mardi 11 octobre 2016

Utilisation d’enregistrements secrets de conversations téléphoniques pour prouver une entente anticoncurrentielle.

Le Tribunal de l’Union européenne valide l’utilisation des enregistrements secrets de conversations téléphoniques pour établir l’existence une pratique anticoncurrentielle contrairement à ce qui a été jugé par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2011.

Aux termes d'une décision du 27 novembre 2013, ayant considéré que :

-    entre juin 2000 et janvier 2009, les sociétés Heiploeg et Klaas Puul s'étaient entendues sur la fixation des prix et la répartition des volumes de ventes de crevettes de la mer du Nord en Belgique, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas ;

-    à partir de février 2005, la société Kok Seafood avait participé à cette entente;

-    de mars 2003 à novembre 2007, la société Stührk avait participé à l'accord sur la fixation des prix en Allemagne ;

la Commission européenne a infligé une amende d'un montant total de 28 716 000 d'euros aux sociétés Heiploeg, Stührk et Kok Seafood.  

La société Klaas Puul a bénéficié, pour sa part, d'une immunité totale d'amende. Cette dernière avait en effet déposé le 26 janvier 2009 une demande de clémence auprès de la Commission européenne (procédure par laquelle une partie à une pratique anticoncurrentielle dénonce cette pratique en contrepartie d’une réduction ou d’une immunité d’amende).

A la suite de cette demande, la Commission européenne avait notamment effectué une opération de visites et saisies dans les locaux de la société Kok Seafood, au cours de laquelle elle avait notamment saisi des enregistrements audio de conversations téléphoniques réalisé par un employé de Kok Seafood à l’insu d’une personne de la société Heiploeg, ainsi que des notes écrites de conversations téléphoniques échangés avec lui.

A l’appui de son recours devant le Tribunal de l’Union européenne, la société Heiploeg soulevait notamment que les enregistrements secrets de conversations téléphoniques constituaient un moyen de preuve illégal pour établirl’existence d’une entente anticoncurrentielle.

Dans sa décision du 8 septembre 2016, le Tribunal rappelle dans un premier temps que :

-    le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre appréciation des preuves, dont il découle, d’une part, que, dès lors qu’un élément de preuve a été obtenu régulièrement, sa recevabilité ne peut être contestée devant le Tribunal et, d’autre part, que le seul critère pertinent pour apprécier la force probante des preuves régulièrement produites réside dans leur crédibilité (pt. 42) ;

-    si certaines preuves peuvent être écartées du dossier, notamment s’il subsiste un doute tant sur le caractère même du document contesté que sur la question de savoir s’il a été obtenu par des moyens légitimes par celui qui l’invoque, une telle exclusion n’est toutefois pas automatique, les juridictions de l’Union ayant parfois accepté de tenir compte de pièces dont il n’était pourtant pas établi qu’elles avaient été obtenues par des moyens légitimes (pt. 44).

Elle considère par la suite que :

-    la Commission a offert à toutes les parties la possibilité d’avoir accès à l’ensemble des enregistrements audio et aux notes écrites accompagnant ces enregistrements figurant dans le dossier (pt. 63) : la partie requérante n’a pas donc été privée d’un procès équitable ni de ses droits de la défense au cours de la procédure administrative,

-    les enregistrements litigieux n’ont pas constitué le seul moyen de preuve utilisé par la Commission (pt. 65),

-    si les enregistrements litigieux ont eu une certaine importance dans la décision de la Commission d’imposer une amende, ils n’ont pas constitué l’élément unique ayant forgé la conviction de la Commission quant à la culpabilité des requérantes (pt. 67),

-    les requérantes n’ont jamais nié le contenu des enregistrements no contesté leur authenticité (pt. 69),

-    la Commission a vérifié la concordance des enregistrements en cause avec les autres éléments de preuve contenus dans le dossier (pt. 70),

-    les enregistrements en cause concernent des conversations téléphoniques entre deux concurrents, dans lesquelles les interlocuteurs ont échangé des
informations commerciales sensibles, y compris des informations concernant
leurs prix et il s’agit donc d’éléments de preuve valables compte tenu de leur lien immédiat et direct avec l’objet de l’investigation en cause (pt. 71).


Elle conclut dès lors que « même s’il fallait considérer que les enregistrements en cause ont été effectués illégalement par l’une des entreprises concurrentes des requérantes, c’est à bon droit que la Commission les a utilisés en tant que moyens de preuve dans le cadre de la décision attaquée, pour constater une violation de l’article 101 TFUE » (pt. 73).

En d’autres termes, la Commission peut valablement utiliser des enregistrements sonores effectués illégalement pour établir l’existence d’une entente anticoncurrentielle. Il en est de même de notes écrites relatifs auxdits enregistrements.

La société Heiploeg faisait également valoir que l’utilisation de tels enregistrements serait interdite à titre de preuve dans plusieurs États membres.  Elle se fondait ici sur l’arrêt rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation française le 7 janvier 2011 aux termes duquel cette dernière a considéré que les enregistrements téléphoniques effectués par une partie, à l'insu de l'auteur des propos captés et, produits à titre de preuve devant l'Autorité de la concurrence, devaient être déclarés irrecevables car recueillis de façon déloyale.

Le Tribunal rejette cependant cet argument considérant qu’il s’agit du seul exemple concret (pt. 75). Il ajoute également qu'il n’existe pas de disposition en droit de l’Union européenne prévoyant expressément l’interdiction de tenir compte, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, de preuves illégalement obtenues, ni de principe en vertu duquel des preuves obtenues illégalement ne pourraient être utilisées dans le cadre d’une investigation ou d’une procédure juridictionnelle (pt.76) et que si le juge de l’Union peut s’inspirer également du droit des États membres, cela n’implique pas qu’il faille appliquer le droit de l’État membre dont la réglementation sur l’administration de la preuve serait la plus stricte, d’autant que tant les ordres juridiques nationaux que le droit de l’Union sont censés intégrer les garanties consacrées par la CEDH (pt. 78).

TUE. 8 septembre 2016, n° T-54/14

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