jeudi 10 novembre 2016

Publicité et prix : quel degré d’information à la charge des professionnels ?

La CJUE rappelle aux professionnels qu’ils doivent mentionner dans leurs publicités l’ensemble des informations relatives aux prix des produits/services promotionnés ou, si le moyen de communication utilisé ne le permet pas, de mettre cette information à disposition des consommateurs.

La réglementation française sur les pratiques commerciales déloyales figurant dans le Code de la consommation est issue de la transposition de la Directive européenne du 11 mai 20051 . De la même manière, le Danemark a adapté sa législation pour l’harmoniser avec le droit de l’Union Européenne en adoptant une loi sur les pratiques du commerce le 20 décembre 2006.

A cette différence près que la loi danoise se limite à interdire les pratiques commerciales trompeuses en son article 3, mais n’intègre pas les dispositions de l’article 7 de la Directive de 2005 sur les omissions trompeuses 2 , lesquelles sont seulement mentionnées dans l’exposé des motifs du projet de loi ayant conduit à l’adoption de ladite loi.

Les juridictions danoises, dans le cadre d’un litige qui leur était soumis sur ce point, ont posé à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) des questions préjudicielles relatives à l’interprétation des articles 6 et 7 de la Directive de 2005.

Les faits

En l’espèce, la société danoise Canal Digital, dont l’activité consiste à fournir des programmes de télévision aux consommateurs notamment sous forme de bouquets, a été poursuivie pénalement au Danemark sur le fondement des pratiques commerciales trompeuses s’agissant d’une campagne publicitaire relative à des abonnements.

Cette campagne consistait en deux spots publicitaires diffusés à la télévision et sur Internet ainsi qu’en trois bandeaux publicitaires diffusés sur Internet, notamment sur la page d’accueil du site Internet de la société Canal Digital.

Le prix des abonnementsobjets de la campagne publicitaire était composé de deux éléments, un forfait mensuel et un forfait semestriel pour un « service à la carte » d’un montant plus important.

Les spots comme les bandeaux publicitaires diffusés par Canal Digital mettaient en exergue le prix mensuel de l’offre et communiquaient une information limitée voir s’abstenaient d’informer le consommateur sur le montant de l’abonnement semestriel.

Les juridictions danoises reprochaient à la société Canal Digital de ne pas avoir informé les consommateurs de manière suffisamment précise quant au fait que venait s‘ajouter au forfait mensuel de l’abonnement un forfait semestriel.

Les questions posées

La juridiction danoise a sursis à statuer afin de poser plusieurs questions préjudicielles à la CJUE relatives à l’interprétation des articles 6 et 7 de la Directive du 11 mai 2005, et notamment les questions suivantes :

- pour apprécier si une pratique commerciale doit être considérée comme une omission trompeuse, faut-il prendre en compte le contexte dans lequel s’inscrit la dite pratique, notamment les limites d’espace ou de temps que le moyen de communication utilisé impose, quand bien même une telle exigence ne résulterait pas expressément du libellé de la réglementation nationale concernée ;

- lorsqu’un professionnel a fait le choix de fixer le prix d’un abonnement de telle sorte que le consommateur doit s’acquitter à la fois d’un forfait mensuel et d’un forfait semestriel, cette pratique doit-elle être considérée comme une action trompeuse, dans le cas où le prix du forfait mensuel est particulièrement mis en avant dans la commercialisation, alors que celui du forfait semestriel est totalement omis ou est présenté de manière moins apparente ;

- lorsque le professionnel a fait le choix de fixer le prix d’un abonnement de telle sorte que le consommateur doit s’acquitter à la fois d’un forfait mensuel et d’un forfait semestriel, cette pratique doit-elle être considérée comme une omission trompeuse, dans le cas où le prix du forfait mensuel est particulièrement mis en avant dans la commercialisation, alors que celui du forfait semestriel est totalement omis ou est présenté de manière moins apparente ;

- la liste des informations substantielles qui doivent figurer dans une invitation à l’achat présentée à l’article 7 de la Directive est-elle une liste exhaustive et, le cas échéant, une invitation mentionnant le prix total de l’abonnement est-elle exclusive de la qualification de pratique commerciale trompeuse.

La position de la CJUE

Pour la CJUE, constitue une pratique commerciale trompeuse le fait de fractionner le prix d’un produit en plusieurs éléments et de mettre en avant l’un d’entre eux, dès lors que cette pratique est susceptible :

- d’une part, de donner au consommateur moyen l’impression erronée qu’un prix avantageux lui est proposé ; et
- d’autre part, de le conduire à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

La Cour précise toutefois que l’appréciation du caractère trompeur d’une pratique commerciale ne doit pas prendre en considération les contraintes de temps auxquelles peuvent être soumis certains moyens de communication, comme les spots publicitaires télévisées, au regard de l’article 6 de la Directive.

En outre, la CJUE considère qu’une telle pratique doit également être considérée comme une omission trompeuse au sens de l’article 7 de la Directive, le prix d’un produit constituant une information substantielle, si cette omission amène le consommateur à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

Contrairement aux actions trompeuses, la juridiction nationale devra apprécier le caractère trompeur de l’omission en tenant compte des limites propres au moyen de communication utilisé, de la nature et des caractéristiques du produit ainsi que des autres mesures que le professionnel a effectivement prises afin de mettre les informations substantielles relatives au produit à la disposition du consommateur.

Les juridictions nationales doivent prendre en considération les limites d’espace et de temps que le moyen de communication utilisé impose ainsi que les mesures prises par le professionnel pour mettre les informations à la disposition du consommateur par d’autres moyens, quand bien même cette exigence ne résulterait pas expressément du libellé de la règlementation nationale concernée.

Cette précision importe peu s’agissant du droit de la consommation français dès lors que cette exigence figure à l’article L.121-3 du Code de la consommation .

Enfin, s’agissant des invitations à l’achat, la CJUE précise que la liste des informations substantielles mentionnée à l’article 7 paragraphe 4 de la Directive est exhaustive. Ainsi, toute invitation à l’achat doit comporter l’ensemble des informations listées par cet article. L’article L.121-3 al.3 du Code de la consommation français reprend cette liste.

Pour apprécier si le professionnel a satisfait à cette obligation, les juridictions nationales doivent tenir compte des caractéristiques du produit mais également du moyen de communication utilisé pour l’invitation à l’achat ainsi que des éventuels compléments d’informations fournis par le professionnel par d’autres moyens.

Par ailleurs, selon la juridiction de l’Union Européenne, le fait qu’une pratique commerciale contienne l’ensemble des informations substantielles listées par l’article 7 de la Directive n’empêche pas que cette pratique puisse être qualifiée de pratique commerciale trompeuse.

Pour résumer, devront être prises en considération les limites (de temps et/ou d’espace) propres au moyen de communication utilisé, la nature et les caractéristiques de produits ainsi que les autres mesures que le professionnel a effectivement prises afin de mettre à la disposition du consommateur les informations substantielles relatives aux produits pour apprécier le caractère trompeur de l’omission d’une information dans une pratique commerciale, dont font parties les invitations à l’achat, visée à l’article 7 de la Directive. En revanche, ces éléments n’auront aucune incidence sur le caractère trompeur ou non d’une action trompeuse, visée à l’article 6 de la Directive précitée.

La CJUE ne fait que rappeler les termes de la Directive de 2005. En effet, l’article 6 de la Directive, relatif aux actions trompeuses ne fait aucune référence, pour l’appréciation du caractère trompeur de la pratique, aux caractéristiques et aux circonstances ainsi qu’aux limites propres au moyen de communication utilisé par le professionnel, contrairement à l’article 7 de la Directive relatif aux omissions trompeuses.

On notera que les juges français tiennent une position similaire.

La Cour de cassation a en effet eu l’occasion de casser un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait qualifié de pratique commerciale trompeuse une publicité diffusée sur la radio par l'enseigne Marionnaud indiquait une réduction de 10 €, sans mentionner les conditions dans lesquelles cette promotion était accordée. Ces informations étaient en revanche indiquées sur le site de l'enseigne Marionnaud. La Cour de Cassation a cassé la décision de la Cour d'Appel de Paris, au motif qu'elle n'a pas pris en compte les limites du support utilisé par Marionnaud, et les mesures prises par la société Marionnaud pour informer les consommateurs des conditions de l'offre sur son site Internet (Cass. Crim. 1er sept. 2015, Marionnaud).

Si cette décision n’est pas innovante, elle a le mérite de rappeler aux professionnels qu’ils doivent veiller à mentionner dans leurs publicités l’ensemble des informations relatives aux prix des produits ou services promotionnés ou, si le moyen de communication utilisé ne le permet pas, de mettre cette information à disposition des consommateurs de manière claire et lisible par un autre moyen (exemple : par une référence sur leur site Internet).

A défaut, la pratique pourrait être qualifiée de pratique commerciale trompeuse.

Article 6 de la Directive 2005/65/CE

« Actions trompeuses

1.   Une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses, et qu'elle est donc mensongère ou que, d'une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d'induire en erreur le consommateur moyen, même si les informations présentées sont factuellement correctes, en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects ci-après et que, dans un cas comme dans l'autre, elle l'amène ou est susceptible de l'amener à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement:

a) l'existence ou la nature du produit;
b) les caractéristiques principales du produit, telles que sa disponibilité, ses avantages, les risques qu'il présente, son exécution, sa composition, ses accessoires, le service après-vente et le traitement des réclamations, le mode et la date de fabrication ou de prestation, sa livraison, son aptitude à l'usage, son utilisation, sa quantité, ses spécifications, son origine géographique ou commerciale ou les résultats qui peuvent être attendus de son utilisation, ou les résultats et les caractéristiques essentielles des tests ou contrôles effectués sur le produit;
c) l'étendue des engagements du professionnel, la motivation de la pratique commerciale et la nature du processus de vente, ainsi que toute affirmation ou tout symbole faisant croire que le professionnel ou le produit bénéficie d'un parrainage ou d'un appui direct ou indirect;
d) le prix ou le mode de calcul du prix, ou l'existence d'un avantage spécifique quant au prix;
e) la nécessité d'un service, d'une pièce détachée, d'un remplacement ou d'une réparation;
f) la nature, les qualités et les droits du professionnel ou de son représentant, tels que son identité et son patrimoine, ses qualifications, son statut, son agrément, son affiliation ou ses liens et ses droits de propriété industrielle, commerciale ou intellectuelle ou les récompenses et distinctions qu'il a reçues;
g) les droits du consommateur, en particulier le droit de remplacement ou de remboursement selon les dispositions de la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, ou les risques qu'il peut encourir.

2.   Une pratique commerciale est également réputée trompeuse si, dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances, elle amène ou est susceptible d'amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement, et qu'elle implique:
a) toute activité de marketing concernant un produit, y compris la publicité comparative, créant une confusion avec un autre produit, marque, nom commercial ou autre signe distinctif d'un concurrent;
b) le non-respect par le professionnel d'engagements contenus dans un code de conduite par lequel il s'est engagé à être lié, dès lors:
i) que ces engagements ne sont pas de simples aspirations, mais sont fermes et vérifiables,
et
ii) que le professionnel indique, dans le cadre d'une pratique commerciale, qu'il est lié par le code. »



Article 7 de la Directive 2005/65/CE :

« Omissions trompeuses

1.   Une pratique commerciale est réputée trompeuse si, dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances ainsi que des limites propres au moyen de communication utilisé, elle omet une information substantielle dont le consommateur moyen a besoin, compte tenu du contexte, pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause et, par conséquent, l'amène ou est susceptible de l'amener à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement.

2.   Une pratique commerciale est également considérée comme une omission trompeuse lorsqu'un professionnel, compte tenu des aspects mentionnés au paragraphe 1, dissimule une information substantielle visée audit paragraphe ou la fournit de façon peu claire, inintelligible, ambiguë ou à contretemps, ou lorsqu'il n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte et lorsque, dans l'un ou l'autre cas, le consommateur moyen est ainsi amené ou est susceptible d'être amené à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement.

3.   Lorsque le moyen de communication utilisé aux fins de la pratique commerciale impose des limites d'espace ou de temps, il convient, en vue de déterminer si des informations ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre les informations à la disposition du consommateur par d'autres moyens.

4.   Lors d'une invitation à l'achat, sont considérées comme substantielles, dès lors qu'elles ne ressortent pas déjà du contexte, les informations suivantes:

a) les caractéristiques principales du produit, dans la mesure appropriée eu égard au moyen de communication utilisé et au produit concerné;
b) l'adresse géographique et l'identité du professionnel, par exemple sa raison sociale et, le cas échéant, l'adresse géographique et l'identité du professionnel pour le compte duquel il agit;
c) le prix toutes taxes comprises, ou, lorsque la nature du produit signifie que le prix ne peut raisonnablement pas être calculé à l'avance, la manière dont le prix est calculé, ainsi que, le cas échéant, tous les coûts supplémentaires de transport, de livraison et postaux, ou, lorsque ces coûts ne peuvent raisonnablement pas être calculés à l'avance, la mention que ces coûts peuvent être à la charge du consommateur;
d) les modalités de paiement, de livraison, d'exécution et de traitement des réclamations, si elles diffèrent des conditions de la diligence professionnelle;
e) pour les produits et transactions impliquant un droit de rétractation ou d'annulation, l'existence d'un tel droit.

5.   Les informations qui sont prévues par le droit communautaire et qui sont relatives aux communications commerciales, y compris la publicité ou le marketing, et dont une liste non exhaustive figure à l'annexe II, sont réputées substantielles. »

1) Directive 2005/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relatives aux pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur
2) Cet article est reproduit dans son intégralité à la fin de cet article
3) Ces articles sont reproduits dans leur intégralité à la fin de cet article

4)Article L.121-3 du Code de la consommation : « Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.
Lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d'espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d'autres moyens.

Dans toute communication commerciale constituant une invitation commerciale et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes :
1° Les caractéristiques principales du bien ou du service ;
2° L'adresse et l'identité du professionnel ;
3° Le prix toutes taxes comprises et les frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul, s'ils ne peuvent être établis à l'avance ;
4° Les modalités de paiement, de livraison, d'exécution et de traitement des réclamations des consommateurs, dès lors qu'elles sont différentes de celles habituellement pratiquées dans le domaine d'activité professionnelle concerné ;
5° L'existence d'un droit de rétractation, si ce dernier est prévu par la loi. »


(CJUE, 26 octobre 2016, Aff. C-611/14, Canal Digital Danmark A/S)

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