Le renforcement de l’office du juge en matière de contrôle des clauses abusives
mardi 7 mars 2023

Le renforcement de l’office du juge en matière de contrôle des clauses abusives

L’office du juge sur le contrôle des clauses abusives, et ce, face à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement admettant une créance au passif d’une procédure collective, est précisé par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de Cassation du 8 février 2023

En l’espèce, par actes en date du 30 juillet 2004, un particulier avait souscrit plusieurs prêts auprès d’une banque afin d’acquérir un immeuble à usage d’habitation, constituant sa résidence principale. Ces prêts ont été assortis du privilège de prêteur de deniers ainsi que d’une hypothèque conventionnelle.

En 2009, le particulier a effectué une déclaration d’insaisissabilité sur cet immeuble, ensuite publiée. 

En 2011, la banque a alors prononcé la déchéance du terme des prêts consentis en 2004. 

Toutefois, le 10 mai 2012, l’emprunteur fut placé en procédure de redressement judiciaire convertie, le 7 juin 2012, en liquidation judiciaire. En conséquence, la banque a procédé à la déclaration de ses créances au passif de la procédure collective, qui ont valablement été admises par les ordonnances rendues le 7 novembre 2013 par le juge-commissaire.

Le 8 août 2014, la banque a ensuite délivré au particulier un commandement de payer valant saisie immobilière puis l'a assigné, en vue de la vente forcée de l'immeuble, à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution.

L’emprunteur a alors contesté cette mesure d'exécution forcée sur les fondements, à titre principal, de la prescription de l'action de la banque et, subsidiairement, du caractère non exigible de la créance en se fondant sur le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée stipulée dans les prêts.

L’analyse de cette jurisprudence sera limitée à la question relative au pouvoir du juge quant à l’analyse d’une clause abusive, cette dernière portant sur la clause de déchéance du terme convenue dans le contrat de prêt conclus par un consommateur. 

L’emprunteur, personne physique, faisait valoir « qu'en toute hypothèse, le juge est tenu d'examiner, au besoin d'office, les clauses dont le caractère abusif est allégué ; qu'en retenant que l'autorité de chose jugée attachée aux décisions d'admission des créances de la BNP Paribas [banque] au passif de la procédure collective de M. [T] [débiteur] l'empêchaient d'examiner le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée du contrat de prêt servant de fondement aux poursuites, quand elle était tenue d'examiner cette question sur laquelle le juge-commissaire ne s'était pas prononcé ». 

En d’autres termes, le particulier soutenait que le juge de l’exécution a le devoir d’examiner les clauses abusives qui lui sont présentées lors de l’audience d’orientation permettant la vente forcée du bien immobilier, et que cette analyse ne peut se voir opposer l’autorité de la chose jugée attachée à la décision du juge-commissaire ayant accepté l’admission des créances au passif de la procédure collective. 

A titre préliminaire, la Cour de Cassation rappelle la définition de la clause dite abusive comme étant une clause « qui [a] pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » et le nécessaire contrôle auquel doit se livrer les juges nationaux pour protéger les « intérêts des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels ». 

Les juges du Quai de l’Horloge, en faisant application des jurisprudences rendues par la Cour de justice de l'Union Européenne (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, C-600/19 Ibercaja Banco et CJUE, arrêt du 17 mai 2022, affaires jointes C-693/19 SPV Project 503 Srl, et C-831/19 Banco di Desio e della Brianza e.a.) réaffirment que l’autorité de la chose jugée, et ce notamment attaché à une décision admettant des créances au passif d’une procédure collective, ne doit pas empêcher le juge national de procéder à un examen d'office du caractère éventuellement abusif des clauses qui lui sont soumises. 

En conséquence, « le juge de l'exécution, statuant lors de l'audience d'orientation, à la demande d'une partie ou d'office, est tenu d'apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen ». 

Sur ce fondement, la Cour de Cassation vient donc préciser le pouvoir du juge dans son rôle de contrôle des clauses abusives, en l’espèce en matière de procédure collective, mais dont la solution pourra être transposée en d’autres matières. 

Les juges soulignent que les décisions d'admission des créances ont autorité de chose jugée à l'égard du débiteur sur les créances qu'elles fixent. 

Toutefois, le juge-commissaire qui n’avait pas examiné, à la demande du débiteur ou d'office, le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée contenue dans les contrats de des prêts notariés, il appartenait alors au juge de l'exécution, saisi d'une contestation formée sur ce point pour la première fois devant lui, lors de l'audience d'orientation permettant la vente forcée de l’immeuble, de procéder à cet examen.

Pour conclure, le juge de l’exécution doit statuer sur l’appréciation du caractère abusif ou non de la clause qui lui est soumise, car malgré l’autorité de la chose jugée attachée à la décision d’admission des créances, il est manifeste que le juge-commissaire n’avait pas procédé à cet examen. L’autorité de chose jugée n’étant attachée qu’à la créance elle-même et non à l’appréciation du caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat qui l’a fait naître, permet donc au « second » juge de statuer sur cette demande. 

A l’inverse, si le juge-commissaire s’était livré à cet examen, le juge de l’exécution n’aurait pu statuer de nouveau sur la demande relative au caractère abusif de la clause, cette demande étant dans ce cas, soumise à l’autorité de chose jugée. 

Cass. Com. 8 février 2023, n°21-17.763, FS-B

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