Analyse du critère de la soumission au sens de L.442-6 I 2° du  code de commerce
lundi 27 novembre 2023

Analyse du critère de la soumission au sens de L.442-6 I 2° du code de commerce

Le critère de la dépendance économique constitue un critère pertinent dans la caractérisation de la soumission à un déséquilibre significatif.


Si l’affaire des « preuves anonymisées » opposant le ministre de l’économie à la SNC GEEPF avait déjà beaucoup fait parler d’elle, la cour d’appel de Paris saisie sur renvoie après cassation, est riche d’enseignements sur la question des éléments pertinents pour caractériser la soumission dans le cadre de la pratique restrictive qu’est le déséquilibre significatif encadrée par l’article L.442-6 I 2° du code de commerce.

En effet, par une décision très motivée, la cour d’appel de Paris procède à une analyse in concreto de chacun des indices rapportés par le ministre de l’Économie au soutien de sa demande de condamnation. Cette analyse détaillée de la Cour nous éclaire tout d’abord sur les indices qu’elle juge pertinents pour caractériser la soumission à un déséquilibre significatif - et donc ceux qui ne le sont pas, mais surtout sur l’analyse du critère de la soumission sous l’angle de la dépendance économique.

Pour mémoire, cette affaire a été introduite par le ministre de l’Economie et fait suite à une enquête menée par la DGCCRF, qui, dans le cadre de sa mission de préservation de la loyauté dans les relations commerciales, avait considéré que la société SNC GEEPF imposait à la majorité de ses fournisseurs des clauses contractuelles créant à son bénéfice un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations. Le ministre de l’Économie poursuivait donc la société SNC GEEPF sur le fondement de l’article L.442-6 I 2° du code de commerce.

Pour justifier de ses poursuites, le ministre de l’Economie se fondait sur un faisceau d’indices constitués, notamment par (i) la structure déséquilibrée du marché oligopolistique sur lequel était présente la société SNC GEEPF, (ii) la primauté systématique de ses conditions générales d’achat appliquées à ses relations contractuelles, (iii) le caractère « clairement défavorable » des clause litigieuse, (iv) l’automaticité de l’adhésion à un programme de paiement et la participation majoritaire des fournisseurs audit programme, ainsi que par des déclarations des fournisseurs anonymisé. Enfin, il soutenait que la défenderesse n’avait pas rapporté la preuve d’une négociation effective. 

On rappellera qu’aux termes de l’article L. 442-6, I 2 du code de commerce, « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers […] De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». 

Aussi, afin d’établir l’existence de cette pratique restrictive, il convient de réunir 2 éléments : d’une part l’existence d’une soumission ou tentative de soumission et d’autre part l’existence d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

S’agissant des critères jugés non pertinents, la Cour considère que le critère de l’existence de clauses « clairement défavorables » ne permet pas de caractériser la soumission (ou tentative). En effet, elle retient que l’analyse de l’insuffisance de la contrepartie ne peut être faite qu’au stade de la preuve du déséquilibre significatif, et que la preuve de la soumission ne peut découler de la seule rédaction de ces clauses. 

De même la Cour d’appel a jugé qu’une adhésion majoritaire a un programme de paiement de la société SNC GEEPF ou encore la primauté de ses CGA dans ses contrats ne pouvaient être des critères pertinents pour apprécier une tentative de soumission dans la mesure où il apparaissait que l’adhésion n’était pas systématique (seuls 72%) et donc pas obligatoire, et que certains fournisseurs (14 sur 1040) avaient pu faire primer leurs CGV, et donc négocier. 

Si cette analyse peut paraître stricte en ce qu’elle écarte le critère de la soumission alors que seule une très faible minorité des cocontractants a effectivement négocié le contrat, il faut retenir que la soumission implique « une impossible négociation ». Dès lors qu’est démontré la possibilité d’une négociation réelle, la soumission ne peut être caractérisée.

S’agissant des indices jugés pertinents la Cour d’appel, c’est attardé sur celui de la dépendance économique en procédant à une analyse de la structure du marché et de l’équilibre des rapports des forces économiques au travers de plusieurs critères.

 
Comme il résulte d’une jurisprudence établie de la Cour de cassation, l’existence de l’état de dépendance économique s’apprécie en tenant compte de 3 éléments :

(i) De la notoriété de la marque, 
(ii) De l’importance de la part de marché des parties dans le marché amont ou aval, et du chiffre d’affaires du revendeur - afin d’établir si oui ou non son contractant a besoin de ce contrat pour pénétrer le marché et 
(iii) De l’impossibilité, pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs de produits équivalent permettant de déterminer si le cocontractant est ou non contraint de contracter ou d’accepter les obligations qui lui seraient défavorables. A ce titre, on rappellera que la Cour de cassation a déjà, à plusieurs reprises, défini la notion de solution équivalente comme étant une solution juridique et matérielle permettant à l’entreprise de fonctionner dans des conditions techniques et économiques comparable.

En l’occurrence, la Cour d’appel de Paris n’a pas examiné la notoriété de la marque, mais elle retient que « si la position de la SNC GEEPF sur le marché aval lui conférait un pouvoir de négociation réel, elle relève que la structuration du marché en amont sur lequel elle s’approvisionne n’induit aucun déséquilibre structurel qui rendrait impossible aux fournisseurs de négocier les conditions qu’elle propose ». Aussi, elle considère que faute de dépendance économique, la soumission n’est pas établie.

Le deuxième enseignement de cette décision est le fait que la Cour d’appel ait jugé que le critère de la dépendance économique était pertinent – même déterminant – pour l’analyse du critère de la soumission, et ce, alors que la rédaction de l’article L442-6 I 2° du code de commerce alors en vigueur ne faisait déjà plus référence à la notion d’abus de dépendance économique ; en effet, cette notion a été abandonnée suivant la loi LME pour lui préférer celle de soumission (ou tentative) à un déséquilibre significatif. Cette pratique est aujourd’hui codifiée sous l’article L442-1 I 2° du code de commerce.

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