clause-de-non-concurrence

L’article L.341-2 du Code de commerce sur les obligations de non-concurrence post-contractuelles est-il conforme au droit européen ?

La société Carrefour Proximité France avait pris à bail des locaux pour exploiter un supermarché sous l’enseigne Carrefour Express. Par la suite, elle place ce fonds de commerce en location-gérance au bénéfice de la société Lanccel, dirigée par M. [E]. Un contrat de franchise et un contrat d’approvisionnement sont également conclus. En 2021, Carrefour Proximité dénonce le contrat de location-gérance. Peu après, M. [E] crée la société TKLM pour exploiter un autre fonds de commerce sous l’enseigne concurrente Coccimarket. Ce magasin sous la nouvelle enseigne n’est pas situé dans les locaux mais a à proximité, à l’intérieur du périmètre de la clause de non-concurrence, qui était de 5 km.  

Carrefour Proximité soutient que l’ouverture du nouveau commerce constitue une violation manifeste de la clause de non-concurrence. Les défendeurs contestent la licéité de cette clause, arguant qu’elle est prohibée par l’article L. 341-2 du Code de commerce, qui indique que toute clause restreignant la liberté d’exercice de l’activité commerciale après la résiliation d’un contrat est réputée non écrite, sauf si elle remplit certaines conditions cumulatives et notamment être limitée à un an et être limitée au local ou aux terrains à partir desquels l’exploitant exerçait son activité pendant la durée du contrat. 

Carrefour Proximité a alors fait valoir la non-conformité de l’article L.341-2 du Code de commerce français au droit européen. Il se fonde pour cela sur l’article 3 du règlement n°1/2003 du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues par les articles 81 et 82 du traité instituant la communauté européenne (devenus depuis les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Cet article pose le principe de primauté du droit européen, en ces termes : 

Lorsque les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence, elles appliquent aussi le droit européen dès lors que les accords concernés sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres ; 

L’application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l’interdiction d’accords ou de pratiques qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, mais qui n’ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens des articles 101 et 102.  

Carrefour Proximité faisait ainsi valoir que l’article L.341-2 du code de commerce français interdit la pratique per se, c’est-à-dire de manière absolue, alors que le droit européen implique de démontrer une atteinte à la concurrence, lequel droit européen permet notamment de bénéficier d’exemptions individuelles. Carrefour Proximité demandait en conséquence qu’une question préjudicielle sur la conformité du droit français soit transmise à la Cour de justice de l’Union européenne.  

La Cour de cassation rejette le pourvoi de Carrefour Proximité. Elle considère que la clause de non-concurrence en question n’est pas licite car elle n’est pas limitée aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat et excède une année après la résiliation du contrat. La Cour souligne que Carrefour Proximité n’a pas soutenu devant les juges du fonds que les contrats en cause affectent de manière sensible le commerce entre États membres, condition nécessaire pour invoquer l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Il s’agit donc d’un moyen nouveau jugé non recevable par la Cour de cassation. Elle relève également que puisque le droit européen n’est pas applicable, rien ne fait obstacle « à ce que cette pratique soit considérée par les autorités nationales sous l’angle des effets restrictifs qu’elle peut produire dans le cadre interne et ne les empêche pas d’appliquer à ces accords des dispositions du droit interne de la concurrence éventuellement plus strictes que le droit de l’Union en la matière1 ».  

La question de savoir si l’article L.341-2 du code de commerce est bien un texte de droit de la concurrence n’est pas tranchée. La Cour de cassation semble le considérer comme tel avec cette décision, alors même qu’il ne figure pas, au sein du Code de commerce, au sein du Livre IV relatif à la liberté des prix et à la concurrence mais qu’il figure au sein du Livre III relatif à certaines formes de ventes et aux clauses d’exclusivité. Ce faisant elle ne ferme donc pas la porte à un possible examen de la validité de la clause au regard du droit européen. Nous rappellerons toutefois à cet égard que l’article L.341-2 du Code de commerce est une reprise quasiment à l’identique du texte de l’article 5.3 du règlement d’exemption n°2022/720 qui définit les conditions d’exemption des clauses de non-concurrence par le droit européen. S’il devait être considéré que le droit européen était applicable du fait d’une affectation du commerce entre Etats membres, il y a donc de fortes chances qu’une clause non limitée au local soit jugée nulle. 

(Cass. com., 15 mai 2024, n°23-10696) 

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