La vaine résistance de la méthode de la « décapitalisation »
mardi 14 mars 2023

La vaine résistance de la méthode de la « décapitalisation »

Lors de la fixation du prix du bail renouvelé, la question de la prise en compte des pas-de-porte et des prix de cession liés aux éléments de références (les prix couramment pratiqués dans le voisinage selon l’article L. 145-33 du code de commerce), apparaît tranchée.

Et pourtant, certaines juridictions tentent encore de faire revivre le spectre de la « décapitalisation ».

Concrètement, dans le cadre de la fixation du loyer du bail renouvelé, la « décapitalisation » est une pratique consistant à reconstituer des valeurs locatives issues de boutiques situées dans le voisinage, en ajoutant aux loyers de ces éléments de référence, une partie de la somme versée en capital lors de l’entrée dans les lieux du preneur (droit d’entrée/pas-de-porte ou prix de cession/valeur du droit au bail).

Cette méthode oppose autant les experts aux juridictions du fond, que les bailleurs aux preneurs.

Faut-il, pour déterminer le prix du bail renouvelé, se fonder sur une telle pratique ?

Si nous cherchons, intuitivement, une réponse de la Haute juridiction, nous constatons, peut-être avec un léger regret, que celle-ci ne se prononce pas.

En effet, elle laisse le soin aux juridictions du fond, d’apprécier souverainement la méthode permettant de fixer la valeur locative des locaux donnés à bail, c’est-à-dire, avec ou sans procéder à une réintégration des pas-de-porte et des prix de cession afférents aux valeurs locatives pratiquées dans le voisinage (Cass. 3ème civ., 11 décembre 2012, n° 11–11466).

Quant à la cour d’appel de Paris, si elle avait pu, timidement, dans un arrêt du 27 juin 2007 (CA Paris, 27 juin 2007, Administrer novembre 2007, p. 32), accepter la pratique de la décapitalisation et de la réintégration des sommes versées en capital par le preneur en jugeant qu’il « n’est pas illégitime de décapitaliser la somme versée au titre de droit au bail ou de pas-de-porte pour apprécier la valeur locative réelle du local loué », il apparaît qu’elle a définitivement tranché la question en excluant la méthode consistant à réintégrer les droits d'entrée aux loyers pratiqués (CA Paris, 15 février 2012, n° 10/00757 ; CA Paris, 18 mars 2015, n° 13/04404 ; CA Paris, 28 février 2018, n° 16/10778).

Cette position est tout à fait fondée puisque le statut des baux commerciaux prévoit une méthode de fixation du loyer du bail renouvelé selon des critères bien définis, tels que posés à l’article L. 145-33 du code de commerce et ce, pour éviter que le loyer du bail renouvelé s’apparente à un prix de marché.

Rappelons que le but premier du statut des baux commerciaux est de protéger le locataire commercial.

On constate que les différentes juridictions du fond adoptent, de manière pertinente, le même raisonnement (CA Rennes, 6 janv. 2010, RG n° 06/03680 ; CA Aix-en-Provence, 4 fév. 2010, RG 08/09644 ; CA Toulouse, 10 mars 2010, RG 08/04083 ; CA Douai, 20 mai 2010, RG 07/07272 ; CA Lyon 5 février 2015 n° 13/03008 ; CA Aix-en-Provence, 4 février 2016, RG 14/22089 ; CA Montpellier, 4 janvier 2022, n° 18/05663).

Cependant, il arrive, certes rarement, que certaines juridictions acceptent de suivre les experts judicaires qui procèdent à de telles pratiques.

Mais les motivations de ces décisions dissidentes, ne semblent que peu convaincantes :

Pour illustration, la cour d’appel de Versailles a pu juger que :

« Rien n'interdit au juge de prendre en considération un éventuel droit d'entrée dans son appréciation de la valeur locative s'il considère que ce droit participe directement à cette valeur, qu'il reflète la réalité du marché et que cette référence est croisée avec d'autres références prises dans le voisinage » (CA Versailles, 10 février 2022, n° 20/01646).

En dernier lieu, et de manière plus surprenante, c’est le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire qui a rendu une décision en date du 15 septembre 2022, aux termes de laquelle il a considéré que :

« C'est à juste titre que l'expert judiciaire a pris en considération des loyers décapitalisés, l’article L.145-33 du code de commerce faisant référence aux prix couramment pratiqués dans le voisinage, ce qui doit inclure les nouvelles locations et les loyers décapitalisés, qui, rapprochés de loyers fixés selon d'autres modalités, permettent d'apprécier l'attractivité d'un emplacement » (TJ Paris, Bx. Com., 15 septembre 2022, n° 22/03544).

Or, au regard de ces deux décisions, il convient de rappeler que les loyers décapitalisés ne sont pas obtenus à partir de simples loyers de référence (prix pratiqués dans le voisinage), puisque le droit d'entrée ne constitue pas un supplément de loyer, mais une indemnisation du bailleur, ou encore un avantage que le preneur lui concède pour bénéficier de la propriété commerciale.

Quant à la valeur du droit au bail, elle constitue un élément du fonds de commerce et ne peut donc être transformée en loyer puis, artificiellement intégrée aux loyers payés couramment dans le voisinage.

Bien plus, le prix de cession n’est même pas perçu par le bailleur !

Heureusement, la décision du juge des loyers de Paris précitée n’aura pas convaincu la juridiction supérieure.

Dans une décision en date du 25 janvier 2023, la cour d’appel de Paris a maintenu sa position en fixant le loyer d’un bail renouvelé au regard de « trois références de fixation judiciaire, trois renouvellements amiables et sept références de nouveaux loyers hors décapitalisation » (CA Paris, 25 janvier 2023, n° 20/17972).

Il est enfin loisible de reprendre les termes de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 15 juin 2021, excluant indéniablement cette pratique et ce, d’un ton quelque peu sévère :

« Quant à la demande de prise en compte de la décapitalisation du coût d'acquisition des droits aux baux, la cour pas plus que le tribunal n'a à prendre en compte des considérations spéculatives instaurées dans l'intérêt fiscal du bailleur pour déterminer une valeur locative qui doit s'apprécier in concreto et non par rapport à la valeur du droit au bail qui, incluant en général des éléments de valorisation qui revêtent une valeur de stratégie de développement sans lien avec l'économie de loyer, n'a pas la qualité d'un complément de loyer. Le jugement qui a approuvé l'expert de ne pas avoir appliqué cette méthode sera donc confirmé » (CA Bordeaux, 15 juin 2021, n° 18/04394).

Cette sévérité rappelle d’ailleurs celle de la cour d’appel de Toulouse, qui avait déjà rendu un arrêt en ce sens le 5 mars 2013 :

« S'agissant de la valeur locative par référence au loyer renouvelé, on relève tout d'abord qu'aucun des textes du Code de commerce, et notamment l'article R 145-7 du Code de commerce, ne fait référence, dans la notion de prix couramment pratiqués, aux sommes versées à titre de pas de porte, droit d'entrée ou de droit au bail. Ensuite, la valeur locative ne peut intégrer des sommes payées par le locataire à un tiers, comme l'est le droit au bail, versé au précédent locataire. Enfin, une somme versée au bailleur à titre de pas de porte n'a pas nécessairement la nature de supplément de loyer.

Pour tous ces motifs, la base de calcul de l'expert ne peut être retenue qu'en expurgeant la valeur de décapitalisation des droits au bail ou droits d'entrée » (CA Toulouse, 5 mars 2013, n° 11/03754).

Ces deux raisonnements ne souffrent d’aucune contestation et il convient de faire cesser la méthode de la « décapitalisation », dès le début de la procédure, ou encore au cours de l’expertise judiciaire !


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