Qualification d’hébergeur : un arrêt inédit de la Cour de cassation

La Cour de cassation s’est prononcée sur la qualification de l’activité de l’exploitant d’une plateforme en ligne, apportant un éclairage sur la notion d’hébergeur

En l’espèce, la société TEEZILY exploite une place de marché en ligne qui permet à des créateurs de mettre en ligne leurs créations en vue d’une reproduction sur des produits textiles. Le site internet permet au créateur de mettre seul en ligne sa création sur le site de la société TEEZILY, en vue d’une impression sur un produit textile ou un autre support qu’il choisit, pendant une durée et à un prix qu’il fixe lui-même, moyennant un objectif de souscription qu’il détermine et dont il peut organiser lui-même la promotion.

Une société concurrente, la société SPRD.NET s’est aperçue de la commercialisation, sur cette plateforme en ligne, de produits identiques à ses créations. Dans ce contexte, la société SRPD.NET assigne la société TEEZILY en contrefaçon de droits d’auteur et de marques, atteinte au droit sui generis des producteurs de bases de données et concurrence déloyale.

En défense, la société TEEZILY soulève la question de sa qualification en tant qu’hébergeur au sens de l’article 6 -I de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004, afin de bénéficier du régime d’exonération de responsabilité civile propre aux hébergeurs et de débouter la société demanderesse.

Pour rappel, ce régime prévoit que les personnes physiques ou morales dont l’activité se limite à une fonctionnalité de stockage de contenus en ligne pour le compte de leurs utilisateurs ne peuvent être tenues responsables du fait de la publication d’un contenu illicite si elles n’avaient pas connaissance de sa présence, ou si elles l’ont retiré promptement après avoir été informées du caractère illicite du contenu.

Conformément à la jurisprudence européenne portant sur la qualification d’hébergeur, cette qualification est retenue lorsque l’activité du prestataire revêt un caractère « purement technique, automatique et passif », impliquant que ledit prestataire « n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées » (CJUE, 23 mars 2010, Google France SARL, Google Inc. contre Louis Vuitton Malletier SA, point 113). Dès lors, la qualification d’éditeur nécessite la démonstration d’un « rôle actif » de la plateforme.

Dans cette affaire, les juges du fond et la Cour d’appel de Paris entendent cette argumentation soulevée par la plateforme en ligne TEEZILY et procèdent à la qualification de la plateforme en ligne en tant qu’hébergeur en considérant « que la circonstance que le site offre également au créateur un support technique pour « créer votre design en un clic », qu’il publie des articles concernant des astuces à caractère général par pays pour l’aider dans la préparation d’une campagne et mette à sa disposition un service logistique de fabrication et de livraison des produits avec pour corollaire l’autorisation donnée par le créateur à la société Teezily de reproduire son œuvre [ …], ne suffit pas à caractériser le rôle actif de la société Teezily, de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives aux créations mises en ligne sur le site».

Les solutions rendues en première instance et en appel se caractérisent par l’interprétation classique du rôle de l’exploitant d’une plateforme en ligne dont le régime de responsabilité traditionnellement applicable est celui d’hébergeur.

Or, par son arrêt du 13 avril 2023, la Cour de cassation s’est écartée de cette interprétation et a reconnu la qualité d’éditeur à l’exploitant de la plateforme en ligne, considérant que « cette société n’occupait pas une position neutre entre le client vendeur concerné et les acheteurs potentiels mais avait un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres ».

Pour retenir ce rôle actif, la Cour de cassation s’appuie particulièrement sur le fait que la plateforme en ligne offrait au créateur un « service logistique de fabrication et livraison des produits en contrepartie de l’autorisation de reproduction de son œuvre et à l’acheteur les garanties y afférentes », permettant de démontrer le rôle actif de celle-ci sur les offres publiées.

Cet arrêt inédit s’inscrit dans une dynamique ayant vocation à tendre vers la reconnaissance progressive d’une responsabilité élargie des plateformes en lignes, impulsée par l’entrée en vigueur du Règlement Digital Service Act, instaurant une série d’obligations à l’égard des plateformes en ligne dès le 17 février 2024.

Cour de cassation – Pourvoi n° 21-21.242 du 13 avril 2023 – Deuxième chambre civile – Formation restreinte hors RNSM /NA

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