Comment doit s’apprécier le fait d’imposer des prix de revente à un distributeur ?

Un arrêt récent de la CJUE dit que le fait d’imposer les prix à un revendeur ne constitue pas nécessairement une restriction par l’objet : peut-on pour autant imposer des prix à ses distributeurs ? 

Avant de commenter plus en détail cet important arrêt, rendu à la suite d’une question préjudicielle de la Cour d’appel de Lisbonne, il convient de rappeler quelques notions et concepts de droit de la concurrence. 

Pour rappel, l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne dispose que « Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à: a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction, (…) ».

Cet article distingue les accords qui ont « pour objet », de ceux qui ont « pour effet », de restreindre la concurrence. L’analyse d’un accord en droit de la concurrence se fait donc en deux temps : tout d’abord est-ce que cet accord a pour objet de restreindre la concurrence ? Si la réponse est affirmative, il n’y a pas lieu de rechercher les effets anticoncurrentiels de l’accord, lequel sera donc sanctionné. Si la réponse est négative, les effets de l’accord seront alors évalués et l’accord sera sanctionné s’il a pour effet de fausser le jeu de la concurrence. 

Il convient également de tenir compte des possibilités d’exemption des accords anticoncurrentiels : par catégorie ou individuellement. Nous parlons ici régulièrement du règlement d’exemption des accords verticaux applicable aux contrats de distribution, qui définit les conditions dans lesquelles un accord normalement sanctionnable au titre de l’accord 101 du TFUE sera finalement exempté. Ces règlements mentionnent une liste de restrictions de concurrence dites « caractérisées », qui, si elles sont présentes dans l’accord, empêchent de bénéficier de cette exemption par catégorie. Figure notamment dans cette liste de restrictions caractérisées le fait d’imposer des prix de revente minimum à un acheteur ou un distributeur. 

Ainsi, un accord qui remplit toutes les conditions d’exemption, mais comporte une clause d’imposition des prix de revente à un distributeur, ne pourra bénéficier de l’exemption catégorielle et il ne sera validé qu’en l’absence de clause ayant pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence.

La question qui était posée à la CJUE était de savoir si l’imposition de prix de revente minimums est une restriction de concurrence par l’objet, sanctionnable du seul fait de sa présence dans un accord, ou une restriction de concurrence par l’effet, sanctionnable uniquement si elle a pour effet de fausser le jeu de la concurrence. 

La CJUE rappelle que le critère pour déterminer si une restriction de concurrence constitue une restriction par l’objet est la constatation d’un « degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence ». Pour savoir si ce critère est rempli il convient de s’attacher à la teneur des dispositions de l’accord concerné, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Sur ce dernier point relatif au contexte, la nature des biens et services concernés et les conditions réelles du fonctionnement et de la structure de marché devront être prises en compte. Enfin, si les parties se prévalent d’effets proconcurrentiels attachés à l’accord, ils doivent être pris en compte comme éléments de contexte. 

La CJUE précise que le fait que l’imposition des prix de vente soit considérée comme une « restriction caractérisée » par le règlement d’exemption, ne permet pas de considérer qu’une telle pratique est nécessairement une restriction par l’objet. L’analyse détaillée par la CJUE doit donc être menée systématiquement en présence d’une clause ou pratique de prix minima imposés à un revendeur. 

En pratique, cela signifie-t-il qu’il est possible d’imposer des prix minima dans des contrats de distribution ? Non. La restriction des prix reste une pratique sanctionnable en droit de la concurrence. Toutefois, cette pratique pourra ne pas donner lieu à sanction s’il est démontré qu’elle génère des gains d’efficacité pour les consommateurs. Les étapes du raisonnement sont donc les suivantes (en considérant que toutes les autres conditions posées par le règlement d’exemption relatif aux accords verticaux sont remplies) :

1. L’accord concerné comporte-t-il une clause imposant des prix de vente minima ? Si la réponse est non, l’accord bénéficiera de l’exemption catégorielle. 

2. Si la réponse est affirmative, cette clause constitue-t-elle une restriction de concurrence par l’objet du fait de sa nocivité, analysée selon les critères rappelés ci-dessus ? Si la réponse est affirmative, la pratique sera sanctionnée.

3. Si la réponse est négative, la clause ou la pratique produit-elle des effets anticoncurrentiels ? Si la réponse est affirmative, la pratique sera sanctionnée.

Pour rappel, la sanction en cas d’entente est une amende pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires des groupes d’entreprises concernés, outre d’éventuels dommages et intérêts. 

Avant d’imposer des prix de vente minima à ses distributeurs, il convient donc de s’assurer de pouvoir faire la démonstration qu’une telle clause ne puisse être considérée comme suffisamment nocive pour ne pas être considérée comme une restriction de concurrence par l’objet, et qu’en outre elle ne produit aucun effet anticoncurrentiel. 

Enfin, nous relèverons que cet arrêt apporte également une précision sur la notion d’accord au sens du droit de la concurrence. Un accord peut résulter des stipulations d’un contrat, mais également du comportement des parties : dès lors qu’il peut être caractérisé un acquiescement à la pratique des prix imposés, qu’il soit explicite ou tacite. Un tel acquiescement tacite peut résulter du fait que les distributeurs ont suivi les prix minimums imposés par le fournisseur. 

On le voit, si cet arrêt apporte une solution plus pragmatique, proche de la « règle de raison » pratiquée par les autorités de concurrence américaines, et s’il ouvre des perspectives d’un contrôle accru du positionnement prix dans les accords de distribution, il ne doit en aucun cas être considéré que cela permet d’imposer des prix de reventes minima à ses distributeurs sans aucun risque de sanction. La position de la commission européenne exprimée à l’occasion du règlement d’exemption 2022/720 du 10 mai 2022 n’est pas celle prise par la CJUE. Le risque à utiliser la fenêtre ouverte par la CJUE n’est pas anodin dès lors qu’il est possible que la commission maintienne la position qui a jusqu’ici été la sienne de considérer que les fixations de prix minimum dans les accords verticaux sont restrictives de concurrence par objet.

CJUE, 29, juin 2023, C-211/22, Super Bock Bebidas SA, AN, BQ, c/ Autoridade de la Concorrencia

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