La concurrence déloyale par un ancien salarié
vendredi 30 septembre 2022

La concurrence déloyale par un ancien salarié

Les anciens salariés d’une entreprise peuvent être l’auteur d’actes de concurrence déloyale commis au préjudice de leurs anciens employeurs. Il convient d’appréhender les contours de la mise en jeu de leur responsabilité tant contractuelle que délictuelle, pour anticiper la stratégie à mettre en œuvre pour faire cesser ces agissements et réparer les préjudices subis. 


Au nom du principe fondamental de la liberté de commerce et d’industrie1, chaque personne peut jouir de deux libertés essentielles dans son activité professionnelle, à savoir, la liberté d’entreprendre et la liberté de faire concurrence

Ces libertés s’appliquent indistinctement aux opérateurs économiques d’un marché mais également aux salariés d’une entreprise dans laquelle ils exercent ou ont exercés leurs fonctions. 

Toutefois, ces libertés comportent certaines limites permettant de conjuguer la liberté et la protection du commerce. En effet, il est interdit d’user de pratiques déloyales perturbant faussement le jeu de la libre concurrence, alors que le salarié se doit de respecter ses propres engagements contractuels et postcontractuels. 


I. Se prémunir grâce au contrat de travail 

Pour se prémunir des actions de concurrence de ses employés, il apparait nécessaire de rédiger une clause de non-concurrence dans les contrats de travail. La violation de cette clause de non-concurrence permet d’engager la responsabilité contractuelle à la fois du salarié fautif mais également de l’employeur qui a embauché ce salarié en connaissance de l’existence de la clause de non-concurrence, même si ce dernier n’a pas usé de procédés déloyaux pour procéder à cette embauche (Cass. Com. 16 octobre 2019. n°18-15.418). 

La clause de confidentialité vient également au soutien de la clause de non-concurrence, permettant à tout employeur de soumettre son employé au secret des faits, techniques de production, procédés commerciaux, partenaires contractuels… dont il aurait pris connaissance dans le cadre de ses fonctions et dont il ne peut révéler au cours de l’exécution de son contrat de travail et pendant une période postérieure.

En dehors de la violation des clauses de non-concurrence et de confidentialité prévues par le contrat de travail, la concurrence opérée par l’ex salarié sera sanctionnable s’il a usé de procédés déloyaux à l’encontre de son ancien employeur dont les manifestations les plus courantes sont reprises ci-après. 

II. Création d'une entreprise concurrente

Les faits constitutifs de concurrence déloyale ont souvent pour origine la création par un ou plusieurs salarié(s) d’une entreprise concurrente à celle qu’ils ont précédemment quitté. 

Au cours de l’exécution de son contrat de travail, le salarié est tenu à un engagement de non-concurrence qui s’applique même en l’absence d’une clause de non-concurrence stipulée en ce sens. En effet, la jurisprudence reconnait cette obligation, même sans stipulation contractuelle, qui s’impose et s’explique par la bonne foi et la loyauté que le salarié doit à son employeur (Cass. Com. 1er décembre 2021. n°19-26181). 

Toutefois, au cours de son contrat de travail, le salarié peut librement exercer une autre activité distincte ou complémentaire dès lors qu’elle n’est pas concurrente à l’activité de son employeur (Cass. Soc. 19 novembre 2008. n°07-41.487). Il peut également détenir des titres sociaux dans des sociétés de toute nature, sous réserve que l’employé n’y exerce pas une activité de direction et exerce donc indirectement, une activité concurrente. 

Au cours de l’exécution de son contrat de travail, le salarié demeure même libre de réaliser toute démarche en vue de sa prochaine activité économique comme par exemple, procéder aux démarches administratives et à l’immatriculation de sa future société (Cass. Soc. 23 septembre 2020. N°19-15.313). 

Après la fin de son contrat de travail, le salarié demeure libre de créer toute entreprise qu’il souhaite et dont l’activité pourra même être concurrente à celle de son ancien employeur. Toutefois, la notion de fin du contrat de travail doit être appréhendée avec vigilance et ne s’apprécie que lorsque le contrat arrive effectivement à son terme. Le salarié en fin de préavis ayant obtenu de son employeur des conditions de travail aménagées et n’étant pas encore parti des effectifs de l’entreprise, procède à un acte de concurrence déloyale en exerçant une activité commerciale concurrente (Cass. Com. 24 septembre 2013. n°12-22.525).

III. Démarchage et détournement de clientèle

L’ancien employé peut également se livrer à des actions de démarchage de la clientèle de son ancien employeur ou pis, détourner directement ses clients. 

Ces actions de détournement de la clientèle s’inscrivent dans l’action en concurrence déloyale fondée sur la désorganisation de l’entreprise. 

En effet, peut être condamné l’ancien salarié qui détourne le fichier client de son ancien employeur à son profit pour la propre société qu’il a créé (Cass. Com. 13 septembre 2017. N°15-24.705).

IV. Exploitation des secrets commerciaux de l'ancien employeur

Les secrets commerciaux dont l’ancien salarié a eu connaissance peuvent permettre à ce dernier de se livrer à tout acte de concurrence déloyale envers son ancien employeur en exploitant divers de ces méthodes. 

Le secret des affaires, défini par l’article L. 151-1 du Code de Commerce comme toute information de valeur commerciale n’étant pas généralement connue ou accessible et de ce fait, protégée par son détenteur, entraine en cas de violation, l’engagement de la responsabilité civile délictuelle de son auteur et sa condamnation au paiement de dommages et intérêts.  

La violation d’un secret de fabrication est aussi et spécialement sanctionnée par les articles L. 1227-1 du Code du Travail et L. 621-1 du Code de Propriété Intellectuelle par une amende de 30.000 euros et deux ans d’emprisonnement. 

Enfin, toute divulgation ou utilisation du savoir-faire inédit et de certaines connaissances spécifiques acquises auprès de l’ancien employeur peuvent constituer des actes de concurrence déloyale, comme par exemple, utiliser les mêmes méthodes de savoir-faire pour sa nouvelle activité. 

V. Utilisation des signes de son ancien employeur

Outre la sanction attachée à la violation des droits de propriété intellectuelle de son propriétaire, l’ancien salarié peut être sanctionné sur le fondement de la concurrence déloyale, et ce notamment sur le fondement de l’imitation ou la confusion, pour avoir utilisé les signes distinctifs de son ancien employeur. 

En effet, et si l’on ajoute à cet usage, la reprise des secrets de fabrique ou de production, et même la création d’une entreprise par l’ancien salarié, le salarié peut donc créer imminemment une activité parfaitement concurrente et identique à celle de son ancien employeur. 

A par exemple été condamné le salarié qui reprend un modèle similaire d’enseigne pour l’ouverture d’un fonds de commerce de restaurant, identique au restaurant dans lequel il travaillait avant (Cass. Com. 21 juin 1994). 

VI. Embauche fautive de personnel

L’embauche de personnel d’une société peut se révéler être un acte fautif par le nouvel employeur s’il accompagne ce débauchage de procédés déloyaux. 

En effet, le débauchage fautif est un acte de concurrence déloyal sanctionné sous le joug des pratiques de désorganisation de l’entreprise. 

Dans cette situation, deux protagonistes peuvent se retourner condamnés à ce débauchage ; l’ancien employé ayant quitté ses fonctions mais également le nouvel employeur, sous réserve toujours que cette embauche soit ponctuée d’actes déloyaux. 

Le nouvel employeur qui a uniquement embauché le salarié d’une société concurrente pour obtenir les secrets de fabrique (Cass. Com. 18 décembre 1957) sera sanctionné tout comme le salarié pour avoir divulgué ce secret. 

Pourra également être condamné l’ancien employé qui a débauché en masse les employés de la société dans laquelle il exerçait ses fonctions au profit de la société qu’il a lui-même créé, sous réserve que ce débauchage soit accompagné de manœuvres déloyales (Cass. Com. 7 déc. 2010 n°09-72999).

Selon la jurisprudence traditionnelle, ce sont les circonstances qui entourent le débauchage qui permettront, au cas par cas, au juge d’apprécier si les faits constitutifs de concurrence déloyale peuvent être retenus, un simple déplacement de clientèle étant par nature insuffisant s’il n’est pas accompagné de manœuvres déloyales2.

Le débauchage n’est fautif que si la partie qui l’invoque prouve que cela a engendré une véritable désorganisation3

Pour caractériser les manœuvres déloyales d’un débauchage fautif, la jurisprudence retient principalement les éléments suivants :

- l’importance en nombre du personnel débauché par rapport à l’ensemble de l’effectif du service concerné de l’ancien employeur4,
- la qualification professionnelle de ce personnel5,
- l’incitation ou non du nouvel employeur6,
- la période plus ou moins restreinte sur laquelle les départs se sont étalés7,
- la volonté du nouvel employeur de bénéficier d’informations confidentielles et ou stratégiques obtenues par les salariés débauchés auprès de leur ancien employeur8,
- les conditions d’embauche des salariés débauchés (rémunération, période d’essai, clause de  non-concurrence et/ou de non-sollicitation)9 10.

Outre l’action fondée sur l’éventuelle violation des dispositions contractuelles du contrat de travail, la société victime de faits de concurrence déloyale par son ancien salarié pourra intenter une action en responsabilité civile délictuelle pour obtenir la cessation des pratiques illicites et ce, même sous astreinte, ainsi que sa condamnation au paiement de dommages et intérêts. 

1 Article 7 de la loi du 17 mars 1791 portant suspension de tous les droits d'aides, de toutes les maîtrises et jurandes et établissement des droits de patente

2 « La seule circonstance que certains clients ont suivi dans la nouvelle société l’associé au contact duquel ils avaient été antérieurement dans la société concurrencée » ne caractérise pas la faute, en l’absence de toute manœuvre déloyale relevée par les juges du fond (Cass.com 3 décembre 2002 n°99-21.758). Voir dans le même sens CA Paris Pole 5, Chbre 4 7 novembre 2012 n°11/05382 aux termes duquel il a été retenu que « ne constitue pas en soi des manouvres déloyales la simple constatation de l’embauche par un concurrent de salariés démissionnaires, de l’attribution à ce personnel de fonctions identiques et du transfert d’une partie importante de la clientèle dans les mois ayant suivi l’embauche ; qu’en effet, nul ne dispose d’un quelconque droit privatif sur sa clientèle et le simple déplacement d’un clientèle d’un fond à un autre n’est pas, à lui seul et en l’absence de manœuvres déloyales, révélateur d’un comportement fautif de la part du bénéficiaire et, plus précisément d’une action organisée de détournement de clientèle ».

Guillaume Gouachon
Avocat Associé

3 Cass. com. 21 oct. 1997 ;Cass. Com. 9 mars 1999 ; Cass. com., 24 mars 1998 ; Cass. com., 19 nov. 1991, n° 89-19.881 ; Cass. Com. 4 octobre 2016 ; Cass. Com. 20 septembre 2016
4 Cass. Com. 6 mai 1996 n°94-16.080 – Cass. Com. 3 octobre 2006 n°04-14.434
5 Cass. Com. 17 octobre 1995 n°94-10.761
6 Cass. Com. 6 mai 1996 n°94-16.080 – Cass. Com. 3 octobre 2006 n°04-14.434
7 Cass. Com. 3 octobre 2006 n°04-14.434
8 Com. 22 octobre 2002 n°01-10.283
9 CA Paris 29 mai 1998 n°96/88084,
10 Voir pour un cas d’espèce où la concurrence déloyale n’est pas admise, un arrêt dans lequel la Cour relève qu’une meilleure rémunération n’est pas nécessaire un critère décisif, en l’absence de réelle désorganisation :Cass. Com. 21 janvier 1997: La Cour relève qu’entre 1988 et 1991 vingt-deux représentants de la société Solfin, sur un effectif total de trois cent cinquante, l'ont quittée dans des conditions régulières pour être embauchés par la société Junil Sicoc, la société Solfin n'invoquant pas l'existence de clause de non-concurrence; que le recrutement des représentants par la société Junil Sicoc n'a pas eu pour effet de désorganiser l'entreprise de l'ancien employeur, que la meilleure rémunération obtenue par ces représentants chez leur nouvel employeur correspond à leur réelle qualification et qu'enfin leur affectation au même secteur que celui auquel ils l'étaient auparavant s'est fait dans le cadre de la libre concurrence; qu'ainsi la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la portée des preuves, a pu décider que la faute de concurrence déloyale n'était pas caractérisée.

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