lundi 13 mars 2017

Carrefour, Intermarché et publicité comparative concernant des magasins de formats différents

Selon la CJUE, une publicité comparant les prix de produits vendus dans des magasins de format ou de tailles différentes n’est pas en soi illicite mais est susceptible de l’être si elle ne répond pas au critère de comparaison objective ou est trompeuse.

En 2012, Carrefour a lancé une campagne publicitaire télévisée intitulée « Garantie prix le plus bas Carrefour » comparant les prix de 500 produits de grandes marques pratiqués dans des magasins de l’enseigne Carrefour et des magasins d’enseignes concurrentes parmi lesquels figuraient les magasins Intermarché. L’enseigne Carrefour offrait au consommateur de lui rembourser deux fois la différence du prix s’il trouvait moins cher ailleurs.

Les magasins Intermarché sélectionnés pour la comparaison étaient tous des supermarchés et les magasins Carrefour étaient tous des hypermarchés. Cette information ne figurait pas dans les spots télévisés. Elle ne figurait que sur la page d’accueil du site internet de Carrefour qui mentionnait en petits caractères que la garantie proposée n’était valable que dans les magasins Carrefour et Carrefour Planet, à l’exclusion des autres magasins de l’enseigne. Dans les spots télévisés diffusés apparaissait, en-dessous du nom Intermarché, en lettres plus petites la mention « Super ».

ITM assigne Carrefour devant le Tribunal de commerce de Paris qui a considéré que Carrefour, en retenant un mode de sélection des points de vente trompeur, faussant ainsi la représentativité des comparaisons de prix, n’avait pas respecté les exigences légales d’objectivité. Pour le Tribunal de commerce, ces manquements à la neutralité et à l’objectivité d’une campagne de publicité comparative constituaient des actes de concurrence déloyale. Le tribunal de commerce a indiqué également que les informations figurant sur le site internet de Carrefour ne permettaient pas au consommateur d’avoir clairement connaissance de ce que la comparaison était effectuée entre des magasins de taille différente. 

Carrefour interjette appel du jugement rendu et, dans ce cadre, sollicite un renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l’Union Européenne concernant l’interprétation de la Directive européenne de 2006 1  sur la publicité trompeuse et la publicité comparative et le fait de savoir si une publicité comparant des produits vendus dans des magasins de tailles et de formats identiques était illicite.

La Cour d’appel sursoit à statuer et pose à la CJUE les trois questions préjudicielles suivantes :

1) L’article 4 sous a) et sous c) de la Directive 2006/114 doit-il être interprété en ce sens qu’une comparaison de prix de produits vendus par des enseignes de distribution n’est licite que si les produits sont vendus dans des magasins de formats et de tailles identiques ?

2) Le fait que les magasins dont les prix sont comparés soient de taille et de format différents constitue-t-il une information substantielle au sens de la Directive 2005/29  (sur les pratiques commerciales déloyales) devant nécessairement être portée à la connaissance du consommateur ?

3) Dans l’affirmative, quel devrait être le degré et/ou  le support de diffusion de cette information auprès du consommateur ?

Deux points sont à retenir de la décision rendue par la CJUE l’arrêt rendu par la CJUE le 8 février dernier (CJUE, 8 février 2017, aff. C-562/15, Carrefour Hypermarchés SAS c/ ITM Alimentaire International SASU).

1er point : Une publicité comparant les prix de produits vendus dans des magasins de format ou de taille différents n’est pas en soi illicite.

La Directive 2006/114 n’impose pas que le format ou la taille des magasins dans lesquels sont vendus les produits dont les prix sont comparés soient similaires.

La CJUE ajoute qu’une telle comparaison est d’ailleurs susceptible de contribuer à la réalisation des objectifs de la publicité comparative, à savoir mettre en évidence de manière objective les avantages des différents produits comparables et ainsi stimuler la concurrence entre les fournisseurs.

2ème point : Toutefois, une telle publicité ne sera licite qu’à condition de respecter les conditions imposées par la Directive 2006/114, notamment qu’elle compare objectivement les prix et qu’elle ne soit pas trompeuse.

→ Sur la comparaison objective des prix :

La CJUE relève ici que la différence de taille et de format des magasins dans lesquels les produits dont les prix comparés sont vendus peut fausser l’objectivité de la comparaison, notamment si les gammes de magasins comparés sont différentes (exemple : supermarché vs hypermarché).

Les prix des biens de consommation courante - qui faisaient l’objet d’une comparaison dans le spot publicitaire diffusé par Carrefour - sont susceptibles de varier en fonction de la taille ou du format du magasin. Aussi, une comparaison de prix de produits issus de magasins de format différents peut créer ou augmenter artificiellement les différences de prix entre les produits comparés.

→ Sur le caractère trompeur de la publicité :

Tout d’abord, la CJUE considère qu’une telle publicité comparant les prix des produits vendus dans des magasins de format et de taille différente, alors que les enseignes possèdent chacune une gamme de magasins de tailles et de formats différents, est susceptible d’être trompeuse :

- une telle publicité est en effet susceptible d’induire le consommateur en erreur en lui donnant l’impression que tous les magasins appartenant aux enseignes considérées ont été pris en considération pour effectuer la comparaison et donc que les écarts de prix indiqués sont valables dans tous les magasins de chaque enseigne, quel que soit leur format ou leur taille ;

- une telle publicité aura ainsi une influence sur le comportement économique du consommateur qui prendra une décision dans la croyance erronée qu’il bénéficiera des prix vantés dans la publicité dans tous les magasins de l’enseigne

En revanche, une telle publicité n’est pas susceptible d’être trompeuse si le consommateur a été informé du fait que les prix comparés concernent des produits vendus dans des magasins de tailles et de formats différents. La CJUE rappelle ici qu’en application de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, cette information doit être fournie de manière claire, précise et intelligible. 

Au regard de ces éléments, la CJUE conclut qu’il y a de fortes chances qu’une telle publicité ne réponde pas aux critères d’objectivité de la comparaison et qu’elle soit trompeuse. Elle en déduit que l’information du consommateur sur la différence de taille et de format des magasins doit être fournie de façon claire et figurer dans le message publicitaire lui-même.

Il appartiendra alors à la Cour d’appel de Paris d’apprécier le caractère licite ou non des spots publicitaires télévisés de Carrefour en considération de la position de la CJUE prise dans cet arrêt. 

1 Directive 2006/114/CE du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative.

 
Article 4, sous a) et sous c) de la Directive 2006/114 :
 
« Pour ce qui concerne la comparaison, la publicité comparative est licite dès lors que les conditions suivantes sont remplies :
 

a) elle n’est trompeuse au sens de l’article 2, point b), de l’article 3 et de l’article 8, paragraphe 1 de la présente directive ou des articles 6 et 7 de la directive 2005/29/CE du Parlement européenne et di Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») ;

b) […] ;

c) elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, y compris éventuellement le prix ; […] »

 

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