Abus de position dominante imputé à la tête de réseau - Critères
mardi 9 mai 2023

Abus de position dominante imputé à la tête de réseau - Critères

La CJUE précise les conditions dans lesquelles une tête de réseau peut être sanctionnée au titre de l’article 102 du TFUE pour des agissements matériellement commis par ses distributeurs et se prononce sur le test du concurrent aussi efficace en présence de clauses d’exclusivité. 

Saisie d’une question préjudicielle par le Conseil d’Etat Italien, la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après « CJUE ») a rendu le 19 janvier 2023 une décision dans laquelle elle s’est prononcée sur l’imputation à un chef de réseau en position dominante d’abus commis par ses distributeurs revendeurs, et sur la mise en œuvre du test du concurrent aussi efficace dans le cadre des clauses d’exclusivité. 

La société Unilever fabrique et commercialise des produits de grande consommation, et notamment des glaces en conditionnements individuels destinées à être consommées à l’extérieur (bars, cafés, clubs de sports, piscines et autres lieux de loisirs, ci-après « Points de vente »). Elle opère notamment par le biais d’un réseau de 150 distributeurs. 

Le 31 octobre 2017, l’Autorité Garante de la Concurrence et du Marché italienne (ci-après « AGCM ») a rendu une décision considérant que la société Unilever avait abusé de sa position dominante sur le marché des glaces en conditionnements individuels destinées à être consommées à l’extérieur en violation de l’article 102 du TFUE. 

L’AGCM a relevé que la société Unilever avait mis en place une stratégie d’exclusion susceptible d’entraver la croissance de ses concurrents. Cette stratégie reposait sur l'imposition aux distributeurs de clauses d’exclusivité aux exploitants des points de vente les obligeant à s’approvisionner exclusivement auprès d’Unilever pour la totalité de leurs besoins en glaces en conditionnements individuels en contrepartie du bénéfice pour les exploitants de remises et commissions. 

L’AGCM a :

(i) Considéré que les agissements étaient imputables uniquement à la société Unilever alors même qu’ils ont été matériellement commis par ses distributeurs au motif que celle-ci aurait interféré dans leur politique commerciale et qu’ils n’auraient pas agi de manière indépendante ; 

(ii) Ecarté les études économiques produites par la Unilever, estimant qu’elle n’était pas obligée de les analyser car elles seraient dénuées de pertinence en présence de clauses d’exclusivité, l’emploi de telles clauses étant suffisant pour caractériser un abus de position dominante.

Le Conseil d’Etat italien, saisi d’un recours a sursis à statuer afin de poser à la CJUE deux questions préjudicielles. La première sur les critères de l’imputabilité d’une infraction anticoncurrentielle à la tête de réseau (1), la seconde sur l’obligation pour l’autorité compétente de l’application du test du concurrent aussi efficace en présence de clauses d’exclusivité (2). 

1. Imputabilité d’un abus de position dominante à la tête de réseau 

La première question avait pour objet la caractérisation des conditions dans lesquelles des agissements d’opérateurs économiques autonomes et indépendants, pouvaient être imputés à un d’autre opérateur économique autonome et indépendant.

Le Conseil d’Etat italien demandait notamment si le fait qu’existe une coordination contractuelle entre un producteur et ses distributeurs juridiquement autonomes étaient suffisante pour imputer au producteur l’infraction, ou s’il était nécessaire de constater la capacité du producteur à exercer une influence déterminante sur les décisions commerciales, financières et industrielles susceptibles d’être prises par les distributeurs. 

La CJUE rappelle que toute entreprise en situation de position dominante détient une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée sur le marché intérieur. Cette obligation vise à prévenir non seulement les atteintes à la concurrence commise directement par le comportement de l’entreprise en position dominante, mais également celles découlant des comportements « dont la mise en œuvre a été déléguée par cette entreprise à des entités juridiques indépendantes, tenues d’exécuter ses instructions ». 

Il peut dès lors être imputé à la tête de réseau en position dominante un comportement matériellement mis en œuvre par un intermédiaire de son réseau dès qu’il a agi conformément à des instructions spécifiques données par la tête de réseau au titre d’une politique décidée unilatéralement par celle-ci. Il peut, en effet, être considéré dans ce cas que l’entreprise en position dominante a unilatéralement décidé du comportement reproché. 

La CJUE précise que ce comportement peut prendre la forme de contrats-types, entièrement rédigés par un producteur et contenant des clauses d’exclusivité au bénéfice de ses produits que les distributeurs sont tenus de faire signer aux exploitants de points de vente sans pouvoir les amender.

Dans un tel cas de figure, il n’est pas nécessaire de démontrer ni que les distributeurs concernés font partie de l’entreprise au sens de l’article 102 du TFUE, ni l’existence d’un lien « hiérarchique ». 

Il est donc possible d’imputer à un producteur en position dominante les agissements de ses distributeurs s’il est établi que ceux-ci n’ont pas été adoptés de manière indépendante et font partie d’une politique décidée unilatéralement par ce producteur.

2. Test du concurrent aussi efficace en présence d’une clause d’exclusivité 

La seconde question avait pour objet de savoir si en présence de clause d’exclusivité dans les contrats de distribution, l’autorité compétente était tenue pour caractériser un abus de position dominante, d’établir qu’elles ont pour effet d’exclure du marché les concurrents tout aussi efficaces, et si en présence d’une pluralité de pratiques litigieuses, elle était tenue d’examiner de manière détaillée les analyses économiques produites par l’entreprise concernée. 

Dans un arrêt Intel (CJUE, C-413/14 P, 6 septembre 2017), la Cour avait admis l’application du test du concurrent aussi efficace aux rabais de fidélité accordés par une entreprise en situation de position dominante. 

Dans le présent arrêt, la Cour étend l’application de ce test aux clauses d’exclusivité. Elle juge notamment que conformément au respect du droit d’être entendu, l’autorité compétente est tenue d’examiner les éléments de preuve susceptibles de démontrer l’absence de capacité à produire des effets restrictifs présentés par l’entreprise mise en cause. 

En conséquence, en présence de clauses d’exclusivité dans un contrat de distribution, l’autorité compétente est tenue de prendre en compte l’ensemble des circonstances pertinentes, et notamment les analyses économiques produites le cas échéant par l’entreprise mise en cause, elle ne peut donc écarter le test du concurrent aussi efficace sans en évaluer la valeur probante. 

CJUE, n°C-680/20, Univers Italiea Mkt. Operations Srl c. Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato, 19 janvier 2023

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