Dol du franchiseur résultant de la remise au franchisé de prévisionnels erronés et d’un DIP lacunaire
lundi 19 novembre 2018

Dol du franchiseur résultant de la remise au franchisé de prévisionnels erronés et d’un DIP lacunaire

La transmission au franchisé de chiffres d’affaires prévisionnels exagérément optimistes et d’un DIP lacunaire, muet sur la concurrence locale et l'état du réseau, vicie le consentement du franchisé et engage la responsabilité du franchiseur sur le fondement du dol.

Un contrat de franchise a été conclu entre deux sociétés pour l’exploitation d’un point de vente spécialisé dans la conception, la fabrication et la distribution de meubles de cuisines, salles de bain, et rangements.

Préalablement à la conclusion du contrat de franchise, le franchiseur avait adressé au franchisé un « business plan » comportant les comptes d'exploitation prévisionnels des trois premières années d’exploitation, faisant apparaître une perte la première année et un bénéfice les deux années suivantes.

Après environ six années d’exécution du contrat, le franchiseur a résilié le contrat de franchise.

A la suite, le franchisé a informé le franchiseur qu’un arrêt de son activité à la date prévue de cessation du contrat était économiquement impossible et lui a fait état d'un certain nombre de griefs, notamment au titre de la communication de chiffres d’affaires prévisionnels erronés, en actant le refus du franchiseur de faire droit à sa demande d'un règlement amiable et d'un préavis supplémentaire de neuf mois.

Le franchisé a assigné le franchiseur devant le Tribunal de commerce de Lille aux fins de voir le franchiseur condamné à lui verser diverses sommes au titre de dommages-intérêts à raison d'un dol du franchiseur et d’une rupture brutale de relations commerciales établies

Pour mémoire, si le dol est une cause de nullité, il peut aussi fonder une action en responsabilité, comme c’est le cas dans l’arrêt commenté.

Par jugement du 19 avril 2016, le Tribunal de commerce de Lille a débouté le franchisé de ses demandes et notamment jugé que le franchiseur n'avait pas à motiver sa lettre de rupture et que les éventuels manquements précontractuels invoqués étaient irrecevables car prescrits.

Le franchisé a fait appel de ce jugement. 

1. Sur la prescription, le franchiseur, dont l’argumentation avait été suivie par les juges de première instance, soutenait que l'action du franchisé était prescrite car l'erreur ou le dol allégués auraient été découverts dès la clôture du premier exercice, soit le 31 décembre 2010, de sorte que leurs demandes indemnitaires du 4 février 2016 seraient prescrites car formées au-delà du délai de prescription de 5 ans.

La Cour d’appel de Paris rejette cette argumentation et fait droit à la demande de franchisé en jugeant que le dol invoqué n'a pas pu être découvert avant la clôture du deuxième exercice du franchisé, soit avant le 31 décembre 2011, ou lors de l'établissement des comptes sociaux 2011 par l'expert-comptable du franchisé au cours du premier semestre 2012.

Ce faisant, la Cour d’appel suit le raisonnement du franchisé selon lequel ce dernier ne pouvait véritablement connaître le caractère erroné de ces chiffres « qu'à la fin de la deuxième année d'exploitation, le premier exercice d'une nouvelle société n'étant, en général, pas suffisamment significatif pour établir que les comptes d'exploitation prévisionnels établis sur trois années étaient irréalistes. En effet, les mauvais résultats réalisés la première année d'exploitation peuvent avoir des causes variées qui ne découlent pas nécessairement de manquements pré contractuels du franchiseur. » 

Cette solution est critiquable s'agissant du premier exercice, puisque les comptes prévisionnels l'individualisaient : la prescription doit courir dès que l'information a été découverte.

2. Sur les manquements du franchiseur à l'obligation précontractuelle d'information, le franchisé soutenait que son consentement avait été vicié par un dol commis par le franchiseur, en particulier car les chiffres prévisionnels qui lui avait été communiqués étaient selon lui irréalistes, ce qui aurait vicié son consentement.

La Cour d’appel de Paris commence par rappeler les dispositions des articles 1108 et 1109 du Code civil dans leur rédaction applicable au moment des faits, relatifs au consentement de la partie qui s'oblige comme condition essentielle de la validité d'une convention, ainsi que les articles L. 330-3 et R. 330-1 détaillant les informations devant être communiquées dans le cadre du document d’information précontractuel (DIP) applicables en l’espèce.

Elle rappelle ensuite que si le franchiseur n'est pas tenu de remettre un compte d'exploitation prévisionnel au candidat à la franchise et qu’il appartient à chaque franchisé d'établir son compte prévisionnel à partir des données fournies par le franchiseur, le franchiseur qui remet un compte d'exploitation doit néanmoins donner des informations sincères et vérifiables.

En l’espèce, le franchiseur avait adressé au franchisé par message électronique, préalablement à la conclusion du contrat de franchise, un « business plan » comportant les comptes d'exploitation prévisionnels des années 1, 2 et 3, faisant ressortir : 

  • année 1 : 958.639 euros de CA (facturé) et une perte de 28.353 euros ;
  • année 2 : 1.211.865 euros de CA (facturé) et un bénéfice de 46.557 euros ; 
  • année 3 : 1.447.003 euros de CA (facturé) et un bénéfice de 72.358 euros. 

Or, selon la Cour, « ces comptes prévisionnels 2010, 2011 et 2012 se sont révélés grossièrement irréalistes ».

En effet, les chiffres réellement réalisés par le point de vente ont été les suivants :

  • année 1 : 209'435 euros de chiffre d'affaires sur 6 mois et une perte de 169'225 euros,
  • année 2 : 825'266 euros de chiffre d'affaires et une perte 9'561 euros, 
  • année 3 : 761'406 euros de chiffre d'affaires et une perte de 19'798 euros,
  • année 4 : 740'086 euros de chiffre d'affaires et une perte de 39'064 euros,
  • année 5 : 756'731 euros de chiffre d'affaires et un bénéfice de 13'112 euros,
  • année 6 : 702 035 euros de chiffre d'affaires,

Ainsi, la comparaison avec les chiffres prévus dans les prévisionnels mettait en évidence un écart (qualifié de substantiel par la Cour) de 78,15 % en année 1, et un écart moyen de 49 % pour les années 3 à 5, par rapport aux prévisions pour l'année 3.

Dans l’arrêt rendu, particulièrement motivé, la Cour d’appel de Paris considère en substance que : « 

  • l'écart entre les prévisionnels et les chiffres réalisés par le franchisé dépasse la marge d'erreur inhérente à toute donnée de nature prévisionnelle ;
  • l'expérience éprouvée du franchisé dans le secteur ne [dispensait] pas le franchiseur, sous peine de vider la loi de tout contenu, de lui dispenser des informations sincères ;
  • si le franchisé a l'obligation de se renseigner sur l'état du réseau, il ne peut lui être reproché d'avoir omis de procéder à l'étude des chiffres d'affaires des franchisés, alors qu'il disposait de chiffres prévisionnels ».

La Cour d’appel de Paris explique que « les chiffres prévisionnels transmis [au franchisé] par le franchiseur, étant exagérément optimistes au regard de l'écart très important qu'ils présentent avec les chiffres d'affaires effectivement réalisés par [le franchisé], [auquel] il n'est reproché aucune faute de gestion, étaient déterminants pour le consentement éclairé du franchisé et portaient sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain est déterminante. »

En outre, elle considère que « ce dol a été amplifié par le caractère excessivement succinct du DIP de six pages, muet sur la concurrence locale et l'état du réseau. Le consentement des appelants a donc été trompé par l'absence des informations précontractuelles exigées par la loi et, dans ce contexte de renseignements trop lacunaires sur l'état du marché, par la communication de chiffres exagérément optimistes. Si le franchisé a le devoir de se renseigner lui-même sur l'état du marché et de réaliser ses propres calculs de rentabilité, il ne peut pour autant suppléer à toutes les carences du franchiseur, dont les obligations particulières sont de garantir la réitération de son propre succès, ce qui implique à tout le moins la délivrance d'un DIP aussi complet que possible et de chiffres vraisemblables. »

En conséquence, la Cour d’appel de Paris juge que le franchiseur « a donc engagé sa responsabilité en fournissant [au franchisé] des données erronées et non significatives. Celles-ci ont provoqué dans l'esprit du franchisé une erreur sur la rentabilité de son activité. »

S’agissant du préjudice indemnisable, la Cour d’appel de Paris rappelle que « le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d'information est constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, et non par les pertes subies ». 

En l’espèce, le franchisé avait évalué ses pertes à la somme de 237.648 euros. Or, selon la Cour, le pourcentage de chance que le franchisé ne contracte pas peut être évalué à 80 %, de sorte que le franchiseur a été condamné à lui verser 80 % de cette somme, soit 190.118 euros.

Cet arrêt conforte la jurisprudence en la matière considérant qu’un écart entre les chiffres prévisionnels communiqués par le franchiseur et les chiffres effectivement réalisés par le distributeur peut déterminer un vice du consentement sur le fondement d’un dol ou d’une erreur sur la rentabilité de l'activité entreprise (Cass. com. 4 oct. 2011, n°10-20.956). 

La première exigence de l’article L. 330-3 du Code de commerce étant de fournir une information sincère, la tête de réseau doit veiller à délivrer une information complète, vérifiable et récente. 

A ce titre : 

  • le franchiseur doit avant tout fournir l’ensemble des informations détaillées à l’article R. 330-1 du Code de commerce, dont la communication est exigée dans le cadre du DIP : dans l’arrêt commenté la fourniture d’un « DIP lacunaire, muet sur la concurrence locale et l’état du réseau » a selon la Cour, accentué le dol constitué par la transmission de chiffres prévisionnels « grossièrement irréalistes » ;
  • si le franchiseur n’a aucune obligation de fournir des chiffres d’affaires prévisionnels, il doit toutefois s’assurer, dans l’hypothèse où de tels chiffres seraient communiqués, que ceux-ci ne sont pas susceptibles de vicier le consentement du candidat par leur caractère exagérément optimistes.

CA Paris, 24 oct. 2018, n° 16/10932

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