L’application du statut d’agent commercial fortement étendue par la CJUE
mercredi 16 septembre 2020

L’application du statut d’agent commercial fortement étendue par la CJUE

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu un arrêt qui étend substantiellement l’application du statut d’agent commercial.

Le Code de commerce (art. L.134-1) définit l’agent commercial comme « un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale ».

Cette définition est conforme à celle posée par le directive européenne n°86/653/CEE du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants. En effet, son article 1er, paragraphe 2, définit l’agent commercial comme « celui qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée “commettant”, soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant ».

Plus que la conclusion de contrats pour le compte de son mandant, qui n’est qu’une possibilité, le critère déterminant de la qualité d’agent commercial est donc le pouvoir de négociation confié à l’agent, en vue de la vente ou de l’achat de marchandise. Dès lors qu’il dispose de ce pouvoir, un mandataire est qualifié d’agent commercial et bénéficie alors du régime protecteur applicable. En particulier, il bénéficie du droit à indemnité en fin de contrat, sauf si elle résulte de l’initiative ou d’une faute grave de l’agent. Pour mémoire cette indemnité est usuellement équivalente à deux années de commission.

Jusqu’à présent la position de la Cour de cassation était d’interpréter cette notion de négociation de manière restrictive, c’est-à-dire comme la faculté de modifier le contenu du contrat proposé, pour en faciliter la conclusion (Cass. Com. 15 janv. 2008, n°06-14.698). Cette faculté de modifier le contrat pouvait porter sur les délais de livraison, les conditions de vente ou de reprise mais également sur les prix. Dès lors que l’intermédiaire n’avait pas la faculté de modifier ne serait-ce qu’un de ces éléments, il ne pouvait bénéficier du statut d’agent commercial. Cette jurisprudence était régulièrement confirmée (voir ainsi récemment CA Paris, 29 nov. 2018, n° 17/07784 ou encore CA Paris, 18 avril 2019, n°17/01169, qui considérait que « la qualité d'agent commercial suppose la capacité discrétionnaire offerte à ce dernier de négocier les contrats passés au nom du mandant et de disposer, à cet effet, de réelles marges de manœuvre par rapport à son mandant pour arrêter les conditions de vente, notamment quant aux tarifs pratiqués ».

A l’occasion d’un contentieux relatif à la cessation d’un contrat d’agent commercial, le Tribunal de commerce de Paris a adressé à la CJUE une question préjudicielle, formulée comme suit : « L’article 1er, paragraphe 2, de la directive [86/653] doit-il être interprété en ce sens […] qu’un intermédiaire indépendant, agissant en tant que mandataire au nom et pour le compte de son mandant, qui n’a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuels des contrats de vente de son commettant, n’est pas chargé de négocier lesdits contrats au sens de cet article et ne pourrait par voie de conséquence être qualifié d’agent commercial et bénéficier du statut prévu par la directive ? ».

La question était donc de savoir si le terme « négocier » devait être compris dans un sens restrictif, limité à la faculté de modifier les termes du contrat proposé, comme le faisaient les tribunaux français, ou dans un sens plus large, de simplement engager des discussions en vue de la conclusion d’un contrat, sans forcément pouvoir en modifier les conditions.

La CJUE a répondu « L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial, au sens de cette disposition. »

Autrement dit, la CJUE indique que le terme « négocier » doit être pris dans son sens le plus large.

Pour arriver à cette conclusion, la CJUE se fonde sur plusieurs arguments. Elle relève que la directive ne définit pas le terme « négocier », ce qui mettrait en évidence « la volonté du législateur de l’Union que cet acte ait comme objectif la conclusion de contrats de vente ou d’achat pour le compte du commettant ». En outre, dès lors que la directive ne renvoie pas aux droits nationaux pour la signification de cette notion, celle-ci est alors une « notion autonome du droit de l’Union qui doit être interprétée de manière uniforme ». Or, la détermination de la signification et de la portée des termes non définis par le droit de l’Union doit être établie « conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation ».

Elle constate ainsi que certaines traductions de la directive utilisent des termes qui peuvent être traduits par « servir d’intermédiaire » plutôt que par le terme négocier. Elle relève aussi qu’aucune version linguistique de la directive n’implique que l’agent puisse fixer le prix des marchandises du commettant. Elle considère ensuite que la fixation des prix de vente par le mandant peut se justifier par des raisons de politique commerciale et que l’absence de faculté de négocier les prix « n’empêche pas l’accomplissement par l’agent commercial de ses tâches principales telles que décrites dans la directive », à savoir « apporter de nouveaux clients au commettant et développer les opérations avec des clients existants », ces tâches pouvant être assurées par des moyens d’information, de conseil et de discussions.

La CJUE considère en outre qu’une telle interprétation restrictive irait à l’encontre des objectifs de la directive, à savoir en particulier « protéger les agents commerciaux ».

Les conséquences de cette décision sont importantes. En effet, les contrats de mandataire d’intérêt communs, qui ne donnaient pas le pouvoir au mandataire de négocier les prix ou les conditions contractuelles et qui échappaient jusqu’à présent au régime des agents commerciaux, pourraient dès lors se retrouver soumis à ce régime. Il est donc indispensable pour les enseignes qui recourraient à ce type de contrats, d’en réaliser l’inventaire afin de pouvoir anticiper les conséquences de l’application du régime d’agents commercial à ces contrats, sans attendre de voir comment les juridictions françaises vont appliquer cette position de la CJUE.

CJUE, n° C-828/18, 4 juin 2020, Trendsetteuse SARL c/ DCA SARL

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