, pourrait être tenté de délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire, puis saisir le juge des référés pour qu’il constate l’acquisition de cette clause et prononce l’expulsion.

Dans une telle situation, il faudrait mettre en demeure le bailleur d’avoir à renoncer aux effets du commandement en invoquant l’argumentation ci-dessus exposée (moyens tirés du droit commun + dispositif protecteur de l’article 14). A défaut de renonciation immédiate du bailleur, il importerait d’agir devant le juge du fond pour obtenir la nullité dudit commandement et/ou devant le juge des référés afin que celui-ci suspende les effets de la clause résolutoire.

Le risque d’une expulsion existe mais il reste très limité si le locataire s’est comporté loyalement et si les loyers concernés sont exclusivement liés à une période de fermeture administrative. En effet, la jurisprudence récente, ci-dessus précisée, a tendance à débouter les bailleurs de leur demande de paiement et d’expulsion, le juge des référés se déclarant incompétent au profit du juge du fond.

Un bailleur pourrait également être tenté de déposer une requête en injonction de payer et signifier à son locataire l’ordonnance d’injonction de payer. Il faudrait alors s’y opposer dans un délai d’un mois en invoquant l’argumentation de notre cabinet devant le tribunal de commerce.

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Vous êtes locataire, titulaire d’un bail commercial, et avez réglé au cours de l’année des provisions sur charges.
Votre bailleur vous réclame le paiement de charges complémentaires qui ne semblent pas exigibles ni quant à leur nature ni quant à leur quantum.

Vous pouvez exiger de votre bailleur qu’il justifie de la régularisation annuelle et vous adresse les pièces justifiant de la nature et du montant des charges complémentaires réclamées.

Votre bailleur ne peut pas vous réclamer le paiement de toutes les charges.

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Vous pouvez exiger de votre bailleur qu’il justifie de la régularisation annuelle et vous adresse les pièces justifiant de la nature et du montant des charges complémentaires réclamées.

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