Les comptes prévisionnels: quelles bonnes pratiques pour les franchiseurs ?
mercredi 23 novembre 2016

Les comptes prévisionnels: quelles bonnes pratiques pour les franchiseurs ?

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Le contenu de cet article est issu d’un livre blanc que Gouache a rédigé avec l’équipe Franchise & réseaux de KPMG, à l’occasion d’un petit déjeuner organisé le 22 novembre 2016.
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Les comptes prévisionnels sont une source récurrente de contentieux en matière de franchise.

Dans le cadre de son obligation d’information précontractuelle, et en application des articles L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce 1, le franchiseur a l’obligation de transmettre diverses informations à ses candidats, pour leur permettre de s’engager en toute connaissance de cause au contrat de franchise. S’agissant des éléments financiers, le franchiseur a l’obligation d’adresser au candidat les comptes annuels des deux derniers exercices du franchiseur et de lui indiquer le montant des dépenses et investissements spécifiques à l’enseigne ou à la marque à exposer avant le démarrage de l’activité. Le franchiseur n’a en revanche strictement aucune obligation légale d’adresser au candidat un compte prévisionnel de l’activité entreprise sous son enseigne.

Toutefois, en pratique, de nombreux franchiseurs sont tentés de remettre soit des comptes prévisionnels à leurs futurs franchisés, soit des éléments financiers détaillés sur le réseau et les pilotes, afin de leur permettre d’établir leurs propres comptes prévisionnels, nécessaires notamment pour évaluer l’opportunité du projet, et le faire financer par de la dette bancaire.

Cette pratique n’est pas sans risque pour le franchiseur. La remise de comptes prévisionnels aux franchisés, ou de chiffres leur permettant d’établir de tels documents, constitue en effet un élément susceptible de déterminer le consentement du candidat pour signer le contrat de franchise proposée, de sorte qu’il appartient au franchiseur d’adopter la plus grande prudence à ce titre. La jurisprudence reconnaît ainsi que «la pertinence des informations prospectives délivrées apparaît comme une incitation à contracter et le caractère réalisable du chiffre d'affaires prévisionnel est un élément substantiel pour le candidat à l'adhésion au réseau » (CA Orléans, 25 Novembre 2010 – n° 10/01197).

Le franchiseur est en effet soumis à une obligation de sincérité en cas de remise de comptes prévisionnels, de sorte que celui-ci est susceptible d’engager sa responsabilité s’il transmet, directement ou indirectement, des informations non sincères2


La Cour d’appel de Paris a ainsi rappelé les obligations du franchiseur en la matière :

« Si  le  franchiseur  n’est  pas  tenu  de remettre  un  compte  d’exploitation  prévisionnel  au  candidat  à  la  franchise,  (...),  le document  d’information  précontractuel  doit  contenir  «  la  nature  et  le  montant  des dépenses  et  investissements  spécifiques  à  l’enseigne  ou  à  la  marque  que  la  personne  destinataire du projet  de contrat engage avant de commencer l’exploitation » ; qu’il appartient ensuite à chaque franchisé d’établir son compte prévisionnel à partir de ces données ;  que  si  le  franchiseur  remet  un  compte  d’exploitation,  il  doit  donner  des informations sincères et vérifiables » (CA Paris, 2 juillet 2014, n°11/19239)

La présente étude a pour objet de présenter, tant d’un point de vue financier que juridique, les enjeux et les risques tenant aux comptes prévisionnels, et plus généralement de fournir aux réseaux des informations pratiques afin de sécuriser leur démarche à cet égard.

A cette fin, l’obligation de sincérité pesant sur le franchiseur à l’occasion de la remise de comptes prévisionnels (I), puis les conditions d’engagement de la responsabilité du franchiseur seront successivement étudiées (II).  Enfin, les modalités de réalisation d’un compte prévisionnel, d’un point de vue financier, seront abordées (III).
 

I.    L’obligation de sincérité du franchiseur en cas de remise de comptes prévisionnels
 

1.    Fondement de l’obligation de sincérité
 

Le franchiseur est soumis à une obligation générale de sincérité au titre des informations transmises à ses candidats. Cette obligation trouve son fondement tant dans le droit commun des contrats (a), que dans le droit spécial, dans le cadre de l’article L.330-3 du Code de commerce (b).

 

a)    Fondement général de droit commun  
 

Alors que l’article L.330-3 du Code de commerce, relatif à l’obligation d’information précontractuelle du franchiseur,  constitue sans nul doute la référence connue par une grande partie praticiens de la franchise,  il est impératif de rappeler que le franchiseur est soumis à une obligation d’information sincère à l’égard de ses candidats sur le fondement du droit commun des contrats, quand bien même l’article L.330-3 du Code de commerce n’aurait pas vocation à s’appliquer.

Les juridictions retenaient déjà la responsabilité de franchiseurs qui avaient remis des comptes prévisionnels grossièrement erronés à des franchisés pour des contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Doubin3.

Si l’ancien article 1134 du Code civil4 n’imposait une obligation de bonne foi que dans l’exécution du contrat, la jurisprudence a étendu cette exigence à la période précontractuelle et à la période de formation du contrat.

Observons à ce titre que le nouvel article 1104 du Code civil énonce désormais que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».

Le manquement du franchiseur à cette obligation de droit commun de bonne foi et de loyauté à l’égard d’un candidat dans le cadre de la remise de comptes prévisionnels pendant la période de formation du contrat est donc susceptible de caractériser l’existence d’un vice du consentement.  

Conformément à l’article 1128 du Code civil, le consentement des parties constitue l’un des trois éléments nécessaires pour assurer la validité d’un contrat, avec leur capacité de contracter, et l’exigence d’un contenu licite et certain.  

Parmi les trois vices du consentement définis à l’article 1130 du Code civil5, l’erreur et le dol, respectivement prévus aux articles 1132 et 1137 du Code civil6 sont susceptibles d’être invoqués par un franchisé qui agirait en nullité du contrat de franchise du fait de la remise de comptes prévisionnels non sincères, et ce indépendamment de l’application de l’article L.330-3 du Code de commerce.

Il a ainsi été jugé, dans le cadre d’une affaire où un licencié faisait valoir que son consentement avait été vicié au motif que le concédant l’avait convaincu de conclure le contrat de licence de marque litigieux en lui communiquant une étude prévisionnelle irréaliste vantant des perspectives de chiffre d’affaires trompeurs, que : « même si les dispositions de l'article L. 330-3 du code de commerce sont inapplicables à la cause, le contrat du 27 février 2006 n'en serait pas moins nul, en vertu de l'article 1116 du code civil, si le consentement [du licencié] s'est trouvé vicié du fait de manœuvres dolosives [du concédant] »7 .

Il appartient donc à tout franchiseur, indépendamment de l’application de l’article L.330-3 du Code de commerce, dans le cas où il déciderait de remettre des comptes prévisionnels à ses candidats, ce qui est fortement déconseillé ( cf ci-dessous) de veiller d’une part à transmettre des informations sincères, et de veiller d’autre part à fournir toutes les informations qui seraient requises pour que les candidats s’engagent en toute connaissance de cause, et donc de ne pas leur cacher certaines informations essentielles.

Notons à ce titre que le nouvel article 1112-1 du Code civil renforce l’obligation d’information du franchiseur sur le fondement du droit commun puisque celui-ci dispose que :

« Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

(…)

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

(…)

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants ».

A défaut pour le franchiseur de respecter son obligation de bonne foi et de loyauté dans l’information précontractuelle dans le cadre de la fourniture de comptes prévisionnels, la nullité du contrat pourrait être prononcée, sur le fondement du dol (i) soit de l’erreur (ii).

(i)    Le dol

Conformément à l’ancien article 1116 du Code civil, le dol est caractérisé  « lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ».

Notons que la jurisprudence a étendu la notion de dol à la réticence dolosive, c’est-à-dire le fait pour une personne de s’abstenir de fournir une information qu’elle avait l’obligation de donner.

Le nouvel article 1137 du Code civil,  issu de la réforme du droit des obligations, donne désormais une définition du dol et consacre la jurisprudence relative à la réticence dolosive en la visant expressément :

« Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie ».

Classiquement, la caractérisation d’un vice du consentement sur le fondement du dol exige de prouver d’une part un élément matériel et d’autre part un élément intentionnel.

C’est dire que la simple communication de comptes prévisionnels erronés  ne saurait caractériser à elle seul un vice du consentement sur le fondement du dol en l’absence de preuve de la volonté du débiteur de l’obligation de tromper son co-contractant.

En outre, conformément à la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 1116 du Code civil, le dol ne constitue une cause de nullité du contrat que s’il a provoqué une erreur déterminante du franchisé8.

Enfin, la jurisprudence retient que l’erreur provoquée par le dol est toujours excusable. Le nouvel article 1139 du Code civil consacre désormais cette jurisprudence puisqu’il dispose que « l'erreur qui résulte d'un dol est toujours excusable ».

La communication par le franchiseur au franchisé de comptes prévisionnels dont il sait qu’ils sont grossièrement erronés afin d’emporter son consentement est ainsi susceptible de caractériser un dol, et d’entraîner la nullité du contrat de franchise sur le seul fondement du droit commun. Ainsi, dans un arrêt dans lequel les demandeurs ne se fondaient que sur le droit commun, sans invoquer les dispositions des articles L.330-3 et R-330-1 du Code de commerce, la Cour d’appel de Douai a caractérisé l’existence  d’un dol du fait de la remise de comptes prévisionnels exagérément optimistes :

« Le [franchiseur] a sciemment transmis à son cocontractant des prévisions exagérément optimistes sans justifier d’aucune étude préalable, donc des prévisions dépourvues de toute crédibilité et de tout sérieux ; qu’en procédant de la sorte, [le franchiseur] s’est volontairement livrée à une présentation inexacte de son réseau, à dessein évident d’inciter [les candidats] à conclure le contrat de franchise litigieux » 9.

(ii)    L’erreur

Depuis un arrêt de la Cour de cassation en date du 4 octobre 2011, la jurisprudence prononce régulièrement la nullité du contrat de franchise du fait de la remise de comptes prévisionnels erronés sur le fondement de l’erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise10.  

Conformément à l’ancien article 1110 du Code civil, l’erreur constitue un vice du consentement dès lors qu’elle porte sur la substance même de la chose qui en est l'objet, ou encore, si le contrat est conclu intuitu personae, sur la personne du cocontractant.

Comme pour le dol, l’erreur provoquée doit avoir été déterminante du consentement du franchisé au contrat.

Toutefois, au contraire du dol, l’erreur est objective et ne nécessite pas la preuve d’un élément intentionnel de son auteur de tromper son co-contractant.

C’est dire qu’il est particulièrement intéressant pour un franchisé souhaitant agir en nullité du contrat de franchise du fait de la remise de comptes prévisionnels d’agir sur le fondement de l’erreur et non du dol : le caractère gravement erroné des prévisions adressées peut suffire à lui seul à établir le vice du consentement, quand bien les erreurs figurant dans les comptes prévisionnelles sont involontaires.

Ainsi, dans son arrêt du 4 octobre 201111 , la Cour de cassation a admis le principe selon lequel un écart significatif entre les prévisionnels fournis par le franchiseur et les réalisations effectives du franchisé sont susceptible d’entraîner la nullité du contrat sur le fondement de l’erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise :  

 « après avoir constaté que les résultats de l'activité du franchisé s'étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire, sans rechercher si ces circonstances ne révélaient pas, même en l'absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d'information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l'activité entreprise, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

Traditionnellement, l’erreur sur la valeur n’est pas une cause de nullité du contrat, au contraire de l’erreur sur la substance.

Aussi, de nombreux auteurs ont souligné l’ambiguïté de la référence faite dans cet arrêt par la Cour de cassation à la notion d’ « erreur sur la rentabilité », sans pour autant considérer qu’elle avait admis l’erreur sur la rentabilité comme cause de nullité du contrat de franchise  12:

La Cour de cassation est venue finalement mettre fin aux débats soulevés suite à son arrêt du 4 octobre 2011 en faisant référence dans un arrêt postérieur à « l’erreur sur la substance »13 , la rentabilité de l’activité entreprise au titre du contrat étant alors la substance de l'engagement du franchisé.


Soulignons enfin sur cette question que l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations n’a pas consacré la jurisprudence de la Cour de cassation concernant l’erreur sur la rentabilité de l’activité entreprise.

L’article 1136 du Code civil, dont la rédaction est issue de cette réforme, dispose ainsi que  « La simple erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation due, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas en soi une cause de nullité ».  

La jurisprudence de la Cour de cassation n’en demeure pas moins encore applicable, et les juridictions pourront toujours considérer que l’erreur sur la rentabilité est une erreur substantielle.  

Enfin, pour constituer un vice du consentement, l’erreur doit être excusable. Tel n’est pas le cas lorsque pèse sur celui qui l’invoque une obligation de se renseigner.

Les juridictions vérifient donc si l’erreur invoquée par le franchisé n’était pas inexcusable, compte tenu d’un manquement à son obligation de s’informer (voir infra).
 

b) Fondement spécial : l’article L.330-3 du Code de commerce
 

A côté du fondement général de droit commun à l’obligation de bonne foi et de sincérité, le droit spécial de l’article L.330-3 du Code de commerce affirme une obligation d’information précontractuelle afin d’assurer un engagement du franchisé « en connaissance de cause ».

L’article L.330-3 du Code de commerce dispose ainsi que « toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ».

Si la jurisprudence reconnaît que le vice du consentement du franchisé peut être caractériser sur le  fondement du droit commun, indépendamment de l’application des articles L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce, le droit commun a toutefois vocation à s’appliquer de manière complémentaire avec l’obligation spéciale d’information précontractuelle.

En effet, si certaines juridictions du fond ont prononcé dans le passé la nullité du contrat de franchise du seul fait de la violation du franchiseur de son obligation spéciale d’information précontractuelle, au motif notamment que l’article L.330-3 du Code de commerce est d’ordre public14,  il est désormais bien établi que la nullité du contrat ne saurait résulter du seul manquement par le franchiseur à l’article L.330-3 du Code de commerce15 , mais nécessite la preuve d’un vice du consentement16 , généralement le dol ou l’erreur.

La Cour de cassation casse ainsi régulièrement les arrêts caractérisant un dol du seul fait d’un manquement à l’obligation d’information précontractuelle 17.

Cette absence d’autonomie de l’article L.330-3 du Code de commerce par rapport au droit commun du vice du consentement aurait pour effet pour certains auteurs de « sapper l’utilité » de la loi Doubin, et conduirait aussi « à la dépecer »18  ou encore à la « dé-tricoter »19.

2.    La sanction du vice du consentement du fait d’un manquement à l’obligation d’information précontractuelle : la nullité du contrat
 

Lorsque le manquement à l’obligation d’information précontractuelle du franchiseur détermine le vice du consentement du franchisé, la sanction est la nullité du contrat de franchise, c’est-à-dire son anéantissement rétroactif20.

La nullité entraîne classiquement une remise en état réciproques des parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant la signature du contrat de franchise21 , et non pas seulement une remise en l’état du franchisé22.

Cette solution apparaît équitable : le franchisé n’a pas à bénéficier gratuitement pendant la durée d’exécution du contrat des prestations du franchiseur sans être tenu d’en restituer la valeur.

Le prononcé de la nullité du contrat de franchise a donc pour conséquence automatique pour le franchisé la restitution du droit d’entrée et des redevances versées au franchiseur.

Pour le franchiseur, la remise en état se fait par équivalent23, le franchisé n’étant pas en mesure de restituer en nature les prestations immatérielles fournies par le franchiseur. Conformément à la jurisprudence, la valeur des prestations fournies par le franchiseur est égale à ce qui a été prévu contractuellement.

Lorsque le franchisé n’est pas en mesure de restituer les prestations reçues par application du contrat, le franchiseur doit alors être dispensé de restituer au franchisé les sommes versées par le franchisé :

 « Force est de constater que le franchisé se trouve dans l’impossibilité de restituer les prestations reçues par application du contrat (…), lequel a été exécuté pendant 16 mois. En effet, le franchisé ne peut à l’évidence restituer les prestations d’utilisation de la marque et des produits, de publicité, de formation, d’information ou d’exécution des modèles de coiffure.

Dès lors, comme ces restitutions s’avèrent matériellement impossible, il convient de préciser que le franchiseur ne sera pas tenu d’en restituer la contrepartie » 24.

Ainsi, en pratique, le prononcé de la nullité du contrat de franchise abouti généralement à un jeu à sommes nulles.


Recommandation pratique : il est primordial pour le franchiseur de conserver la preuve de la fourniture au franchisé des différentes prestations prévues en exécution du contrat de franchise (formations, visites, animation etc…) afin de pouvoir faire valoir le droit à la remise en état du franchiseur en cas de prononcé de la nullité du contrat de franchise.


Signalons enfin que le préjudice du franchisé résultant de la nullité du contrat de franchise peut également être indemnisé sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle, si le franchisé est en mesure de prouver que l’existence d’une faute du franchiseur, l’existence d’un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués25.

Sur ce fondement, le franchiseur pourrait être condamné à des dommages et intérêts au titre, par exemple, des investissements spécifiques à l’enseigne non amortis par le franchisé à la date du prononcé de la nullité du contrat de franchise,  des pertes subies dans l’exploitation ou encore des dépenses publicitaires propres à l’enseigne exposées pendant l’exécution du contrat26.

Enfin, conformément à une jurisprudence constante, le préjudice résultant du manquement à une obligation d’information précontractuelle est constitué par la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, et non par celle d’obtenir les gains attendus figurant dans les prévisionnels27.

 

II.    Les conditions d’engagement de la responsabilité du franchiseur  
 

Conformément à la jurisprudence, le prononcé de la nullité du contrat de franchise du fait de la remise de comptes prévisionnels nécessite que les comptes prévisionnels soient erronés (2), qu’ils aient été remis, directement ou indirectement, par le franchiseur (3), et qu’ils aient déterminé le consentement du franchisé (4).

Avant d’étudier chacune de ces conditions, il convient de définir les éléments susceptibles de caractériser des comptes prévisionnels (1).

L’action confirmatoire, ayant pour objet d’empêcher que le franchisé ne puisse agir en nullité du contrat, sera enfin étudiée (5).

 

1.    La notion de comptes prévisionnels
 

La jurisprudence considère de manière traditionnelle que des comptes prévisionnels sont remis lorsque des hypothèses de chiffres d’affaires ou de marges sont fournies au candidat28.

La jurisprudence n’est toutefois pas tranchée s’agissant des objectifs minima de chiffre d’affaires et des clauses de quota de chiffres d’affaires.

Les juges du fonds,  procédant à une application in concreto (cf ci-dessous), retiennent en effet des positions différentes sur ce point.

La Cour d’appel de Paris a par exemple jugé que des objectifs minima de chiffre d’affaires stipulés comme suit : « CA minimum année 1 : 30.000 euros » ne caractérisent qu’un objectif de performance et non un engagement de la part du franchiseur sur la réalisation d’un chiffre d’affaires29.  

De même, la Cour d’appel de Montpellier a pu juger que des clauses de quotas de chiffres d’affaires ou de chiffres d’achats (par analogie) exagérément optimistes ne constituent pas des prévisions d’activité 30.  Dans cet arrêt d’espèce, le franchiseur ne démontrait pas avoir remis un document d’information précontractuel. La Cour d’appel de Montpellier a toutefois jugé que l’inexécution de l’obligation d’information précontractuelle n’avait pas pu avoir pour effet de vicier le consentement du franchisé, au motif notamment que celui-ci avait une connaissance parfaite de l’activité concernée car il avait travaillé auparavant au sein d’une autre agence dont le dirigeant était l’associé et le co-gérant du franchiseur, et avait exercé des fonctions de directeur de production chargé d’animer le réseau des franchisés.

A l’inverse, la Cour d’appel de Rouen a jugé que des objectifs de chiffres d’affaires pouvaient avoir déterminé un vice du consentement du franchisé31  au motif que :
 

  • à défaut de communication par le franchiseur d’un document d’information précontractuel et compte tenu du fait qu’il ne disposait d’aucune marge d’action sur les prix de ses ventes, le candidat avait pu légitimement se référer à la stipulation contractuelle lui fixant un objectif de chiffres d’affaires ;
  • le candidat était en droit de penser que la conclusion de son contrat était susceptible de lui apporter ledit chiffre d’affaires en raison de l’importance attaché à cet objectif, le franchiseur ayant la possibilité de résilier le contrat en l’absence de réalisation des objectifs stipulés au contrat.
     

Signalons enfin que la jurisprudence analyse les clauses d’achat minimum, par lequel un franchisé s’engage à acquérir auprès du franchiseur ou d’un fournisseur un montant minimum de produits, comme une promesse unilatérale d’achat, emportant obligation de résultat à la charge du franchisé, de sorte que la non-atteinte des montants d’achat fixés par le contrat justifie la résiliation du contrat en application de la clause résolutoire32.

Les juges du fonds veillent toutefois au caractère proportionné de telles clauses33.


Recommandations pratiques : il appartient ainsi au franchiseur qui souhaite prévoir des quotas ou objectifs de chiffres d’affaires / de chiffres d’achats de stipuler des quotas raisonnables, de faire reconnaître au franchisé dans le contrat le caractère raisonnable de ces quotas au franchisé, et qu’ils n’ont pas déterminé son consentement,  et enfin qu’ils ne constituent pas une promesse de réalisation d’un niveau de chiffre d’affaires faite au franchisé.

 

2.    Des comptes prévisionnels gravement erronés
 

Il ne suffit pas que les comptes prévisionnels soient simplement erronés pour que leur remise constitue une faute du franchiseur justifiant la nullité du contrat de franchise.

En effet, tant la Cour de cassation que les juridictions du fonds rappellent régulièrement que, sauf stipulation contraire, le franchiseur qui remet des comptes prévisionnels à un franchisé n’est pas soumis à une obligation de résultat mais à une simple obligation de moyen34.

1)Anciennement article 1° de la loi du 31 décembre 1989, dite loi Doubin et son décret d’application du 4 avril 1989 
2)CA Orléans, 25 novembre 2010, N°10/01197
3)CA Paris, 2 juillet 2014, N°11/19239 ; CA Douai 28 mai 2015, n°13/07229 ; 
4)L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, modifiant certains articles du Code civil et leur numérotation, est entrée en vigueur le 1er octobre 2016.  
5)Ancien article 1109 du Code civil avant le 1er octobre 2016
6)Anciens articles 1110 et 1116 du Code civil avant le 1er octobre 2016
7)CA Caen, 20 Juin 2013 – n° 12/01823
8)Cass.Com., 8 juillet 2003, n°02-11.691  ; CA Paris, 19 janvier 2011, n°09-13.977 : Jurisdata n°2011-001223
9)CA Douai, 28 mai 2015 n°13/07229
10)Cass. Com., 4 octobre 2011, n°10-20.956 : Jurisdata n°2011-021604
11)Cass. Com., 4 octobre 2011, n°10-20.956 : Jurisdata n°2011-021604. Notons dans cet arrêt que la Cour de cassation a précisé que la nullité pouvait être justifiée sur ce fondement « même en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information ».
12)N. Dissaux, L'annulation du contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité de l'entreprise, Dalloz 2011, p. 3052 ; J. Ghestin, L'erreur substantielle du franchisé sur la rentabilité de l'activité à entreprendre, JCP éd. G, n° 6, 6 février. 2012, 135, p. 250
13)Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-19.047
14)Voir par exemple CA Montpellier, 4 décembre 1997, Jurisdata n°1997-056968 : «  l’obligation précontractuelle de renseignements prévue par la loi du 31 décembre 1989 dite loi DOUBIN et par le décret d’application du 4 avril 1991 est, en cas de non-respect, pénalement sanctionnée, ce qui démontre le caractère d’ordre public de ces textes, et il s’ensuit que l’inexécution, dans le délai légal, par le franchiseur de l’intégralité de cette obligation précontractuelle de renseignements entraine la nullité du contrat » ; CA Paris, 17 mai 1995, Jurisdata n°1995-022611 ;  CA Paris, 30 juin 1994, Jurisdata n° 1994-023139 :
15)Voir par exemple la décision suivante rendue au visa de l’article L.330-3 du Code de commerce - Cass. Com., 20 mars 2007, n°06-11.290 : « Attendu qu'en déduisant un vice du consentement du franchisé du seul manquement du franchiseur à son obligation d'information pré-contractuelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision » ; CA Versailles, 2 septembre 2014, n°12/08963
16)CA Reims, 19 août 2014, n°12/02758 
17)Cass.Com., 25 mars 2014n°12-29675 : « il ne saurait être déduit du seul manquement du franchiseur à son obligation d'information précontractuelle que le franchisé n'a pu s'engager en connaissance de cause »
18)N.Dissaux, Pauvre « loi Doubin »…, JCP E n°16-17, 21 avril 2016, 1235
19)M.Malaurie-Vignal, le dé-tricotage de la loi Doubin : Contrats, conc.consom n°3. mars 2016, comm.65
20)Cass., 1èreciv., 16 juill. 1998, Bull. Civ. I, n°251
21)Cass. Com. 3 décembre 2002, Bull Civ IV, n°182
22)Cass. com. 21 février 1995, pourvoi n°93-12-805 « Attendu qu’en se déterminant ainsi par un motif insuffisant à établir que [le franchiseur], dont l’arrêt avait constaté qu’il avait exécuté ses obligations résultant des contrats litigieux, ne pouvait bénéficier d’aucune restitution ou compensation pécuniaire à des prestations fournies, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » 
23)Cass. civ. 1ère 16 juillet 1998, Bull. Civ. I, n°251 et Cass.civ. 1ère 11 juin 2002, Bull. Civ. I, n°163
24) 3 octobre 2000, Juris-data n°128551 
25)CA Douai, 19 décembre 2013, n°11/04265 : « Le droit de demander la nullité d'un contrat n'exclut pas l'exercice d'une action en responsabilité pour obtenir réparation du préjudice subi sur le fondement de l'article 1382 du code civil  »
26)Idem
27)Cass.Com, 25 novembre 2014, n°13-24.658
28)CA Lyon 27 février 2014, RG 12/02379
29)CA Paris, 14 janvier 2015, n°12/18176
30)CA Montpellier, 10 mars 2015, n°13/06718
31)CA Rouen, 20 mars 2014, n°13/02536
32)Voir par exemple CA Douai, 4 juillet 2013, n° 12/05563
33)Voir par exemple Cass.Com., 13 mai 1997, n° 95-14.035
34)CA Paris 7 octobre 2015, n° 13/09827 ; CA Paris, 22 janvier 2014, n°11/18554 ; Cass. Com., 1er octobre 2013, n° 12-23337 ; CA Paris, 20 juin 2013, n°10-21561 ; CA Paris, 19 janvier 2011, n°09/13977

   

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