lundi 13 juin 2016

Droit de la concurrence et Big Data

Après que l’Autorité de la concurrence française et le Bundeskartellamt allemand aient publié, le 10 mai 2016, une étude conjointe sur les enjeux concurrentiels de la collecte, du traitement et de l’utilisation des données par les entreprises, l’Autorité de la concurrence, a décidé, le 23 mai 2016, de se saisir pour avis afin d’analyser les implications concurrentielles de l’exploitation des données dans le secteur de la publicité en ligne.

Dans quelle mesure les données pourraient-elles devenir un instrument de domination du marché ?

Après que le Bundeskartellamt allemand ait pris la décision, le 2 mars dernier, de lancer une enquête à l’encontre de Facebook afin de déterminer si ce dernier a abusé de son éventuelle position dominante sur les réseaux sociaux à travers ses conditions générales d’utilisation applicables aux données des utilisateurs, l’Autorité de la concurrence française et le Bundeskartellamt ont publié, le 10 mai 2016, une étude conjointe sur les enjeux concurrentiels de la collecte, du traitement et de l’utilisation des données par les entreprises.

Que retenir de l’étude "droit de la concurrence et données" ?

L’étude vient en premier lieu préciser les notions de « données » et de « big data » avant de rappeler leur rôle stratégique pour les entreprises. Si l’étude indique qu’il n’existe pas de définition unique de ces notions, elle retient que les caractéristiques du « big data » tiennent à l’importance des données, en termes de volume et de variété, à leur mode de collecte ainsi qu’à la puissance informatique et algorithmique requise pour leur traitement et leur analyse.

En deuxième lieu, l’étude vient faire un point sur les problématiques que peuvent poser les données au regard du droit de la concurrence :

-    la collecte des données peut tout d’abord constituer une barrière à l’entrée si « de nouveaux entrants ne sont pas en mesure  de collecter ou d’acheter le même type de données en termes de volume et/ou de variété, par comparaison avec les entreprises déjà en place » ;

-    la collecte et l’utilisation croissantes des données numériques sont souvent associés à un accroissement de la transparence des marchés en ligne. Si cette transparence permet aux consommateurs de comparer plus facilement les prix ou les caractéristiques de biens ou services ou de faciliter l’entrée de nouveaux concurrents car ils ont accès à plus d’informations sur les besoins des consommateurs et sur les conditions d’accès de marché, elle peut également faciliter la collusion entre concurrents car elle permet de détecter plus facilement la déviation par rapport à un accord collusif. La collecte des données peut également faciliter la collusion lorsque les données sont utilisées pour fixer les prix au travers de l’utilisation d’algorithmes ;

-    le rapprochement entre deux entreprises qui occupent des positions importantes sur des marchés amont ou aval différents peut conduire à la forclusion de ces marchés au détriment de nouveaux concurrents ;

-    certaines pratiques privant certains concurrents de l’accès aux données pourraient affaiblir la concurrence, et entraîner l’exclusion de concurrents, par exemple, le refus d’accès aux données peut être anticoncurrentiel si les données constituent une « facilité essentielle », si le refus est discriminatoire ou si les comportements visent à empêcher des concurrents d’accéder aux données de tierces parties au moyen d’exclusivités avec les prestataires les fournissant ;

-    les données peuvent faciliter la discrimination tarifaire en permettant à une entreprise exerçant un certain pouvoir de marché d’utiliser les données pour fixer des prix différents selon les consommateurs. Cependant, une telle discrimination n'est pas nécessairement nocive ;

-    enfin, les données peuvent poser des préoccupations au regard de protection de la vie privée : si un arrêt Asnef Equifax rendu par le CJUE en 2006 a rappelé que tout aspect relatif à la sensibilité des données personnelles ne relève pas en tant que tel du droit de la concurrence, le non-respect des règles relatives à la protection des données pourrait être envisagé du point de vue du droit de la concurrence dès lors qu’il y a une affectation de la concurrence.

En troisième lieu, l’étude indique que la question la plus intéressante d’un point de vue concurrentiel, est la question de la possible contribution des données au pouvoir de marché, qui suppose l’évaluation de l’ampleur de l’avantage économique que les données confèrent.

L’essentiel du débat sur la manière dont la collecte et l’utilisation des données pourraient affecter la concurrence s’est centré sur les services en ligne, dont certains aspects doivent être pris en considération dans l’évaluation du pouvoir de marché, tels que les effets de réseau, le multi-hébergement (multi-homing) et une dynamique de marché spécifique. Mais aucune conclusion définitive ne peut être tirée, ce qui appelle une analyse au cas par cas :

-    Marchés multi-faces et effets de réseau : le fait que de nombreux marchés en lignes soient multi-faces, c’est-à-dire lorsque des entreprises s’adressent à plusieurs groupes d’utilisateurs, doit être pris en considération pour la définition des marchés pertinents. Concernant les effets de réseaux, ils peuvent avoir des conséquences contrastées sur la concurrence. Ils peuvent favoriser la concentration du marché et être considérés comme un facteur de limitation de la concurrence. Dans ce contexte, la collecte et l’utilisation des données peut renforcer les effets de réseau lorsque l’accroissement du nombre d’utilisateurs d’une entreprise lui permet de collecter davantage de données que ses concurrents, ce qui lui permet d’accroitre la qualité de ses produits ou services et donc ses parts de marché. Les effets de réseau peuvent cependant également stimuler la concurrence en donnant à des nouveaux entrants la capacité d’augmenter rapidement leur base d’utilisateurs.

-    Multi-rattachement ("multi-homing") : le fait que les consommateurs utilisent plusieurs plateformes concurrentes est un facteur susceptible de réduire le pouvoir de marché des entreprises. Cependant,  le multi-hébergement peut être limité par les coûts de transfert et par le fait que les nouveaux entrants ne puissent pas être en mesure de proposer une qualité de service comparable à celles des entreprises déjà établies.

-    Dynamisme des marchés et innovation : le déploiement rapide de produits innovants est un facteur de modération du pouvoir de marché sur les marchés numériques. Cependant, les difficultés d’entrée et de développement des entreprises sur les marchés numériques ne doivent pas être sous-estimées.

L’étude souligne enfin que les décisions de concentration relatives aux marchés numériques permettent d’identifier deux facteurs susceptibles d’être particulièrement pertinents pour déterminer si les données peuvent ou non conférer un pouvoir de marché : la rareté des données  (ou la facilité avec laquelle elles peuvent être reproduites) et l’influence éventuelle du volume ou de la variété des données collectées sur la compétitivité des entreprises :

-    Rareté des données : l’étude indique que l’affirmation selon laquelle « les données sont partout » « ne vaut que si lesdites données sont réellement accessibles ». Est également décisive la question de la substituabilité entre les différentes catégories de données – et, en l’absence de substituabilité, celle de la large disponibilité de chaque catégorie de données pour la collecte » (p. 62).

-    Variété et volume des données collectées : le volume et la variété des données collectées sont des paramètres clés de la concurrence. Cependant, l’avantage associé à un volume de données plus important peut être différent d’un marché à un autre, de même que la question de la variété des données peut s’avérer aussi importante que celle de l’échelle des données, ce qui implique, selon les conditions de marché et les faits d’espèce, une évaluation au cas par cas de ces facteurs.

Prochaine étape : l'avis de l'Autorité de la concurrence

Ces dernières années, l’automatisation et l’exploitation de données se sont significativement accrues dans le secteur de la publicité en ligne.

L'Autorité de la concurrence a décidé, le 23 mai 2016, de se saisir pour avis afin d’analyser les implications concurrentielles de l’exploitation des données dans le secteur de la publicité en ligne.

L'Autorité a d’ores et déjà prévu de rendre son avis en 2017, qui sera précédé d'une large consultation publique visant à réunir les observations de l'ensemble des parties prenantes (annonceurs, éditeurs, acteurs intermédiaires de la chaîne de production des espaces publicitaires, entreprises spécialisées dans la fourniture et l'exploitation de données…).

L’Autorité concentrera son enquête sur la définition des marchés pertinents, l’évaluation du pouvoir de marché des acteurs et l’examen de leurs pratiques commerciales :

-    Marchés pertinents : l’Autorité examinera le degré de substituabilité entre les différentes formes de publicité en ligne, notamment sur la publicité sur les réseaux sociaux. L'Autorité formulera également des observations sur les marchés pertinents de gros liés aux relations commerciales des acteurs de l'écosystème de la publicité en ligne. Enfin, l’avis portera sur les marchés dits de la protection de la vie privée.

-    Pouvoir de marché : l'Autorité se focalisera sur l'identification des avantages concurrentiels et éventuelles positions dominantes des acteurs présents dans le secteur de la publicité en ligne (Google, Amazon, Facebook) et sur la place des données dans l’exercice du pouvoir de marché.

-    Pratiques commerciales : l'avis de l'Autorité évaluera dans quelle mesure les pratiques commerciales seraient susceptibles de restreindre le développement d'une concurrence par les mérites. Elle se penchera plus particulièrement sur les conditions d'accès aux données et aux offres commerciales de données, mais aussi sur les problématiques d'accès aux infrastructures de l'écosystème publicitaire. Enfin, elle recherchera l’existence d’éventuelles différences de traitement, les opérateurs verticalement intégrés dans le secteur de la publicité en ligne pouvant être tentés de favoriser leurs propres services et contenus.

(Etude du 10 mai 2016 « Droit de la concurrence et données » et Décision de l’Autorité de la concurrence n°16-SOA-02 du 23 mai 2016)

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