Force probatoire d’une décision de sanction au droit de la concurrence d’une ANC
mardi 16 janvier 2024

Force probatoire d’une décision de sanction au droit de la concurrence d’une ANC

Par un arrêt du 20 avril 2023, la CJUE précise la valeur probante des décisions des autorités nationales de concurrence devant les juridictions nationales lorsque la Directive Dommages n’est pas applicable et maintient ainsi une tendance favorable aux requérants dans le cadre d’actions de private enforcement.

Dans l’arrêt commenté, la CJUE s’est prononcée sur la valeur probante des décisions de sanctions des autorités de concurrence devant les juridictions nationales dans le cadre d’action de private enforcement.

Cette affaire fait suite à la condamnation de la société Repsol, par les autorités de concurrence espagnoles, sur le fondement de l’article 101 TFUE et du droit national pour avoir fixé indirectement le prix de vente au public des carburants dans le cadre de ses relations contractuelles avec certaines stations-services espagnoles. Les décisions de sanctions sont devenues définitives avant l’expiration du délai de transposition de la directive Dommages.

En l’espèce, un propriétaire de station-service ayant conclu, entre 1987 et 2009, plusieurs contrats exclusifs d’approvisionnement de carburant avec Repsol, s’estimant victime de l’entente commise par Repsol, a introduit une action en follow-on devant les juridictions espagnoles afin d’obtenir la nullité et la réparation du préjudice subi du fait de cette entente.

Les juges saisis du litige ont décidé de surseoir à statuer afin d’interroger la CJUE sur la valeur probatoire de ces décisions dans le cadre de l’action en nullité et en dommages-intérêts introduite devant lui.

Pour rappel, l’article 9§1 de la directive « Dommages » établit une présomption irréfragable selon laquelle une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence est réputée « établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts ». Cet article allège considérablement le fardeau probatoire pesant sur la victime d’une entente anticoncurrentielle. L’enjeu était donc ici de déterminer son champ d’application matériel et temporel.

Dans un premier temps, la CJUE rappelle le champ d’application temporel et matériel de l’article 9§1 de la directive « Dommages ».

D’une part, la CJUE constate que le champ d’application matériel est limité aux seules actions en dommages et intérêts intentées pour des infractions aux règles de concurrence. L’article 9§1 n’est donc pas applicable aux autres types de recours ayant pour objet des infractions aux dispositions du droit de la concurrence, telles que l’action en nullité. Toutefois, elle admet l’existence d’une présomption simple dérivant du principe d’effectivité concernant les actions en nullité.

D’autre part, la CJUE rappelle que le champ d’application temporel de l’article 9§1 dépend de sa nature substantielle ou procédurale (CJUE, 22 juin 2022, C 267/20 Volvo et DAF Trucks).

Conformément à sa jurisprudence, elle rappelle que :

- les règles substantielles ne s’appliquent pas rétroactivement aux manquements commis avant l’entrée en vigueur de la directive (c’est-à-dire antérieurs au 27 décembre 2016) ;

- les règles procédurales s’appliquent aux actions introduites après cette date.

En l’espèce, la CJUE considère que l’article 9§1 constitue une disposition substantielle dans la mesure où il établit une présomption irréfragable de faute (infraction), élément constitutif de la responsabilité civile pour pratiques anticoncurrentielles.

L’article 9§1 s’applique donc aux manquements commis à compter de l’entrée en vigueur de la directive Dommages. La CJUE précise que le fait permettant de considérer que l’infraction est établie de manière irréfragable pour l’action en dommages et intérêts est la date à laquelle la décision de l’autorité de concurrence est devenue définitive et non la date de commission de l’infraction.

Par conséquent, l’article 9§1 est applicable aux recours portant sur des manquements antérieurs à l’expiration du délai de transposition lorsque la constatation définitive de ces manquements est postérieure à cette date.

Dans un second temps, la CJUE précise le régime probatoire applicable lorsque la Directive Dommages ne s’applique pas.

Selon l’article 2 du Règlement 1/2003, la charge de la preuve d’une violation de l’article 101§1 ou 102 TFUE incombe à la partie qui l’allègue. Toutefois, il ne précise pas les effets des constatations de l’autorité nationale de concurrence dans le cadre d’une action civile en dommages et intérêts. 

Dans cet arrêt, la CJUE remédie à cette question en utilisant le principe d’effectivité pour renverser la charge de la preuve et retenir qu’une infraction constatée dans une décision définitive est réputée établie aux fins de l’action civile. 

Comme le souligne justement l’avocat général Pitruzzella, l’exercice du droit à réparation pour violation du droit européen de la concurrence « deviendrait excessivement difficile si on ne reconnaissait pas aux travaux préalables d’une autorité de concurrence le moindre effet dans l’action civile en dommages et intérêts ». 

Il s’agit toutefois d’une présomption simple, valable uniquement lorsque la nature et la portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale de l’infraction alléguée faisant l’objet de l’action civile coïncident avec celles de l’infraction constatée dans la décision définitive de l’autorité de concurrence. 

Il appartient donc à la juridiction nationale de vérifier si le requérant a démontré que sa situation relevait bien du champ d’application de la décision de l’autorité de concurrence. 

Si ce n’est pas le cas, cette décision ne pourra constituer qu’« un indice de l’existence des faits auxquels se rapportent ces constatations ».

Notons que cette solution n’est utile que pour les pratiques sanctionnées par des autorités nationales. En effet, les décisions de la Commission européenne sanctionnant des pratiques anticoncurrentielles jouissent de l’autorité de la chose jugée, de sortes qu’elles s’imposent aux juges nationaux, que l’on se situe sous l’empire du droit antérieur ou sous l’empire de la directive Dommages (article 16§2 du règlement 1/2003).

Enfin, s’il est établi que la relation contractuelle litigieuse est affectée par les décisions des autorités de concurrence nationales, les juges espagnols ont interrogé la CJUE sur le fait de savoir si la sanction doit nécessairement être la nullité de plein droit de l’accord.

La CJUE rappelle que le juge national doit tirer toutes les conséquences de l’article 101§2 TFUE. Dès lors, il doit prononcer la nullité de plein droit de toutes les stipulations contractuelles incompatibles avec l’article 101§1 TFUE. Toutefois, l’ensemble de l’accord ne doit être frappé de nullité que si les éléments illicites sont inséparables de l’accord.

Il est intéressant de noter que ces nouveaux principes ont déjà été appliqués par les juges français dans le cadre d’une procédure en follow-on dans l’affaire des revêtements de sol résilients (CA Paris, 28 juin 2023, RG n°21/13172).

CJUE, 20 avril 2023, n°C-25/21

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